La stabilité des plateformes de glace de la péninsule Antarctique mise à l’épreuve des rivières atmosphériques
Selon une nouvelle étude menée par des scientifiques[1] de l'Université Grenoble Alpes, du CNRS, de Sorbonne Université et d'Aix-Marseille Université, ainsi qu’au Portugal, en Belgique, en Allemagne et Norvège, les rivières atmosphériques les plus intenses provoquent des conditions extrêmes qui déstabilisent les plateformes de glace de la péninsule Antarctique. Leur étude sera publiée dans la revue Communications Earth & Environment le 14 avril 2022.
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Muriel Jakobiak-Fontana, directrice adjointe communication - Université Grenoble Alpes
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Vincent Favier
80 % de l’écoulement total de la glace de l'Antarctique vers l’océan transite via d'immenses baies où la glace reste confinée sous l’effet d’arc-boutant pour former des plateformes. L’effet d’arc boutant transfère le frottement exercé sur les bords de la plateforme et au contact d’affleurements rocheux océaniques, vers les glaciers qui l’alimentent. En cas de désintégration d’une plateforme de glace, la disparition de l’effet d’arc-boutant provoque une accélération massive des glaciers.
Au cours des 30 dernières années, le long de la Péninsule Antarctique (figure 1), plusieurs désintégrations spectaculaires ont eu lieu, faisant craindre un recul rapide de la glace continentale de cette région. Les deux événements les plus spectaculaires, sur les plateformes de Larsen A (durant l'été austral 1995) et Larsen B (durant l'été austral 2002), avaient provoqué la disparition de plusieurs milliers de kilomètres carrés de glace. Les causes de ces déstabilisations ont été étudiées et décrite s individuellement et montrent l’existence de facteurs océaniques et atmosphériques. Grâce à leur étude, les scientifiques ont montré que les rivières atmosphériques provoquaient une chaîne de facteurs responsables de la déstabilisation des plateformes de glace.
Les rivières atmosphériques représentent de fines bandes de circulation atmosphérique dans lesquelles d’importantes quantité de vapeur d'eau sont transportées des tropiques vers les hautes latitudes. Cette étude montre que les rivières atmosphériques causent la grande majorité des extrêmes de température et de précipitations sur la péninsule Antarctique, dont le record absolu de température pour l’ensemble du continent Antarctique (18,3°C), établi à la station d’ Esperanza le 6 février 2020. Ces températures extrêmes entraînent une intense fonte de surface et la saturation de la neige par l’eau liquide, puis provoque le ruissellement horizontal et le remplissage de lacs et de crevasses. Ce phénomène contribue au processus de fracturation hydraulique, qui est un des moteurs des désintégrations. Les rivières atmosphériques provoquent également l’éparpillement de la glace de mer autour des plateformes (figure 2), permettant à la houle océanique d’atteindre les plateformes qu’elle fragilise par mouvement de flexion. Ces effets des rivières atmosphériques ont été observés lors de l'effondrement des plateformes de glace de Larsen A et B, et lors de 60 % des événements de vêlage de grands icebergs après l’année2000. Ainsi, les rivières atmosphériques les plus intenses provoquent une série d'impacts (résumés dans la figure 1) tels que les extrêmes de température, de fonte et de ruissellement de surface, la désintégration de la glace de mer et génération de houle intense ; tous ces processus étant connus pour déstabiliser les plateformes de glace.
La plateforme de Larsen C est aujourd’hui la plus grande plateforme de glace encore en place le long de la Péninsule Antarctique. Alors que le climat se réchauffe fortement en Péninsule Antarctique, elle sera probablement la prochaine zone vulnérable en vue d’une possible désintégration. L'effondrement de la plateforme de glace de Conger lors d'un événement de rivière atmosphérique au-dessus de l'Antarctique de l’Est à la mi-mars 2022, suggère que cette vulnérabilité dépasse le cadre de la Péninsule Antarctique. Le lien de causalité entre rivières atmosphériques et instabilité des plateformes en Péninsule doit permettre d’établir quelles seront les autres plateformes vulnérables en Antarctique face aux impacts rivières atmosphériques.
[1] Laboratoires impliqués : Institut des géosciences de l'environnement (CNRS/IRD/UGA)CESAM - Centre for Environmental and Marine Studies, Department of Physics, University of Aveiro, Portugal Institute of Geography, Friedrich–Alexander University, Erlangen, Germany Arctic Frontiers AS, Tromsø, Norway British Antarctic Survey, Cambridge, UK Laboratory of Climatology, Department of Geography, University of Liège, Liège, Belgium
Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CNRS/CEA/UVSQ)