• Communiqué de presse

Une technique de mesure plus fiable pour évaluer le déficit d’oxygène dans les eaux naturelles causé par la pollution

Une équipe internationale dirigée par l'Université de Xiamen, en Chine, et associant le Laboratoire d’océanographie de Villefranche (Sorbonne Université/CNRS) et le Centre pour les matériaux et la recherche côtière (Helmoltz-Zentrum hereon GmbH, Allemagne) a mis au point une nouvelle technique pour déterminer, de façon plus fiable, le niveau de pollution par les eaux usées des lacs, des rivières et des eaux marines côtières. Les résultats de leur étude ont été publiés le 14 avril dans la revue scientifique Science Advances.

  • Louis Legendre, professeur émérite à Sorbonne Université et chercheur au Laboratoire d'Océanographie de Villefranche
  • Claire de Thoisy-Méchin, service presse Sorbonne Université
  • 01 44 27 23 34 - 06 74 03 40 19

Dans leur étude, les scientifiques décrivent une nouvelle technique pour améliorer la mesure conventionnelle de la pollution de l'eau appelée « demande biologique en oxygène » (DBO). Cette nouvelle technique de mesure de la DBO présente l’avantage de faire toutes les mesures sur un même échantillon d’eau et de déterminer la consommation d’oxygène sans interférer avec l'échantillon. Avec cette nouvelle technique, un capteur optique d'oxygène est inséré dans le récipient. La teneur en oxygène peut ainsi être mesurée en continu directement dans chacun des échantillons, sans les perturber, offrant une mesure beaucoup plus précise et plus facile de la DBO.

Lorsque les eaux usées domestiques se déversent dans les rivières et les lacs, elles y apportent des quantités considérables de résidus ménagers, de matières fécales et d'autres substances organiques, qui contiennent tous du carbone. Ces substances sont éliminées par des bactéries dont la respiration consomme de l'oxygène dissous dans l'eau. Plus la quantité d'eaux usées est importante, plus les bactéries prolifèrent et plus elles consomment d'oxygène. En conséquence, la teneur en oxygène de l'eau diminue progressivement, pouvant conduire à l'asphyxie de la faune aquatique et à la création de zones dites « mortes » rencontrées dans plusieurs rivières, lacs et eaux côtières du monde.

Afin de mesurer le niveau de pollution des eaux par la matière organique, les organismes gouvernementaux et les chercheurs universitaires prélèvent régulièrement des échantillons d'eau pour y mesurer des indicateurs appelés « demande chimique en oxygène » (DCO) et « demande biologique en oxygène » (DBO). Le premier permet de déterminer rapidement la teneur en substances organiques via une réaction chimique. Le second requiert, quant à elle, plusieurs jours et reflète l'activité microbienne.

L’étude menée par l'équipe internationale, dont un chercheur du Laboratoire d’océanographie de Villefranche (LOV, Sorbonne Université/CNRS), montre que la méthode chimique (DCO) fournit des valeurs qui ne permettent pas d'établir le degré réel de pollution de l'eau. En effet, cette méthode ne distingue pas les substances organiques provenant des eaux usées et rapidement consommées par les bactéries, de celles naturellement présentes dans les eaux des lacs et rivières et peu ou très lentement utilisées par ces micro-organismes. « À titre d'exemple, les données de la DBO du fleuve Han, en Corée du Sud, montrent que la pollution organique y a diminué au cours des vingt dernières années. En revanche, les mesures de la DCO sont demeurées très élevées pendant toute la période car, dans ce cas-ci, des substances naturelles non dégradables par les bactéries constituent une grande partie de la matière organique dans l'eau », explique Louis Legendre, professeur émérite à Sorbonne Université/CNRS et chercheur au LOV.

 

Des analyses biologiques compliquées

Afin de mesurer de manière fiable la pollution réelle de l’eau, on utilise la méthode fondée sur la demande biologique en oxygène (DBO). Elle consiste à prélever tout d'abord des échantillons d'eau pour y mesurer immédiatement la teneur en oxygène de l'eau sur une partie des échantillons, qui sert de valeur initiale. En parallèle, un ou plusieurs autres prélèvements sont laissés au repos, fermés hermétiquement durant cinq jours. Pendant ce laps de temps, les bactéries décomposent les substances organiques contenues dans ces prélèvements et consomment une partie de l'oxygène dissous dans l'eau. Après les cinq jours, la teneur en oxygène de ces prélèvements est mesurée. La DBO est calculée en faisant la différence entre la valeur initiale et celle mesurée après cinq jours.
Les mesures d'oxygène sont généralement effectuées au moyen d'analyses chimiques.« La mesure de la DBO est beaucoup plus réaliste que la DCO car les bactéries décomposent de préférence les molécules organiques des eaux usées tout en laissant intactes les molécules à longue durée de vie; au contraire, la DCO mesure toutes les molécules organiques y compris celles que les bactéries n'utilisent pas et qui ne causent pas de pollution, comme montré par l'exemple du fleuve Han », détaille Louis Legendre.
Toutefois, la méthode de la DBO s’avère plus complexe et plus longue que celle de la DCO et n'est donc pas toujours employée.

 

L’équipe scientifique pense que la mesure de la DBO par la nouvelle technique optique pourrait devenir la norme d'ici quelques années. Il serait ainsi possible de déterminer plus sûrement l'efficacité des mesures de lutte contre la pollution des eaux continentales et côtières.

Référence :

Correcting a Major Error in Assessing Organic Carbon Pollution in Natural Waters, Nianzhi Jiao, Jihua Liu, Bethanie Edwards, Zongqing Lv, Ruanhong Cai, Yongqin Liu, Xilin Xiao, Jianning Wang, Fanglue Jiao, Rui Wang, Xingyu Huang, Bixi Guo, Jia Sun, Rui Zhang, Yao Zhang, Kai Tang, Qiang Zheng, Farooq Azam, John Batt, Wei-Jun Cai, Chen He, Gerhard J. Herndl, Paul Hill, David Hutchins, Julie LaRoche, Marlon Lewis, Hugh MacIntyre, Luca Polimene, Carol Robinson, Quan Shi, Curtis A. Suttle, Helmuth Thomas, Douglas Wallace, Louis Legendre, Science Advances, April 14 2021

DOI : 10.1126/sciadv.abc7318