La voix de Notre-Dame de Paris
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La voix de Notre-Dame de Paris

L’incendie qui a ravagé Notre-Dame le 15 avril 2019 semble avoir miraculeusement épargné le grand orgue de la cathédrale.

(Article publié le 18 décembre 2019)

 

Un chantier colossal

Directeur de recherche CNRS à l’institut Jean le Rond ∂’Alembert 1 et responsable de l’équipe Lutheries - Acoustique – Musique, Christophe d’Alessandro est aussi l'organiste titulaire de l’orgue de Sainte-Élisabeth à Paris. Il fait partie de la commission nationale de l’architecture et du patrimoine consultée pour la restauration de cet instrument chargé d’histoire. 

Deux orgues résonnaient auparavant sous les voûtes de Notre-Dame : le grand orgue de tribune classé aux monuments historiques et l’orgue de chœur, plus modeste, situé à la croisée du transept près de l’endroit où la flèche s’est effondrée dans l’incendie. « Suite aux premières constatations, il semble que l’orgue de chœur soit endommagé par l'eau davantage que par le feu, mais le grand orgue a été dans l'ensemble épargné. Protégé par une dalle de pierre, il n’a pas été inondé, les tuyaux n'ont pas fondu, la console est intacte, sauf bien sûr un gros empoussiérage », explique Christophe d’Alessandro.

Même s’il faut encore attendre d’autres éléments d’expertise, il n’y aurait, selon le chercheur, « rien d’irrémédiablement perdu a priori ». Néanmoins la poussière, la suie et la chaleur intense de l’incendie risquent d’avoir affecté l'instrument.

D’après Christophe d’Alessandro, « l’orgue ne pourra être véritablement restauré que lorsque le bâtiment sera de nouveau prêt à l’accueillir » car les travaux de maçonnerie qui seront effectués dans l’édifice risqueraient de l’endommager. « Il est envisagé de coffrer l'orgue pendant les travaux, ce qui est moins dangereux que de le démonter et de le sortir de la cathédrale. Il faudra également le dépoussiérer et l'accorder. Chacun des 7374 tuyaux est ajusté au centième de millimètre près pour l’harmonie. C’est un chantier important de plusieurs mois, voire de plusieurs années si les dégâts se révèlent plus conséquents car sans électricité pour le moment, il est impossible de vérifier le fonctionnement de l'instrument », précise le chercheur.

Un instrument monumental

Aussi large que la nef de la cathédrale et haut d’une vingtaine de mètres, l’orgue de Notre-Dame de Paris est l’un des plus grands de France. D’une envergure exceptionnelle, il est composé de nombreux éléments dont une forêt de 7374 tuyaux de bois ou de métal dans laquelle il est possible de déambuler, les sommiers sur lesquels reposent la tuyauterie, la soufflerie qui alimente en air l’instrument et la console des claviers.

Véritable poste de pilotage de l’organiste, la console regroupe les cinq claviers à main, le clavier de pédale et la centaine de tirants de jeux qui permettent d’appeler un ensemble de tuyaux. « A chaque fois que l’on tire un jeu, on actionne une rangée de tuyaux, explique le chercheur. Chaque rang de tuyaux présente un timbre différent qui porte parfois le nom d’un instrument d’orchestre (hautbois, flûte, trompette, violoncelle, etc.) et que l’on peut mélanger ou faire dialoguer avec les autres jeux », explique le chercheur.

Un témoin de l’Histoire

Placé sous la rosace du couchant, cet orgue monumental bénéficie de l’extraordinaire acoustique de l’édifice qui lui sert d’écrin sonore. Le son peut y réverbérer pendant 8 secondes. Il est la voix de la cathédrale. Du mariage d’Henri IV au sacre de Napoléon en passant par la libération de Paris en 1944, l’orgue de tribune a accompagné la grande dame dans les moments de l’Histoire de France. « Présent lors de tous les évènements importants de Notre-Dame, le grand orgue, comme les cloches, représente son identité sonore. On venait du monde entier pour l’entendre, et les plus grands organistes l’ont joué », affirme Christophe d’Alessandro.

Les traces de ces précédentes restaurations sont autant de témoignages de l’histoire qui l’a façonné. Construit au début du XVe siècle sur la tribune de pierre au-dessus du grand portail ouest, l’orgue n’a cessé d’évoluer au fil des siècles. « L’orgue est un palimpseste 2, indique le chercheur. Différentes époques s’y superposent. Le buffet date du XVIIIe, les tuyaux sont des XVIIe, XVIIIe, XIXe, XXet même XXIe. Les restaurations successives ont toujours visé à moderniser l’instrument en ajoutant de nouveaux jeux, en informatisant les transmissions, en améliorant l’ergonomie de la console. » La dernière rénovation de l’orgue date de 2012. Elle a duré deux ans pendant lesquels l’instrument a été entièrement démonté, les transmissions informatiques changées, les anciens mécanismes rénovés, les tuyaux de façade restaurés et la console entièrement remplacée.

Afin de retrouver le son du grand orgue tel qu’il existait avant la tragédie, les experts peuvent s'appuyer sur les travaux de l’équipe Lutheries - Acoustique – Musique. Cette équipe de l’institut Jean le Rond ∂'Alembert et membre du Collegium Musicæ de Sorbonne Université travaille notamment sur la reconstitution d’espaces acoustique perdus ou transformés à l’aide de la réalité virtuelle et de simulations informatiques. Deux campagnes de mesures acoustiques de la cathédrale ont été réalisées par l’équipe en 1987 et 2015. Avec ces mesures, Brian Katz, spécialiste d’audio 3D, a réalisé un modèle numérique de l’acoustique de Notre-Dame de Paris qui pourra servir d’élément de comparaison sonore pour la restauration de Notre-Dame de Paris.