Dilemme cytokinique : virus contre inflammation
Des équipes du département d’Immunologie, du service de Médecine interne 2 de l’hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP, de l’Inserm et de Sorbonne Université, en lien avec le Centre d'Immunologie et des Maladies Infectieuses (CIMI-Paris), ont pour la première fois étudié les effets de la survenue d’anticorps anti-interférons de type 1 (IFNs-I) sur l’évolution d’une maladie inflammatoire, le Lupus Systémique (LS). Ces travaux montrent que les anticorps anti-IFNs-I pourraient conférer un risque viral accru aux patients porteurs de ces auto-anticorps, mais qu’en retour leur maladie inflammatoire pourrait s’en trouver améliorée. Les résultats de cette étude à promotion AP-HP, coordonnée par le Dr Alexis Mathian et le Pr Guy Gorochov, ont fait l’objet d’une publication le 16 août 2022 au sein de la revue Annals of the Rheumatic Diseases.
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Service presse de l'AP-HP
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Marion Valzy, service presse de Sorbonne Université
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Les interférons de type 1 (IFNs-I) jouent un rôle central dans le contrôle précoce des infections virales. Les IFNs-I sont également impliqués dans la pathogénie du Lupus Systémique (LS), une maladie auto-immune touchant principalement les femmes jeunes et chez qui on retrouve une sur-expression d’IFNs-I, et en particulier d’IFN-α.
Une étude récente1 a mis en évidence que les auto-anticorps capables de neutraliser les IFNs-I sont retrouvés respectivement chez 7 % des 15 % des patients présentant une infection Covid-19 sévère ou critique. Les circonstances d’apparition de ces auto-anticorps neutralisants restent jusqu’à présent inconnues, de même que leurs effets sur l’inflammation.
L’équipe de recherche, en lien avec l’Institut Pasteur, l’Université Paris Cité et l’institut Imagine, a étudié l’association entre la présence et le caractère neutralisant d’auto-anticorps anti-IFN-α sériques et la survenue de complications infectieuses ou de poussées évolutives de la maladie.
En lien avec les cliniciens du Centre de Référence pour le Lupus, le syndrome des anti-phospholipides et autres maladies auto-immunes rares, dirigé par le Pr Zahir Amoura, l’équipe de recherche a mené une étude rétrospective monocentrique sur l’analyse immunologique et clinique d’une cohorte de 609 patients suivis pour un LS à l’hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP.
Les auto-anticorps anti-IFN-α sont détectés chez un peu plus de 10% des patients atteints d’un LS. Ces anticorps ne sont pas tous capables de neutraliser l’activité antivirale de l’interféron. Ainsi, les anticorps non-neutralisants sont présents chez 8,4 % des patients alors que les anticorps neutralisants sont détectés chez 3,3 % des patients.
Les patients porteurs d’anticorps non-neutralisants présentent des taux d’IFN-α sériques plus élevés que les patients porteurs d’auto-anticorps neutralisants. En parallèle, les patients porteurs d’anticorps anti-IFN-α neutralisants présentent une maladie lupique moins évolutive que les patients porteurs simplement d’anticorps non-neutralisants.
A l’inverse, seuls les anticorps neutralisants sont associés à un risque accru de pneumonie Covid-19 sévère ou d’épisodes de zona. En particulier, la présence d’auto-anticorps capables de neutraliser à la fois l’IFN-α et l’IFN-omega conféraient un risque important de Covid-19 sévère.
Pour terminer, l’étude a montré que les patients porteurs de ces auto-anticorps, aussi bien neutralisants que non-neutralisants, sont capables de monter une réponse anticorps anti-SARS-CoV-2 biologiquement efficace in vitro suite à la vaccination. Il restera toutefois à déterminer si les patients vaccinés contre le SARS-CoV-2 sont efficacement protégés contre la Covid-19, l’étude rétrospective ayant porté sur la période avant l’introduction des vaccins anti-Covid-19.
Ces travaux montrent qu’il existe une forme de dilemme chez les patients atteints de LS et qui sont fréquemment porteurs de cette anomalie auto-immune : d’un côté leur maladie semble stabilisée par la neutralisation de l’interféron, mais de l’autre ils sont exposés à un risque viral augmenté, notamment de Covid-19 sévère.
Cette étude a plusieurs implications immédiates.
Considérant que les anticorps anti-IFN-α sont fréquents chez les patients LS, leur dépistage pourrait être proposé systématiquement.
Aussi, l’activité biologique neutralisante de ces auto-anticorps étant fortement corrélée à leur concentration sérique, leur simple titration par méthode ELISA renseignera sur leur impact clinique potentiel.
Enfin, la vaccination anti-SARS-CoV-2 étant efficace et bien tolérée au cours du LS2, les patients porteurs d’anticorps anti-IFN-α neutralisants doivent être prioritairement vaccinés et les traitements préventifs et curatifs anti-SARS-CoV-2 doivent être discutés chez les patients présentant des taux élevés d’anticorps anti-IFN-α .
[1] Auto-antibodies against type I IFNs in patients with life-threatening COVID-19.
Science 2020. https://pubmed-ncbi-nlm-nih-gov.proxy.insermbiblio.inist.fr/32972996/
[2] BNT162b2 vaccine-induced humoral and cellular responses against SARS-CoV-2 variants in systemiclupus erythematosus. Annals of Rheumatic Diseases. https://pubmed-ncbi-nlm-nih-gov.proxy.insermbiblio.inist.fr/34607791/
Référence:
Alexis Mathian, Paul Breillat, Karim Dorgham, Paul Bastard, Caroline Charre, Raphael Lhote, Paul Quentric, Quentin Moyon, Alice-Andrée Mariaggi, Suzanne Mouries-Martin, Clara Mellot, François Anna, Julien Haroche, Fleur Cohen-Aubart, Delphine Sterlin, Noël Zahr, Adrian Gervais, Tom Le Voyer, Lucy Bizien, Quentin Amiot, Micheline Pha, Miguel Hié, Francois Chasset, Hans Ysse, Makoto Miyara, Pierre Charneau, Pascale Ghillani-Dalbin, Jean-Laurent Casanova, Flore Rozenberg, Zahir Amoura, Guy Gorochov. Annals of the Rheumatic Diseases.
DOI : 10.1136/ard-2022-222549