Les algorithmes au service de la reconstitution faciale 3D
L’Institut des sciences du calcul et des données (ISCD) a mis ses compétences au service d’un documentaire pour redonner un visage à un crâne humain non identifié.
Utilisé comme accessoire sur un court-métrage, Bruto est un crâne dont la réalisatrice Carole Grand a voulu retracer l’histoire. Dans son documentaire diffusé sur France Télévisions, elle a remonté le fil des personnes qui l'ont côtoyé et fait appel à l’expertise de plusieurs scientifiques, dont ceux de l’ISCD, pour retrouver son origine.
La réalisatrice s’est d’abord rendue au Muséum national d’Histoire naturelle pour faire dater le crâne au carbone 14 et le numériser, puis au Musée de l’Homme pour obtenir son analyse ADN. Ses investigations lui ont permis de découvrir que le crâne appartenait à un homme caucasien de 40 à 60 ans qui aurait vécu entre le 17e et le 19e siècle. C’est lors de ces recherches que la vidéaste a rencontré des acteurs de la chaire FaciLe, un programme pluridisciplinaire créé en 2014 à l’ISCD autour de la reconstitution faciale. L’équipe lui a alors proposé de redonner un visage à Bruto.
Reconstituer un visage en 3D à partir d’un crâne
Pour ce faire, les scientifiques sont partis du travail de reconstitution numérique du crâne réalisé par les anthropologues du MNHN. Ils ont ensuite utilisé un programme de morphing développé dans le cadre de la chaire FaciLe. Ce logiciel permet de calculer la déformation élastique entre un crâne de référence, pour lequel le visage de la personne est connu, et le crâne qu’il s’agit d’identifier. L’idée étant ensuite d’appliquer la même déformation sur le visage de référence pour reconstituer le visage de l’inconnu. « On extrait, de notre base de données, plusieurs associations crâne/visage suffisamment représentatives des critères d’âge, de sexe, d’origine ethnique du sujet à identifier. À partir de là, on fabrique une nouvelle combinaison crâne/visage qui va servir de référence pour modéliser le visage, explique le directeur de l’ISCD, Pascal Frey, à l’origine du projet. La méthode, qui repose sur des paramètres biophysiques, est complétement automatique et a déjà fait l’objet de plusieurs publications dans des revues de mathématiques et de médecine légale ».
À partir de cette reconstitution faciale vierge, c’est au tour de Chloé Guennou, ingénieure de recherche en visualisation scientifique à l’ISCD, d’habiller le visage avec des caractères secondaires : texture de peau, cheveux, rides, expressions, poils, sourcils, couleurs des yeux, etc. Un véritable travail de game artist dont « la difficulté est de donner un rendu réaliste, sans modifier la morphologie initiale donnée par l’algorithme », précise l’ingénieure.
La force de cette technique innovante repose sur sa fiabilité et le fait de pouvoir décliner rapidement plusieurs versions d’un visage : « La technique traditionnelle, utilisée notamment en muséographie, consiste le plus souvent à sculpter le visage, en pâte à modeler, en utilisant des tables statistiques qui donnent l’épaisseur moyenne des tissus. Cette démarche, plus plastique que scientifique, donne généralement un visage neutre qui reflète la physionomie moyenne d’un individu de tel âge et de tel sexe dans une population donnée, mais pas les traits qui font qu’on reconnaît une personne. Notre approche est au contraire de nous écarter le plus possible de la moyenne, en procédant par modélisation mathématique et en intégrant des paramètres très fins, comme, par exemple, la forme et la taille des muscles du visage. Outre sa robustesse scientifique, l’intérêt de notre méthode est de pouvoir jouer sur le degré d'adiposité, la vieillesse, les caractères secondaires, etc. Cela permet de fournir non pas une reconstruction, mais une série de portraits pour maximiser les chances de reconnaitre quelqu'un, dans le cadre de la police judiciaire, par exemple », explique le directeur.
Des applications dans de nombreux domaines
Car au-delà de sa contribution pour le film documentaire, l’objectif de l’ISCD est de poursuivre le développement du logiciel afin de le rendre accessible plus largement. « Bruto nous a permis de tester ce qu'il reste encore à développer, comme l'automatisation du processus », indique Chloé Guennou. Un travail qui s’inscrit dans l'axe de visualisation scientifique de l’ISCD qu’elle coordonne, et qui associe des étudiants de l’ISART Digital, une école parisienne de jeu vidéo et d’animation 3D. « L’idée est d’importer les technologiques du monde du jeu vidéo dans la science. Nous travaillons, par exemple, sur la simulation d'incendies dans la Rome antique ou la reconstitution visuelle 3D du théâtre d’Orange. Avoir des visualisations est important pour la vulgarisation, mais ça l’est aussi pour favoriser la discussion entre les scientifiques de différentes disciplines : archéologues, ingénieurs, mathématiciens, chirurgiens, médecins, etc. », poursuit l’ingénieure.
« Dans le cadre de la chaire FaciLe, nous avons travaillé, au départ, avec l’Institut de médecine légale de Paris qui nous avait confié que sur près de 2000 autopsies, environ 10% des corps restaient non identifiés, ajoute Pascal Frey. La police et la gendarmerie ont des outils en 2D, comme le portrait-robot, mais il leur manque la visualisation 3D pour reconnaître les personnes. L’un des objectifs de la chaire était donc de développer cet aspect. » Aujourd’hui, le directeur souhaite démocratiser le logiciel développé dans son institut : « On peut envisager, par exemple, que n’importe quelle personne qui dispose d’un crâne numérisé puissent nous l’envoyer, à travers une interface web, et récupère le visage numérique 3D correspondant. On pourrait ensuite fournir aux utilisateurs une seconde application graphique qui leur permettrait d'habiller ce visage en jouant sur des paramètres secondaires (couleur des yeux, cheveux, etc.) » Cet outil open source pourrait être utilisé non seulement en médecine légale, mais aussi par le grand public, les musées, les chirurgiens ou encore les paléontologues et les archéologues.