Yonathan Freund
Professeur de médecine d'urgence
Nous sommes confrontés à l’ampleur des inégalités sociales.
Nommé professeur à seulement 38 ans, Yonathan Freund fait dialoguer l’art et la médecine. Mélomane et pianiste, cet urgentiste au parcours de formation atypique concilie avec brio clinique, recherche et enseignement.
Sur le palier blafard d’une cage d’escalier, tout au bout du couloir de réanimation des Urgences de la Pitié-Salpêtrière, se cache le bureau du professeur Yonathan Freund. Derrière une porte sans nom, le raffinement de la décoration et le choix du mobilier de la pièce contrastent avec l’austérité hospitalière extérieure. À l’entrée, un casque de scooter signale une vie en mouvement perpétuel. Aux murs, des dessins surréalistes de Hans Bellmer, achetés avec sa première paie d’interne, témoignent d’un goût certain pour l’art sous toutes ses formes. « Je ne passe pas un mois sans aller voir une exposition, un concert ou une pièce de théâtre », affirme l’urgentiste qui évoque, consterné, les jours sombres du confinement pour la culture.
Barbe rousse, chemise blanche et lunettes rondes, le professeur de médecine d’urgence de 43 ans était aux premières loges durant la pandémie. Voix médiatique de cette période singulière, il a participé à l’organisation de l’accueil des urgences de la Pitié-Salpêtrière. Une gestion de crise qu’il ne sous-estime pas, mais qu’il nuance : « Les vrais héros, c’était surtout les généralistes qui voyaient les malades sans masque et sans matériel dans leur cabinet », relativise-t-il.
Fils d’une médecin généraliste et d’un professeur de maths, cet ancien phobique du sang s’est d’abord orienté vers des études de physique dans le quartier latin. Durant son magistère à l’École normale supérieure, il côtoie des prix Nobel tels que Claude Cohen-Tannoudji ou Serge Haroche. Admiratif, il ne se sent cependant pas la fibre pour se consacrer exclusivement à la recherche. Son besoin d’action et son sens du pragmatisme le mènent ailleurs.
Lors d’un stage sur les ultrasons appliqués à l'imagerie médicale, il découvre le milieu hospitalier et le rapport aux malades. Une révélation. Un ami lui parle des admissions parallèles pour entrer en médecine. En l'espace de vingt-quatre heures, sa décision est prise : il envoie son dossier et intègre en septembre la troisième année de médecine à la Pitié-Salpêtrière. « Je me suis retrouvé en stage à la rentrée, face à des malades, sans avoir suivi le moindre cours de médecine », confie-t-il. Loin de le décourager, ce défi le stimule et l’amène à se dépasser.
Changement de tempo
Pour payer ses études et surmonter ses peurs, il travaille comme aide opératoire en chirurgie. Ses phobies disparaissent. Mais rester huit heures au bloc ne l’épanouit guère. Il découvre les urgences lors d’un stage d’internat. « Faire plein de choses différentes, devoir être réactif, j’ai adoré. J’ai aussi eu la chance d’avoir de bons mentors. Depuis, je n’ai jamais voulu faire autre chose », assure-t-il.
Aujourd’hui, professeur de médecine d’urgence et directeur du département de simulation de la faculté de Santé, il jongle entre la prise en charge des malades, l'enseignement et la recherche. « Pas une semaine ne se ressemble. Le lundi, par exemple, je peux être posté aux urgences, le mardi enchaîner les réunions, le mercredi donner des cours, le jeudi partir faire un topo à Belfast, le vendredi être de garde au SAMU », se réjouit-il. Quant à la recherche, elle est omniprésente. « C'est le ciment. Il n’y a pas un jour sans un papier que je dois relire ou écrire, sans un patient à inclure dans une étude, etc. » Le spectre de recherche est large, allant par exemple de l’insuffisance cardiaque au diagnostic des embolies pulmonaires - l’un de ses sujets de prédilection -, en passant par la réduction des erreurs médicales ou l'impact de l'attente des malades sur des brancards. Il se penche également sur les dangers des nouveaux variants de la COVID-19 et fournit des données importantes pour la communauté médicale en France et en Europe. Son objectif à terme est de fédérer une structure de recherche internationale sur la médecine d’urgence.
Faire ses gammes
Le Pr Freund s’intéresse également à la recherche en pédagogie, « un domaine malheureusement souvent sous-évalué », déplore-t-il. Il y a une dizaine d’années, il a notamment mis en place, avec les services de réanimation et d’urgences, le département de simulation pour former les externes et les internes aux gestes délicats. « À Sorbonne Université, nous formons plus de 2 000 apprenants par an en simulation », affirme-t-il. D’abord mise en place pour faire face aux situations d’urgence vitale, la simulation s’est désormais développée dans toutes les spécialités : réanimation, anesthésie, urgences, situation sanitaire exceptionnelle, pédiatrie, néonatalogie, chirurgie, urologie, radiologie, gynécologie, relation de soin, orthopédie, soins infirmiers, etc. « Au fil des années, nous avons obtenu un local et des financements pour investir et entretenir le matériel. Et en 2024, nous devrions avoir un nouveau site entièrement dédié et adapté à la simulation », précise-t-il. Quand le bâtiment sera achevé, Yonathan Freund compte bien passer la main, car selon lui « il ne faut pas rester plus de 10 ans à faire la même chose. Et passé 40 ans, on ne fait rien d’innovant ».
Le 93 en contrepoint
Alors pour tromper l’ennui, la routine ou l’angoisse, Yonathan Freud multiplie les activités et sort de sa zone de confort. Il s’est engagé au sein du SAMU de Seine-Saint-Denis. « La nuit, dans le 93, nous sommes confrontés à l’ampleur des inégalités sociales. Les urgences, bien sûr, c’est éprouvant. Nous sommes confrontés à des situations difficiles, mais nous restons dans nos murs qui forment comme un champ opératoire, aseptisant notre rapport aux malades. Chez les gens ou dans la rue, c'est autre chose. Il y a la photo des petits-enfants sur la commode, la femme qui est là à côté, etc. On rentre dans l'intimité des gens. On est confronté à toute leur humanité », raconte-t-il.
Soignant engagé, Yonathan Freund a une éthique. Sur l’un des murs de son bureau, un article de presse est punaisé. Dans cette tribune, cosignée avec une amie médecin et un économiste en 2012, il s’oppose aux collectifs de médecins qui s’élèvent contre l’encadrement des dépassements d’honoraires. Un papier qui lui valut un lynchage en règle par certains de ses confrères. Même s’il déplore l’état de l’hôpital public, lui se considère chanceux, avec un salaire satisfaisant et du temps pour s’occuper de ses enfants, malgré des semaines à parfois 120 heures.
Coda
Pour supporter la pression de ce rythme intense, Yonathan Freund a recours à un stimulant efficace : la musique. Elle irrigue son quotidien, de la puissance brute du rock à la sophistication de Mahler et Wagner. « Je l’écoute partout, en permanence, confie-t-il en regardant les enceintes de qualité qu’il a installées dans son bureau. Quand je fais des gestes médicaux délicats, comme les ponctions lombaires ou les sutures, je demande aux patients ce qu'ils veulent écouter et je leur passe. La musique permet de distraire l’esprit de la douleur », explique-t-il enthousiaste.
Mélomane averti, Yonathan Freund est aussi pianiste. Il a repris les gammes qu’il avait arrêtées pendant plus de dix ans. Aujourd’hui, il se produit régulièrement sur la scène des Fièvres musicales, un festival de piano et de musique de chambre organisé par la faculté de Santé. Une pratique salvatrice pour cet urgentiste anticonformiste exposé quotidiennement au stress des enjeux vitaux.
Quelques dates
24 mai 1980 : Naissance à Paris.
2002 : Entrée en troisième année de médecine.
2018 : Nomination en tant que professeur de médecine d'urgence à la faculté de Santé de Sorbonne Université.
2020 : Participation à la gestion de la crise Covid aux urgences de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière.