L’incendie de Notre-Dame de Paris
Dany Sandron et Guillaume Legros, chercheurs à Sorbonne Université, apportent leur éclairage sur l'incendie qui a ravagé Notre-Dame le 15 avril 2019.
« C’est l’heure la plus sombre de Notre-Dame » affirme Dany Sandron, professeur d'Histoire de l'art et d'Archéologie du Moyen Âge au centre André Chastel [1 ] et responsable de la plateforme mobile de numérisation 3D (Plemo3D).
Vieille de neuf siècles, la grande Dame avait pourtant résisté à la Révolution et aux guerres. Rien n’avait jusqu’à ce terrible incendie menacé à ce point le cœur de sa structure depuis sa construction à la fin du XIIe siècle.
Selon les premiers éléments de l’enquête, l’incendie aurait démarré dans les combles de la cathédrale. Le feu se serait propagé très vite sous l’effet du vent, dévorant l’une des plus anciennes charpentes de Paris constituée de centaines de poutres de chênes. La toiture de plomb de plusieurs centaines de tonnes qui reposait sur cette « forêt » est partie en fumée. La flèche haute de 93m qui surplombait la croisée du transept s’est effondrée en moins d’une heure. Sous la charpente, « les températures ont pu atteindre 2000 voire 2500°C, une température bien supérieure à la celle de la fusion du plomb », explique Guillaume Legros, enseignant-chercheur à l’Institut ∂’Alembert [2] et ancien doctorant de José Torero 3, spécialiste mondial des grands incendies.
Comment se propagent des feux d’incendie ?
Selon Guillaume Legros, la flamme d’incendie peut au départ être assez faible et produit beaucoup de particules de fumée qui donnent cet aspect rougeâtre aux flammes. Ces dernières rayonnent intensément, « préchauffant » ainsi les surfaces environnantes jusqu’à atteindre une température susceptible de déclencher leur embrasement.
Contrairement aux idées-reçues, « pour que le feu se propage, l’envergure des flammes conditionne relativement peu le scénario initial de l'incendie, indique le scientifique. Certaines combustions, appelées « combustions couvantes » sont difficilement détectables car elles n’émettent pas de flamme visible. Ce type de combustion, qui se forme souvent dans les milieux poreux comme les mousses, se propage très lentement et peut donner lieu à un incendie de grande ampleur. »
Des indices pour déterminer les causes de l’incendie
A l’heure actuelle, tous les scenarii concernant la cause de l’incendie sont envisagés. S’il faut attendre les avancées de l’enquête pour émettre des hypothèses solides, certains éléments pourront, selon les chercheurs, aider à déterminer l’origine de l’incendie.
« Nous savons par exemple, explique Guillaume Legros, que le foyer initial d’un incendie par court-circuit est très localisé et très noir. Contrairement à un feu provoqué par un chalumeau, la combustion est lente, peu efficace et génère beaucoup de fumée qui noircit nettement l’origine du foyer. A l’inverse, quand il s’agit d’un incendie criminel dans lequel par exemple de l’éthanol a été volontairement déversé, le foyer initial sera beaucoup plus étendu et moins lisible ».
Un nécessaire diagnostic de la structure
En parallèle de l’enquête sur l’origine du drame, des analyses approfondies de la structure du bâtiment vont être menées. Alors que le travail des pompiers à l’intérieur de l’édifice a permis de sauver Notre-Dame, « il faut aujourd’hui réaliser un diagnostic technique de plusieurs semaines pour identifier les désordres structurels qu’a subis la cathédrale », affirme Dany Sandron.
En effet, si les deux beffrois ont résisté, une partie des voûtes s’est effondrée en trois endroits et l’anéantissement des deux tiers de la toiture a fragilisé les façades du transept qui ne sont désormais plus étayées en leur sommet.
« Une structure gothique, telle que la cathédrale, tient grâce à son ensemble. C’est un squelette. S’il manque un élément, cela fragilise la totalité de l’édifice », indique Dany Sandron.
L’architecture gothique repose sur des oppositions de forces. C’est pourquoi, selon Dany Sandron, les arcs-boutants créés pour compenser les poussées latérales des voûtes d’ogives risquent, avec la disparition de ces dernières, de pousser les murs des façades vers l’intérieur.
Par ailleurs, souligne l’historien de l’art, « on est incapable à l’heure actuelle de dire si les maçonneries n’ont pas souffert ou ne vont pas souffrir en raison des milliers de mètres cubes d’eau qui ont été versés sur Notre-Dame ». Cette eau pourtant salvatrice constitue un grand danger pour l’architecture. Elle imbibe les pierres, dissout les joints de mortier, ce qui risque de désolidariser des éléments de la structure de la cathédrale et de menacer son équilibre.
Ce diagnostic, ainsi que les travaux des chercheurs, seront précieux pour orienter les choix de la future reconstruction de ce joyau de l’architecture gothique.