Pêcher moins, et de plus petits poissons, pour continuer à en pêcher des gros !
La pêche intensive provoque en moyenne une diminution de 30 % de la taille du corps des poissons. Cette diminution en taille réduit les rendements de la pêche, et a des conséquences écologiques importantes : des poissons plus petits sont des prédateurs moins efficaces et des proies plus faciles. Des chercheurs d’INRAE, du CNRS et de Sorbonne Université se sont intéressés aux mécanismes d’évolution inhérents aux populations de poissons pêchés. Leurs résultats, parus le 16 mars dans la revue Ecology Letters, suggèrent que ce rapetissement ne résulte pas seulement de la pêche sélective des grands poissons, mais aussi de l’affaiblissement par la pêche de la sélection naturelle, dépendante de la densité d’individus, au sein de ces populations. Ces résultats appuient le développement d’une pêche plus durable et responsable, pour assurer un approvisionnement plus juste et sécuriser l’alimentation de demain.
-
Service presse INRAE
-
Eric Edeline, unité de recherche "Ecologie et santé des écosystème", INRAE Bretagne-Normandie
-
Marion Valzy, service presse Sorbonne Université
-
01 44 27 37 13 - 06 14 02 20 51
Dès les années 1960, la taille des poissons pêchés tend à diminuer. Jusqu’à maintenant, on pensait que ce phénomène résultait uniquement de la pêche préférentielle des poissons de grande taille (par rapport à la taille moyenne observée pour l’espèce). Mais cette hypothèse revenait à considérer la sélection naturelle comme une force évolutive négligeable, or ce n’est pas si simple... C’est pourquoi des chercheurs d’INRAE, du CNRS et de Sorbonne Université1 ont étudié ce phénomène, dans des populations de medaka, une espèce de poisson servant habituellement de modèle en laboratoire. Ils ont débuté leur expérimentation de 5 ans dans 12 bassins extérieurs au CEREEP Ecotron-Île-de-France (CNRS/ENS Paris) avec le postulat suivant : la sélection naturelle favorise les poissons de grande taille, car les grands individus sont avantagés dans la compétition pour les ressources alimentaires. Mais la pêche, en réduisant le nombre d’individus et donc la compétition, diminue la pression de la sélection naturelle pour une grande taille. Quel phénomène est véritablement responsable du rapetissement des populations exploitées, la pêche en elle-même ou l’effet indirect d’une sélection naturelle moins efficace ?
Pour percer ce mystère, les chercheurs ont étudié différentes densités de population (de 3 à 14 poissons/m²) soumises ou non à une pêche. Leurs résultats confortent leur postulat initial, à savoir que la sélection naturelle favorise bien les individus de grande taille, mais uniquement à des fortes densités de population. Au contraire, la pêche sélective conduit au maintien de poissons plus petits dans les populations et, en parallèle, diminue les densités de population. Ainsi, une sélection naturelle dépendante de la densité serait à l’œuvre, impliquant un double phénomène : la sélection directe de poissons plus petits et l’affaiblissement simultané de la sélection naturelle pour une grande taille.
Cette découverte suggère alors que pour lutter contre le rapetissement des poissons il faut actionner plusieurs leviers en parallèle, pêcher des poissons plus petits et veiller à maintenir des abondances en poissons suffisamment élevées pour que la sélection naturelle puisse agir.
[1] A l’Institut d'écologie et des sciences de l'environnement de Paris (CNRS/Sorbonne Université/Université Paris Est créteil Val de Marne/INRAE/IRD), au Centre de recherche en écologie expérimentale et prédictive - Ecotron Ile De France (CNRS/ENS Paris) et au Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CNRS/Université de Montpellier/IRD/EPHE) et au laboratoire Ecology and Ecosystem Health d’INRAE.
Référence :
Bouffet‐Halle, A., Mériguet, J., Carmignac, D., Agostini, S., Millot, A., Perret, S., Motard, E., Decenciere, B. and Edeline, E. (2021), Density‐dependent natural selection mediates harvest‐induced trait changes. Ecology Letters, 24: 648-657. https://doi.org/10.1111/ele.13677