• Communiqué de presse

Une étude met en lumière les biais méthodologiques qui ont abouti à sous-estimer la durée moyenne de séjour en réanimation de patients COVID-19 rapportée dans la littérature scientifique au début de l'épidémie

L’étude franco-chinoise, conduite à l'Institut Pierre-Louis d'Épidémiologie et de Santé Publique (IPLESP) et associant des chercheurs de Sorbonne Université, de l’Inserm, de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, et de l'hôpital Zhongnan de l'Université de Wuhan, a été publiée en ligne dans Annals of Intensive Care le 16 octobre 2020.

La pandémie de COVID-19 a conduit presque partout dans le monde à des interventions ayant un immense impact sur l'ensemble du fonctionnement de la société humaine. Un objectif majeur de ces interventions est de diminuer autant que possible le nombre quotidien de personnes atteintes de COVID-19 nécessitant une admission dans un service de réanimation, afin que les systèmes de santé puissent prendre en charge correctement ces patients et aussi ceux affectés par toutes les autres pathologies.
 
La durée moyenne de séjour est un paramètre clé pour la gestion des flux des patients. Aussi, lors de l'émergence de l'épidémie de COVID-19, estimer relativement rapidement la durée moyenne de séjour en réanimation des patients COVID 19 (DMSR) est très important car ce paramètre contribue à modéliser les scénarios les plus vraisemblables auxquels l'organisation des systèmes de soins pourrait être confrontée, et ainsi contribuer à guider la décision publique dans ses interventions relatives à la gestion de cette nouvelle maladie.
 
Dans une première partie, l'étude explore l'évolution de diverses méthodes d'estimation au cours du temps, tandis que les données de séjour vont s'accumuler.
 
Utilisant les données de 59 patients COVID-19 admis en réanimation à Wuhan et suivis jusqu'à leur sortie ainsi que des simulations, les chercheurs ont notamment comparé les évolutions temporelles d'une estimation de la DMSR fondée uniquement sur les durées des séjours complétés au jour de l'estimation (méthode DPE pour Discharged Patients’ Estimation – estimation fondée sur les séjours des patients sortis au plus tard le jour de l'estimation), et d'une estimation qui intégrerait aussi les données des séjours qu'on appelle "censurés", c’est-à-dire les séjours encore en cours au jour de l'estimation (méthode CPE pour Censored Patients’ Estimation – estimation intégrant les séjours des patients censurés).
 
Les résultats indiquent que la méthode CPE, non biaisée, fournit relativement tôt une estimation proche de la valeur réelle de la DMSR, au moment où une dizaine de sorties seulement ont été observées, tandis qu'au même moment, la méthode DPE, biaisée, sous-estime largement (presque de moitié) la valeur réelle de la DMSR. Le biais de sous-estimation inhérent à la méthode DPE peut se comprendre du fait que les premiers séjours complétés que l'on va observer vont plutôt concerner des séjours relativement courts, alors que les séjours complétés les plus longs seront plutôt observés plus tardivement.
 
En effet, comme l'indiquent Yan Zhao et Xianlong Zhou "9 des 10 premières sorties de réanimation que nous avons observées à Wuhan correspondaient à des patients dont la durée de séjour était inférieure à 15 jours, alors qu'inversement, 8 des 10 dernières sorties observées correspondaient à des patients dont la durée de séjour était supérieure à 30 jours."
 
Dans une deuxième partie, l'étude constate que les DMSR rapportées par la plupart des articles scientifiques majeurs parus au début de la pandémie étaient fondés sur la méthode DPE, avec pour conséquence une large sous-estimation de la DMSR.
 
"Il est étrange que des grands journaux scientifiques aient publié ces estimations biaisées, on s'attendrait à ce que l'équipe éditoriale demande aux auteurs d’utiliser une méthode d'estimation appropriée et non biaisée tenant compte des données censurées : de fait, ces méthodes sont bien connues depuis de nombreuses années et peuvent être mises en œuvre dans les logiciels usuels d'analyse statistique" indiquent Nathanaël Lapidus et Gilles Hejblum qui ont conduit cette étude.
"L'objectif de cette publication est d'alerter la communauté sur la nécessité d'utiliser une méthode rigoureuse pour estimer la durée moyenne de séjour en réanimation de patients COVID-19." précisent ces auteurs. Ils suggèrent que des estimations non biaisées devraient être conduites en routine tout au long de l'épidémie afin de documenter l'évolution de la prise en charge en réanimation.
 

Référence :

Biased and unbiased estimation of the average length of stay in intensive care units in the Covid 19 pandemic
Nathanael Lapidus, Xianlong Zhou, Fabrice Carrat, Bruno Riou, Yan Zhao and Gilles Hejblum