Ikigai, la plateforme de jeux vidéo qui transforme l'apprentissage
Professeur de physique des particules à Sorbonne Université au sein d’un groupe de recherche international du LPNHE, Bertrand Laforge a monté la plateforme Ikigai. Cette plateforme de jeux vidéo pédagogiques novatrice promet une approche ludique et personnalisable de l'apprentissage pour la communauté enseignante et étudiante. Les professionnels qu’elle rassemble proposent une expertise en gamification au service de l’enseignement.
Partant du constat que la simulation numérique permettait, dans le domaine de la recherche en physique, de mieux comprendre certaines notions, Bertrand Laforge a eu l’idée de la mettre au service de l’apprentissage. Inspiré, il y a dix ans, par les cours de psychologie cognitive de Stanislas Dehaene du Collège de France, il a souhaité exploiter le potentiel du jeu vidéo pour améliorer les méthodes d'apprentissage dans le cadre de l’enseignement.
Surmonter les obstacles
Pour cela, il a d’abord cherché à comprendre pourquoi l'enseignement n'avait pas su, jusque-là, se saisir du jeu vidéo comme moyen pédagogique. « J'ai identifié plusieurs explications. D'abord les difficultés de développement et le frein économique. Créer un jeu coûte cher. Des jeux de l'industrie du jeu vidéo coûtent jusqu’à 400 000 000 d'euros. Et pour la production indépendante, il faut compter entre 5 00 000 à 5 000 000 € pour obtenir un jeu de bonne qualité ; par un montage optimisé et une approche mutualisée, Ikigai développe des projets de qualité pour des montants typiques de 50 000 à 200 000€, des sommes encore très conséquentes pour un établissement », explique Bertrand Laforge. Le deuxième frein qu’il repère concerne la nécessité d’avoir un pilotage scientifique et pédagogique du contenu du jeu, mais aussi des professionnels du jeu vidéo : game designers, programmeurs, direction artistique, etc., afin que le jeu puisse être adopté par le plus grand nombre. Le troisième obstacle est celui de la diffusion et de l’appropriation de l’outil. « Souvent le jeu ne touche que la petite communauté des gens qui les ont développés. Par ailleurs, en tant qu’enseignant, il faut réussir à coordonner cette activité pédagogique avec le reste des cours et leurs objectifs », précise-t-il.
En 2017, il rencontre Myriam Gorsse, responsable du département Formation et innovation pédagogique de la direction des Bibliothèques de Sorbonne Université (BSU), qui travaille depuis quelques années sur les questions de ludopédagogie. Elle lui présente le game designer Thomas Planques avec lequel elle vient de réaliser le jeu Hellink pour le compte de la BSU. Ensemble, ils créent Ikigai qui compte aujourd’hui 14 salariés. Plus qu'une simple plateforme de jeux, cette infrastructure novatrice permet aux enseignants de développer des jeux éducatifs personnalisables tout en étant accompagnés dans la prise en main des outils.
Un outil de recherche en ludopédagogie et en IA
Au-delà de son impact immédiat sur l'enseignement, Ikigai sert également de laboratoire pour la recherche en ludopédagogie, numérique pédagogique et intelligence artificielle appliquée à l'apprentissage. Capable de collecter des données d'usage à grande échelle, la plateforme offre un dépôt unique de données, ouvrant la voie à des recherches sur les mécanismes sous-jacents à l'apprentissage interactif.
Un objectif national
Accueillie en 2017 dans les locaux de la faculté des Sciences et ingénierie qui soutient le projet d’un point de vue administratif et pédagogique, l’équipe d’Ikigai développe d’abord un jeu de quiz et un jeu de simulation utilisés notamment en enseignement de première année. L’équipe continue ensuite de se professionnaliser en recrutant artistes et programmeurs du domaine du jeu vidéo. Ce qui a commencé comme une initiative locale gagne rapidement en envergure nationale. « Avec le soutien de Mehdi Gharsallah, qui était alors conseiller numérique du ministère, et du vice-président Numérique de l'époque à Sorbonne Université, Benjamin Thierry, j’ai constitué en 2018 un consortium d'une vingtaine d'établissements, universités et grandes écoles, laboratoires de recherche, instituts », indique l’enseignant-chercheur. En 2020, l'association Games for Citizens voit le jour pour administrer la plateforme et étendre la base de financement et de production. Elle permet ainsi de diminuer les coûts de production, de dépasser l’échelle de diffusion d’un établissement, et de faire bénéficier à des spécialistes de questions d'intérêt général de jeux déjà développés en interne. « Nous avons, par exemple, commencé à travailler avec la MGEN autour de la prévention contre le cyber-harcèlement, en développant un chapitre de Hellink », précise le président de l’association. À Sorbonne Université, Ikigai a aussi collaboré avec l’Institut des Sciences du Calcul et des Données (ISCD) pour exploiter une modélisation du théâtre d’Orange effectuée dans le cadre d’un programme de recherche mené à la la faculté des Lettres afin d’en faire le jeu Arausio.
Cette fidèle reconstitution permet de vulgariser les découvertes effectuées sur le site auprès des étudiants en archéogie et des scolaires. Games for Citizens collabore également avec des structures comme France Université Numérique, des musées, des services de médiation, des associations susceptibles d’apporter un contenu de qualité.
S’adapter aux besoins de chaque projet
Pour développer les jeux, l’équipe d’Ikigai s’adapte aux besoins des commanditaires. « Par exemple, pour le jeu Climat Tic Tac lancé par l’IPSL, les règles du jeu étaient déjà établies, explique Bertrand Laforge. Nous avons apporté notre expertise en termes de construction d'un outil numérique qui permet de proposer une alternative complémentaire et donner une plus grande visibilité à ce jeu, notamment grâce à un format en distanciel. »
L’association propose un libre usage des jeux de la plateforme pour ce qui concerne la formation initiale et les activités non lucratives d’intérêt général. Les cotisations des adhérents servent à développer les services communs, mais aussi à prendre en charge la maintenance dans la durée des jeux. « Nous pouvons aussi faire évoluer les jeux, les adapter, développer des parties supplémentaires ». En contrepartie, les établissements acceptent que des données d’usage soient recueillies par Ikigai pour participer au processus de recherche sur l’éducation numérique. « Ils doivent également consentir à ce que le jeu dépasse leurs intérêts privés car nous ne sommes pas dans une logique de prestation, mais bien de diffusion à l'échelle du consortium », conclut Bertrand Laforge.
Zoom sur FlashCards by Ikigai
Parmi les nombreux jeux qu'Ikigai a développés, FlashCards by Ikigai se distingue par son approche novatrice basée sur les neurosciences. Le jeu, développé en partenariat avec l’université de Lille, offre une expérience d'apprentissage personnalisée, adaptée à différentes disciplines, favorisant la mémorisation à long terme par le biais de révisions espacées.
Les neurosciences ont montré que plus on répétait un apprentissage, plus on le mémorisait dans la durée. L’application FlashCards by Ikigai, disponible sur mobile et sur ordinateur, permet à l’utilisateur de réviser tel ou tel sujet au meilleur moment de sa courbe d’apprentissage pour réactiver, de façon optimale, le travail de mémorisation.
Adaptable à toutes les disciplines, cet outil permet de générer plusieurs questions afin d’accompagner l'ancrage des connaissances. Il peut être utilisé par la communauté étudiante pour le travail de révision, mais aussi par les enseignants qui pourront indiquer, grâce à un éditeur en ligne, ce qui, dans un cours, doit être retenu pour quelques mois et ce qui doit être mémorisé dans la durée à très long terme.
D’autres jeux sont en cours de développement, comme le "Masters Quiz!". Réalisé dans le cadre de Sorbonne Université, ce jeu offre des fonctionnalités avancées, permettant aux étudiants et aux enseignants de créer des quiz personnalisés, de jouer entre eux et même d'étendre l'utilisation d’un quiz à l’échelle d’un établissement voire du consortium national.