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À la recherche des racines de Notre-Dame

Le bois médiéval dévoile ses secrets.

Entretien avec Alexa Dufraisse et Thanh-Thuy Nguyen Tu

Directrice de recherche en archéobotanique au Muséum naturelle d'Histoire naturelle et maîtresse de conférences en biogéochimie à Sorbonne Université, Alexa Dufraisse et Thanh-Thuy Nguyen Tu, font partie du groupe de travail « Bois et Charpente » lancé à l’occasion du chantier scientifique piloté par le CNRS et le ministère de la Culture suite à l’incendie de Notre-Dame de Paris. Les deux scientifiques tentent de percer le mystère entourant la provenance géographique d’une partie des pièces de bois médiévales composant la charpente du monument.

A quel point la charpente de Notre-Dame a-t-elle été touchée par l’incendie en 2019 ?

Alexa Dufraisse : La charpente a été énormément endommagée. Les 1000 pièces de bois qui la composaient ont quasiment toutes été fragmentées ou réduites en cendres.

Thanh-Thuy Nguyen Tu : Dans le cadre du chantier scientifique de la cathédrale Notre-Dame lancé conjointement par le ministère de la Culture et le CNRS, nous faisions partie du groupe de travail « Bois et Charpente ». Notre objectif était d’en connaître davantage sur la composition du bois datant de l’époque médiévale, de manière à identifier sa provenance, dont on sait peut de chose.

En l’absence d’informations textuelles, comment procédez-vous pour déceler l’origine de ces pièces de bois ?

A. D. : Les pièces de bois du Moyen Age sur lesquelles nous travaillons représentent une infime partie de la composition de la charpente, un petit dixième tout au plus, le reste étant plutôt daté du XIXe siècle, période durant laquelle il y a un eu un grand chantier de restauration de la cathédrale.

T.-T. N. T. : En l'absence d’archives textuelles, nous avons examiné dans un premier temps la composition de ces pièces de bois. Nous avons analysé le profil des arbres exploités qui présentaient une morphologie de 50cm de diamètre, 25m de haut pour des poutres de 25-30cm de côté et 7-15m de long. Malgré l’élévation de la température causée par les flammes, la signature chimique du bois n'avait pas été altérée.  Ces premières données nous ont permis de commencer à dégager des pistes sur leur provenance géographique.

Etes-vous en mesure aujourd’hui d’identifier précisément leur provenance géographique ?

A. D. : Précisément pas encore, mais l’éventail des possibilités s’est bien réduit. Notre travail a commencé un an après l'incendie, et va s’étendre encore sur plusieurs années. Pour l’heure, nous avons pu étudier le signal chimique de 40 pièces de bois ; c’est un travail de très longue haleine. Ces premiers résultats ont permis d'avancer plusieurs hypothèses. D’abord, celle d’envisager que le bois proviendrait du bassin parisien et plus précisément du bassin versant de la Seine. Plusieurs éléments accréditent cette hypothèse. On a notamment repéré des traces de flottage sur les pièces de bois, mettant en lumière un reste d’assemblage qui peut laisser penser qu’il a été transporté par voie fluviale.

T.-T. N. T. : Par ailleurs, l’étude sur le signal chimique des quarante premières pièces de bois ont laissé apparaître que les arbres ont poussé sur un sol limoneux, ce qui a de fait exclu certaines zones géographiques comme le Morvan (granite) ou l’Yonne (calcaire). Pour le reste, il est impossible de définir encore précisément une provenance géographique précise.

Quels éléments apportent cette étude pour la suite ?

A. D. : Grâce à notre travail, cette étude scientifique a permis d’établir un référentiel de composition chimique des bois à l’échelle du bassin parisien qui pourra être réutilisé par la suite.

T.-T. N. T. : La provenance géographique combinée aux caractéristiques morphologiques des bois exploités à l’époque médiévale livre aussi davantage de réponses sur la façon dont était gérée les forêts lors de cette période historique et comment se déroulaient l'approvisionnement, la circulation et le commerce du bois.