Les vitraux de Notre-Dame retrouvent leur lumière
Alors que Notre-Dame de Paris est en pleine reconstruction, scientifiques et restaurateurs travaillent main dans la main pour mieux comprendre et préserver son décor vitré.
L’ingénieure de recherche Karine Boulanger et la conservatrice du patrimoine Élisabeth Pillet font partie du groupe de travail Verre du chantier scientifique mis en place par le CNRS et le ministère de la Culture. Au sein du Centre André Chastel, elles mettent leur expertise du vitrail au service de la conservation de ce patrimoine exceptionnel.
Dans quel état ont été retrouvés les vitraux après l’incendie d’avril 2019 ?
Karine Boulanger : Par chance, ils ont très peu souffert. Seul un, situé dans la nef, a été endommagé par l’une des pointes de la flèche qui s’est écroulée. Mais aucun n’a été détruit. Néanmoins, empoussiérés et couverts de fumée, ils ont dû faire l’objet d’un nettoyage approfondi comme l’ensemble des intérieurs de la cathédrale.
De quand datent-ils ?
Elisabeth Pillet : Datées du XIIIe siècle, les trois roses médiévales situées sur les façades ouest, nord et sud constituent l’élément le plus ancien et le plus important du patrimoine vitré de la cathédrale. Les autres verrières datent du XIXe siècle et ont été installées à la demande de l’architecte Viollet-le-Duc puisque la majeure partie des vitraux avaient été retirés de l’édifice au XVIIIe siècle. Un chantier qui dura plus de dix ans et fut réalisé par les meilleurs ateliers de peinture sur verre de leur temps.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, les vitraux en grisaille (non figurés) de la nef, mis en place au siècle précédent, ont été à leur tour remplacés par des verrières abstraites.
Que représentent-ils ?
K. B. : Sainte patronne de la cathédrale, la Vierge est mise à l'honneur dans les roses. Celle de l’ouest montre la Vierge avec le temps cosmique et terrestre, un zodiaque, les travaux des mois, le combat des vices et des vertus et des prophètes autour d'elle. Dans le bras nord du transept, la rose représente la Vierge entourée des figures de l’Ancien Testament, des prophètes, des rois et des juges. Celle située au sud, a subi d’importantes modifications : on peut y voir au centre un Christ du Jugement dernier, entouré de saints, apôtres ou martyrs, de vierges sages et de vierges folles avec une couronne d'anges en périphérie.
E.P. : Les vitraux du XIXe siècle sont, quant à eux, consacrés à la Vierge, au Christ et à des figures de saints rappelant aussi l’histoire de la capitale. Nous trouvons également des vitraux qui ne portent que des motifs décoratifs traités en grisaille avec parfois des scènes ou des emblèmes dans le tympan. Tous ces vitraux ont été créés à partir de l’idée que l’on se faisait à cette époque du style médiéval : certaines figures ont des traits très marqués, et surtout a été ajoutée une patine sombre qui contraste avec les vitraux du XIIIe siècle, bien plus lumineux.
Quelles ont été les différentes étapes de leur restauration ?
K. B. : Je suis intervenue dans les heures qui ont suivi l’incendie pour préparer le travail des peintres-verriers chargés de la dépose des vitraux. Nous nous sommes rapidement rendus compte qu’il n’y avait pas de plan de dépose car, à part les trois roses, les vitraux n'avaient jamais été démontés. La première étape a donc été de dresser un plan pour repérer les fenêtres et les vitraux. Pendant deux jours nous avons, sur place, fait des dessins, des clichés, repéré et numéroté les panneaux pour que les peintres-verriers puissent commencer à déposer les fenêtres hautes. Les panneaux ont ensuite été stockés avant d’être décontaminés, puis attribués, l’an dernier, à huit ateliers de restauration en France et un en Allemagne. La restauration a consisté en un nettoyage des verres, le moins intrusif possible, et une consolidation des parties endommagées en fonction de l’état de chaque panneau. Aujourd’hui, ils sont presque prêts à être reposés.
Vous faites partie du groupe de travail Verre du chantier scientifique de Notre-Dame. En quoi consiste l’activité de ce groupe et quel a été votre rôle ?
E. P. : Depuis 2019, ce groupe dirigé par Caludine Loisel, ingénieure de recherches au laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH), réunit des historiens d'art spécialistes du vitrail, des physiciens et des chimistes. En tant que spécialistes du vitrail, notre objectif est d’étudier les sources qui permettent de documenter les verrières. Nous essayons de trouver, dans les archives, des informations sur les procédés utilisés au XIXe siècle, les modèles archéologiques qui ont guidé le travail de restauration, la qualité des matériaux, etc. Nous cherchons également à mieux connaître les ateliers de peintres-verriers ayant œuvré pour Notre-Dame.
Complexe en raison du peu de documents sur ces vitraux, ce travail sert à la fois de mémoire de l’état de leur conservation, et d’élément d’expertise pour la prise de décision avant les interventions. Il pourra notamment aider les ateliers de restauration à mieux comprendre et résoudre certains problèmes d'altération visibles sur quelques panneaux.
K. B. : Nous avons examiné les roses du XIIIe siècle, in situ, en profitant des échafaudages pour analyser l’authenticité des vitraux. Cela permet de mieux comprendre comment les restaurations les ont transformés au cours des siècles. Ce travail se poursuivra en atelier, après la réouverture de la cathédrale, lors de futures campagnes de restauration qui permettront des analyses plus complètes quand les roses seront déposées.
Quelles avancées scientifiques doit-on à ce chantier de restauration ?
E. P. : Le groupe Verre a permis de tisser des liens entre des domaines très différents, comme l’histoire de l’art, la physique et la chimie, au profit du grand public et de la science. Nous collaborons notamment avec des spécialistes des matériaux de la faculté des Sciences. Des analyses conjointes ont eu lieu lors du passage des vitraux devant l'accélérateur Grand Louvre d'analyses élémentaires (AGLAÉ ) situé au musée du Louvre. D’autres analyses sont en cours. Des projets sont financés, comme par exemple celui consacré à l’étude de la couche de poussière et de plomb qui a contaminé ces vitraux. Toutes ces analyses physico-chimiques vont considérablement améliorer la connaissance de l’édifice et de son décor vitré.
K. B. : Si l’incendie a été une catastrophe terrible, le chantier de restauration a donné l’opportunité, saisie par l’ensemble du monde scientifique, de mieux connaître la cathédrale. Un édifice dont les vitraux avaient, contrairement à ce que l’on pourrait croire, été relativement peu étudiés jusqu’à aujourd’hui.