Dans le cerveau des procrastinateurs
Une équipe de chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS, de Sorbonne Université et de l’AP-HP au sein de l’Institut du cerveau à Paris vient de décrypter comment notre cerveau se comporte lorsque nous procrastinons. L’étude, menée chez l’humain, combine imagerie fonctionnelle et tests comportementaux et a permis aux scientifiques d’identifier une région du cerveau où se joue la décision de procrastiner : le cortex cingulaire antérieur. L’équipe a également mis au point un algorithme permettant de prédire la tendance à la procrastination des participants. Ces travaux sont publiés dans Nature Communications.
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Mathias Pessiglione, chercheur Inserm / Équipe Motivation, cerveau et comportement (Institut du cerveau)
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Raphaël Le Bouc Équipe Motivation, cerveau et comportement (Institut du cerveau)
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Service de presse de l'Inserm
La procrastination, ou tendance à reporter des tâches qui nous incombent, constitue une expérience – souvent inconfortable voire culpabilisante – que nombre d’entre nous ont déjà éprouvée. Pourquoi alors, et dans quelles conditions, notre cerveau nous pousse-t-il à procrastiner ? Pour répondre à cette question, une équipe dirigée par Mathias Pessiglione, chercheur Inserm et Raphaël Le Bouc, neurologue à l’AP-HP, au sein de l’Institut du cerveau (Inserm/CNRS/Sorbonne Université/AP-HP) a mené une étude auprès de 51 participants.
Afin de décrypter le comportement de procrastination, ces individus ont participé à un certain nombre de tests durant lesquels leur activité cérébrale était enregistrée par IRM. Chaque participant devait d’abord attribuer de manière subjective une valeur à des récompenses (des gâteaux, des fleurs…) et à des efforts (mémoriser un chiffre, faire des pompes…). Il leur a ensuite été demandé d’indiquer leurs préférences entre obtenir une petite récompense rapidement ou une grande récompense plus tard, ainsi qu’entre un petit effort à faire tout de suite ou un effort plus important à faire plus tard.
Les données d’imagerie ont révélé l’activation au moment de la prise de décision d’une région cérébrale appelée cortex cingulaire antérieur. Cette région a pour rôle d'effectuer un calcul coût-bénéfice en integrant les coûts (efforts) et les bénéfices (récompenses) associés à chaque option.
La tendance à la procrastination a ensuite été mesurée par deux types de tests. Dans le premier, les participants devaient décider soit de produire un effort le jour même pour obtenir immédiatement la récompense associée, soit de produire un effort le lendemain et de patienter jusque-là pour obtenir la récompense. Dans le second, à leur retour chez eux, les participants devaient remplir plusieurs formulaires assez fastidieux et les renvoyer sous un mois maximum pour être indemnisés de leur participation à l’étude.
Les données fournies par les tests réalisés en IRM ont servi à alimenter un modèle mathématique dit « neuro-computationnel » de prise de décision, mis au point par les chercheurs.
« Notre modèle prend en compte les coûts et les bénéfices d’une décision, mais intègre également les échéances auxquelles ils surviennent, explique Raphaël Le Bouc. Par exemple, pour une tâche comme faire la vaisselle, les coûts sont liés à l’aspect long et rébarbatif de la corvée et les bénéfices au fait que l’on retrouve à son issue une cuisine propre. Laver la vaisselle est dans l’instant très pénible ; envisager de le faire le lendemain l’est un peu moins. De même, être payé immédiatement après un travail est motivant, mais savoir qu’on sera payé un mois plus tard l’est beaucoup moins. On dit que ces variables, le coût des efforts comme la valeur des récompenses, s’atténuent avec le délai, au fur et à mesure qu’ils s’éloignent dans le futur », ajoute le chercheur. Ainsi, plus l’échéance est lointaine, moins l’effort paraît coûteux et moins la récompense paraît gratifiante. « La procrastination pourrait être spécifiquement liée à l’impact du délai sur l’évaluation des tâches exigeant un effort. Plus précisément, elle peut s’expliquer par la tendance de notre cerveau à décompter plus vite les coûts que les récompenses », conclut Mathias Pessiglione.
À partir des informations sur l’activité de leur cortex cingulaire antérieur et des données recueillies lors des tests comportementaux, les chercheurs ont établi un profil motivationnel pour chacun des participants. Ce profil décrivait leur attirance pour les récompenses, leur aversion à l’effort, et leur tendance à dévaluer les bénéfices et les coûts avec le délai. Ce profil permettait donc d’estimer la tendance à procrastiner pour chacun des participants. Une fois alimenté avec les données spécifiques à chacun de ces profils, leur modèle s’est révélé capable de prédire le délai mis par chaque participant à renvoyer le formulaire rempli.
Ces recherches pourraient aider à développer des stratégies individuelles pour ne plus repousser sans cesse des corvées qui sont pourtant à notre portée. Elles permettraient ainsi d’éviter les effets pernicieux de la procrastination dans des domaines aussi variés que l’enseignement, l’économie et la santé.
Références :
A neuro-computational account of procrastination behaviour
Le Bouc Raphaël 1,2 & Pessiglione Mathias 1
1Motivation, Brain and Behavior (MBB) Lab, Paris Brain Institute (ICM), Sorbonne University, Inserm, CNRS, Pitié-Salpêtrière hospital, Paris, France.
2Department of Neurology, Pitié-Salpêtrière hospital, Sorbonne University, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (APHP), Paris, France.
Nature Communications, septembre 2022
DOI : https://doi.org/10.1038/s41467-022-33119-w