Volha Litvinets
Doctorante spécialiste en éthique de l’intelligence artificielle
À chaque clic, nous participons à l'économie de monétisation des données personnalisées. La question est de savoir comment ces données vont être utilisées et à quelle fin.
Volha Litvinets, doctorante à l’école doctorale Concepts et langages, dans le laboratoire « Science, Normes, Démocratie », soutiendra sa thèse en juin 2022. Elle nous retrace son parcours, ses aspirations, ses difficultés et sa résilience pendant son doctorat.
Comment et pourquoi avez-vous choisi la France et Sorbonne Université ?
V.L. : Venir en France était un rêve d’enfant. Le français est ma première langue étrangère mais je n’imaginais pas que je serai un jour étudiante puis doctorante à Sorbonne Université. Avant de venir en France, j’ai travaillé dans le secteur privé, dans le domaine du marketing numérique, sur l’optimisation technique des sites web. Encore étudiante en linguistique, j’ai commencé ma carrière à Minsk en Biélorussie, puis j’ai travaillé dans une des plus grandes agences de marketing à Moscou, en tant que responsable pour la promotion aux marchés internationaux (États Unis, Canada, Italie, Allemagne). J’ai travaillé également en tant que spécialiste interne de marketing dans les entreprises de fintech et supply chain, et en tant que responsable pour la stratégie SEO. Je gérais des équipes de développeurs et rédacteurs.
Mon expérience professionnelle m’a orientée vers le marketing responsable. Je me suis engagée dans une formation en philosophie et éthique avec le programme du Collège Universitaire Français, un programme de master 1 que j’ai suivi tout en travaillant. Certaines de mes collègues partaient en France pour faire le master 2 et j’ai compris que je pouvais le faire également. J’ai monté le dossier avec Campus France, j’ai été sélectionnée par plusieurs universités dont Sorbonne Université. Je suis très reconnaissante à Jean-Cassien Billier, mon directeur de mémoire de master, et à Pierre-Henri Tavoillot, qui a accepté de diriger ma thèse.
Parlez-nous de votre sujet de thèse.
V.L. : J’ai fait mon stage de master dans le département de désarmement de l’ONU (Genève). Je me suis plongée dans le sujet de la militarisation des données et de la gouvernance de l’intelligence artificielle (IA). Je travaillais sur l’analyse des systèmes d'armes létales autonomes. J’ai assisté aux échanges de haut niveau lors des conférences de désarmement et j’ai créé, avec la bibliothèque de l’ONU, un guide de recherche sur la Société des Nations. Mon sujet de thèse porte sur l’éthique de l’IA dans le domaine du marketing. Ce domaine a toujours été soumis à une tension entre les valeurs morales et le profit.
Aujourd'hui, les grandes sociétés de marketing technologique utilisent largement les données personnelles qui viennent des services que nous utilisons chaque jour. Grâce à l'analyse de ces données, ils créent des modèles de prédiction du comportement par le ciblage basé sur les comportements des utilisateurs. À chaque clic, nous participons à cette économie de monétisation des données personnalisées. La question est de savoir comment ces données vont être utilisées et à quelle fin. C’est pourquoi au niveau de la régulation de l’IA, beaucoup de travail doit être fait. Il s’agit de rendre les internautes plus conscients de leur choix et de sensibiliser les ingénieurs et les data-scientists.
Cette année, j’ai eu la chance d’enseigner l’éthique dans l’école d’ingénieurs du Pôle Léonard de Vinci. C’est un moyen pour moi de contribuer à cette sensibilisation des jeunes ingénieurs aux risques éthiques. Ce sont eux qui vont développer les produits et les services du futur.
Vous avez commencé officiellement en novembre 2019. Comment avez-vous vécu votre doctorat en période de pandémie ?
V.L. : Faire un doctorat est très exigeant au niveau de la gestion de projet, de la résilience et de l’autonomie. Le faire dans les conditions que nous avons connues pendant la pandémie accroît les difficultés surtout quand vous êtes étrangère. La crise sanitaire est un exemple de « cygne noir », un évènement que personne ne pouvait prédire.
J’ai commencé mon doctorat en CIFRE (Convention industrielle de formation par la recherche) en novembre 2019 avec une startup de certification des algorithmes, mais elle a fait faillite. Finalement, j’ai eu la chance de trouver un autre financement avec le projet de Carnegie Council for Ethics in international Affairs : « L’IA et l’Égalité » (AIEI). L’objectif est de comprendre quelles sont les voies possibles quand l’IA amplifie des inégalités actuelles et quand elle en créé de nouvelles. Avec Carnegie Council, nous avons organisé le Congrès international de la gouvernance de l’IA. Pendant la pandémie, j’ai beaucoup voyagé virtuellement : en Californie avec l’initiative des femmes en éthique de l’IA « Women in AI Ethics » pour une conférence en partenariat avec Microsoft durant laquelle j’ai présenté mon projet sur les femmes en éthique de l’IA sur Wikipedia, ou encore à Genève, quand j’ai été sélectionnée pour le programme des études supérieure à l’ONU (United Nations Graduate Study Program). Dans ce cadre, j’ai eu l’opportunité de contribuer au rapport de l’ONU « Shaping Our Future Together » sur les sujets des technologies émergentes.
Je pense que le doctorat est un exercice de résilience. Nous ne pouvons pas tout prévoir et il faut être très agile. La capacité d’utiliser les outils que vous avez, de ne pas vous préoccuper du futur ni regretter le passé sont les bases du stoïcisme. Je finis mon doctorat en tant que spécialiste en éthique appliquée sur l’IA et je suis devenue stoïque.
Nous vous avons rencontrée lors d’une « conférence carrière » autour de l'intelligence artificielle responsable, organisée avec Datacraft et Danone. Que pensez-vous de ces rencontres et des formations organisées par le Collège doctoral ?
V.L. : En 2020 et 2021, j’ai suivi jusqu’à 80 heures de formation. J’ai d’ailleurs constaté que peu de doctorants en lettres viennent dans ces formations. Personnellement, je viens du secteur privé et je connaissais déjà plusieurs dispositifs, par exemple, les outils du développement Agile, qui permettent de diviser un projet en petits projets, plus faciles à gérer. J’ai d’ailleurs utilisé cette méthode pour la rédaction de ma thèse. La formation que j’ai le plus appréciée était « S’exprimer à l’oral grâce au théâtre ». Elle donne des outils pratiques pour mieux s’exprimer en public. Par chance, j’ai eu la possibilité de la suivre en présentiel. Avec l’alerte Jobteaser du lundi, nous sommes avertis des prochaines formations proposées. Concernant les « conférences carrières », il ne faut pas hésiter à venir rencontrer les entreprises invitées pour comprendre les profils recherchés et accroître son réseau.
Vous avez suivi le programme Business Foundations Certificate (BFC) de l’INSEAD. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?
V.L. : J’ai obtenu une bourse de Sorbonne Université pour suivre ce programme très exigeant et dynamique. Nous devions beaucoup étudier, travailler en groupes, préparer des études de cas et des présentations. J’ai beaucoup apprécié la mentalité proactive de cette formation et surtout les gens que j’y ai rencontrés.
Comment voyez-vous votre avenir ?
V.L. : Je vois actuellement que beaucoup de portes me sont ouvertes vu mon profil, mon expérience et mon expertise dans le domaine des technologies responsables, notamment en éthique de l’IA. Je peux être utile dans plusieurs types de structures où je pourrai apporter mes valeurs et compétences.
Pour en savoir plus :
Contribution à un article sur The Conversation
Intervention de Volha Litvinets lors du Future leaders forum - 10 novembre 2020
Article de Volha Litvinets : Why we should worry about ai powered online marketing ?