Un jeu vidéo dédié au théâtre d'Orange
En partenariat avec l’association Games for Citizens, qui anime le portail de jeux Ikigai, l’Institut des sciences du calcul et des données (ISCD) a développé Arausio, un jeu éducatif 3D sur le théâtre d’Orange, accessible gratuitement au plus grand nombre. Retour sur l’histoire de ce projet ambitieux à la croisée de l’archéologie, des mathématiques, de l’informatique et du game design.
Début du premier siècle de notre ère : un soldat, chargé de la garde rapprochée de l’Empereur, est dépêché à Orange pour mener une enquête dans l’enceinte du théâtre de la ville. Héros du jeu développé par l’ISCD et Ikigai, le jeune garde accompagnera, pendant près de 45 minutes, les amateurs de jeux vidéo, d’archéologie ou curieux de tous âges, dans l’un des édifices les mieux conservés du monde romain.
Valoriser autrement la recherche
L’aventure commence à l’été 2019 à l’ISCD. Dans le cadre d’une thèse et d’un post-doctorat, l’institut finance un projet visant à étudier l’acoustique du théâtre d’Orange. Archéologues, ingénieurs, informaticiens et mathématiciens travaillent ensemble pour concevoir un modèle 3D haute définition du bâtiment. « Sur ce modèle numérique très réaliste, indique le directeur de l’ISCD, Pascal Frey, nous avons reconstitué avec une grande précision les éléments de décor du mur de scène, les colonnes, le fronton, les détails des moulures et des sculptures tels qu’ils étaient à l’époque d’Auguste ». Pour valoriser ce travail au-delà du monde scientifique, Pascal Frey a alors l’idée de l’exploiter dans un jeu vidéo. « En nous lançant dans ce projet, explique-t-il, nous nous sommes aventurés en dehors de nos sentiers battus. C’est un moyen original pour diffuser la connaissance scientifique. » Une fois le projet lancé, le directeur de l’ISCD fait appel, fin 2019, à l’association Ikigai. Issue de Sorbonne Université, cette association met à disposition et conçoit des jeux éducatifs pour l’enseignement supérieur. Une dizaine de personnes sont mobilisées pour la réalisation technique du jeu vidéo du Théâtre d’Orange : des game designers s’occupent de la conception des règles et de la mécanique du jeu, un directeur artistique du graphisme, un sound designer de l'univers sonore, des développeurs se chargent de la programmation du jeu.
Pour Thomas Planques, responsable du projet chez Ikigai, « la difficulté a été de retranscrire la réalité du théâtre à un coût acceptable. Une reconstitution 3D réaliste aurait demandé trop de temps et de travail de synthèse. Elle aurait, en plus, nécessité une énorme puissance de calcul pour faire tourner le jeu ». L’équipe a donc choisi d’adapter la maquette 3D fournie par l’ISCD en simplifiant la résolution de ces éléments et d’opter pour un style visuel qui assume un certain minimalisme.
Placere et docere (plaire et instruire)
Un médiateur culturel, Simon Azema, archéologue de formation, rejoint le projet pour apporter son expertise dans l’écriture du scénario, des énigmes et des dialogues. « Il fallait trouver un scénario qui plaise à un public suffisamment large : adolescents, adultes, joueurs et non joueurs », précise-t-il. L’autre défi que rencontre le médiateur, c’est de trouver l'équilibre entre pédagogie et divertissement : « Tout l'enjeu est d'apporter un contenu scientifique sans être trop didactique ». Des résultats de recherches archéologiques, comme le fonctionnement du velum, le tissu qui recouvrait le théâtre, ou la restitution sonore d’instruments antiques sont exploités dans le jeu. Pour cela, Simon Azema travaille main dans la main avec Ikigai. Une collaboration très enrichissante pour le médiateur qui découvre alors les coulisses du monde du jeu vidéo et se met au diapason pour comprendre les problèmes de codage et d'intégration informatique.
En plus du mode « jeu », Simon Azema propose d’ajouter un mode « visite virtuelle » : les joueurs peuvent alors explorer le théâtre de fond en comble et découvrir des endroits reculés, d’habitude inaccessibles aux visiteurs, des photos d'archives ou des reconstitutions numériques issues des travaux des archéologues.
L’interdisciplinarité, garante de la rigueur scientifique
Pour s’assurer de respecter le contexte historique de l’époque, Simon Azema se documente et échange régulièrement avec des archéologues et en particulier Nicolas Leys. Spécialiste de la modélisation des incendies dans la Rome antique, ce doctorant en archéologie numérique lui fournit les contenus scientifiques (études du décor, histoire du théâtre, etc.) que Simon intègre et adapte. Nicolas participe également à la construction du scénario ainsi qu'à la rédaction des textes : « Les fiches sur le décor, personnages, environnement, tous les éléments du jeu ont été vérifiés scientifiquement, affirme-t-il. Simon propose un scénario, puis nous en discutons pour le valider et faire en sorte qu’il colle à la réalité archéologique. »
Pour Pascal Frey, l’interdisciplinarité n’est pas aussi simple qu’on voudrait le croire : « elle demande du temps. Ce que souhaite faire le concepteur de jeu ne correspond pas forcément à ce qu'auraient attendu les archéologues ; le scénariste doit prendre en compte les contraintes techniques des développeurs ; les développeurs comprendre les besoins des scientifiques, etc. Il faut apprendre à se connaître. Et l'institut a servi de trait d'union entre tous ces acteurs. »
Aboutissement d'un véritable travail d'équipe, le jeu, développé en un peu plus d’une année, sera disponible gratuitement en juin 2021 sur PC et Mac via le site Ikigai et le portail Steam. Il sera également mis à disposition des enseignantes et enseignants du secondaire et du supérieur via le réseau Canopé.