La consommation de cannabis dès l’adolescence serait associée à un risque plus élevé de chômage à l’âge adulte
La France compte l'un des plus hauts niveaux de consommation de cannabis au monde, près de 40 % des jeunes de 17 ans indiquant une consommation au cours de l’année écoulée. Alors que de précédentes études avaient mis en lumière l’existence d’une éventuelle relation causale entre l’initiation précoce de la consommation de cannabis pendant l’adolescence et le niveau d’étude atteint plus tard, des chercheuses et chercheurs de l’Inserm et Sorbonne Université à l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique se sont penchés sur l’impact de cette expérimentation précoce sur la situation de l’emploi à l’âge adulte. Les résultats de l’étude indiquent que les personnes ayant consommé du cannabis seraient plus susceptibles de connaître une période de chômage par la suite, surtout si l’initiation à cette drogue a eu lieu avant l'âge de 16 ans. Les résultats, qui portent sur le suivi de 1 500 personnes sur neuf ans, sont publiés dans la revue Drug and Alcohol Dependence.
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Maria Melchior, directrice de recherche Inserm
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Service de presse de l'Inserm
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Marion Valzy, service de presse de Sorbonne Université
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06 14 02 20 51
Parmi les 17,1 millions de jeunes Européens (âgés de 15 à 34 ans) ayant déclaré avoir consommé du cannabis au cours de l’année précédente, 10 millions d’entre eux étaient âgés de 15 à 24 ans1. Des données de recherches en neurosciences montrant des lésions spécifiques chez les adolescents consommateurs soutiennent l’idée qu’il existerait un effet négatif direct de la consommation de cannabis sur la concentration, la motivation, et à terme la réussite scolaire des jeunes.
Des chercheuses et chercheurs de l’Inserm et de Sorbonne Université se sont désormais intéressés à l’âge de début de la consommation de cannabis et à son impact sur l'insertion professionnelle future des jeunes. Grâce à des données collectées via la cohorte Tempo2, ils ont identifié une association entre expérimentation précoce de la drogue (avant 16 ans) et difficultés d’insertion professionnelle à l’âge adulte.
L’analyse a porté plus précisément sur un échantillon de 1 487 jeunes adultes qui ont été suivis sur une période de neuf ans, entre 2009 et 20183. À quatre reprises au cours de cette période, les participants ont été interrogés sur l’âge de leur première consommation de cannabis et leur statut professionnel. D’autres éléments ont également été pris en compte pour éviter de biaiser l’analyse, comme le niveau socio-économique, la situation familiale, les difficultés scolaires rencontrées au cours de l’enfance et de l’adolescence ainsi que l’évaluation psychologique des participants.
Les résultats suggèrent que les personnes qui ont déclaré avoir initié leur consommation de cannabis à l'âge de 16 ans ou avant auraient environ deux fois plus de chances de vivre une période de chômage à l'âge adulte4 que celles n'ayant jamais consommé de cannabis. Tandis que les consommateurs de cannabis ayant débuté leur consommation après l'âge de 16 ans auraient 39 % plus de chances de rencontrer une période de chômage à l’âge adulte que celles n’ayant jamais consommé cette drogue.
La consommation précoce : un marqueur de risque d’épisodes de chômage répétés
Les chercheurs se sont également intéressés à l’impact potentiel de la consommation précoce de cannabis sur le risque de connaître des épisodes de chômage répétés. Les personnes ayant initié leur consommation de cannabis à un âge précoce auraient trois fois plus de chances de connaître plusieurs épisodes de chômage que celles qui ont déclaré ne jamais avoir expérimenté le cannabis.
Toujours selon les résultats de cette étude, les expérimentateurs tardifs de cannabis (âgés de plus de 16 ans lors de leur première consommation de cannabis) auraient 51 % de chances supplémentaires de connaître une période de chômage au moins une fois par rapport à ceux n’ayant jamais consommé de cannabis et deux fois plus de chances de connaître des épisodes de chômage répétés.
Par ailleurs, en comparant les expérimentateurs précoces et tardifs de cannabis, les chercheurs ont constaté que la probabilité de connaître des épisodes de chômage répétés était 92 % plus élevée dans le groupe des consommateurs les plus jeunes, par rapport aux consommateurs âgés de plus de 16 ans au moment de leur initiation à la drogue.
« Ces résultats viennent s'ajouter à la littérature existante qui montre qu'en plus de la fréquence de la consommation de cannabis, l'âge de la première expérience du cannabis est associé à des conséquences néfastes non seulement sur la santé mais aussi sur la vie sociale et économique des individus. La consommation de cannabis avant l’âge de 16 ans peut donc être considérée comme un marqueur de risque de chômage. Reporter le plus tard possible les expérimentations de cannabis devrait être un objectif des politiques publiques », explique Maria Melchior, directrice de recherche Inserm et dernière auteure de l’étude.
En s'appuyant sur les données recueillies via la cohorte Tempo sur près de 30 ans, les chercheurs souhaitent désormais identifier les facteurs prédictifs des trajectoires de consommation du cannabis dans le temps. Une démarche d’autant plus importante que les usagers de cannabis ayant démarré au cours de l’adolescence sont de plus en plus nombreux à poursuivre cette consommation à l’âge adulte sans que les mécanismes sous-jacents ne soient bien connus.
[1] OEDT, 2017
[2] La cohorte Tempo est un projet de recherche sur la santé au long cours mis en place par des chercheurs en santé publique de l’Inserm.
[3] Les participants de l’étude étaient âgés de 22 à 35 ans au moment de leur inclusion en 2009.
[4] Ici cet âge adulte correspond à la tranche des 31-44 ans, les participants étant âgés de 22 à 35 ans au moment de leur inclusion en 2009.
Références :
Adolescent cannabis experimentation and unemployment in young to mid-adulthood: Results from the French TEMPO Cohort study
Katharine M.Barrya Ramchandar Gomajeea Isabelle Kousignianb Joel José Herranz Bustamantea Paula Lakrouta Murielle Mary-Krausea Maria Melchiora
a Sorbonne Université, Inserm, Institut Pierre Louis d’Epidémiologie et de Santé Publique (IPLESP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Sociale (ERES), Faculté de Médecine St Antoine, 27 rue de Chaligny, 75571 Cedex 12 Paris, France
b Université de Paris, Unité de Recherche " Biostatistique, Traitement et Modélisation des données biologiques ", BioSTM - 4 avenue de l’Observatoire, 75006 Paris, France
Drug and Alcohol Dependence, novembre 2021
DOI : https://doi.org/10.1016/j.drugalcdep.2021.109201