Valentina Parigi
Physicienne spécialiste en optique quantique
À terme, les états quantiques de la lumière pourront résoudre efficacement certains problèmes hors de portée des machines classiques.
Maîtresse de conférences en physique et membre du laboratoire Kastler Brossel (LKB), Valentina Parigi travaille sur les états quantiques de la lumière. Lauréate d’un financement du Conseil européen de la recherche, elle nous raconte le parcours qui l’a menée des rives de l’Arno aux tables optiques de Sorbonne Université.
« Je suis arrivée à la physique par la philosophie car je voulais comprendre les phénomènes qui nous entourent », commence la chercheuse. Sa voix teintée d’un léger accent italien et au débit rapide dévoile ses origines florentines et la vitesse de sa pensée. « J’aimais la méthodologie rigoureuse qu’offrait la science pour répondre à ces questions ainsi que l’imagination qu’elle requiert », indique-t-elle avec un sourire lumineux.
Un pied dans la théorie, l’autre dans l’expérimental, la scientifique se consacre à la physique et se spécialise, en thèse, en optique quantique, un domaine de recherche en plein essor, à la frontière entre la mécanique quantique et l'optique. Au LENS (laboratoire européen de spectroscopie non-linéaire) de Florence, elle cherche à caractériser les états quantiques de la lumière, ce qui l’oblige – douloureux paradoxe – à passer ses journées enfermée dans le noir.
La lumière dans l'objectif
Après son doctorat, elle traverse les Alpes pour poursuivre ses recherches en France. « Après six ans de post-doc à l’Institut d’optique, au LKB et à l'Institut Langevin, on me disait que j'étais trop jeune pour passer les concours en Italie et trop vieille pour les passer en France ! », ironise la chercheuse. Elle décroche en 2015 un poste de maîtresse de conférences à la faculté des Sciences et Ingénierie de Sorbonne Université et devient à 34 ans membre permanent de l’équipe d’optique quantique du LKB. Là, elle continue d’explorer les propriétés quantiques de la lumière qui pourraient être utiles au développement de nouvelles technologies. « La lumière est un outil robuste pour encoder l'information, explique-t-elle. À terme, les états quantiques de la lumière pourront résoudre efficacement certains problèmes hors de portée des machines classiques, traiter plus d'informations en un minimum de temps, améliorer la précision en métrologie ou encore renforcer la sécurité des communications ».
Mais arriver à contrôler des objets quantiques pour en faire des technologies avancées coûte cher : « nous devons encore dépasser de nombreuses contraintes technologiques pour développer des solutions qui ne soient pas seulement des preuves de concept mais des dispositifs industriels réellement exploitables. Et pour franchir ce cap, il faut des financements ». Il est donc essentiel, selon elle, que l’Etat investisse dans ce domaine comme il a commencé de le faire avec le Plan quantique et participe au développement de l’écosystème européen. « L’enjeu est mondial, affirme-t-elle. Par exemple, avec l’ordinateur quantique une grande partie de la cryptographie classique pourra être décodée. Donc si un un pays seul arrive à avoir l’ordinateur quantique, il sera comparable à un groupe de hackers possédant un superpouvoir. Et il aura, entre ses mains, un outil superpuissant pour le développement de nouvelles technologies, médicaments, nouveaux matériaux, etc. »
Du fondamental aux nouvelles applications
En attendant l’avènement de l’ordinateur quantique, Valentina Parigi a décroché en 2019 l’un des prestigieux financements ERC pour mener à bien un projet ambitieux : mieux comprendre l’application de réseaux complexes, omniprésents dans la nature et l’informatique, sur des objets quantiques (atomes, photons, molécules). « Ces réseaux complexes quantiques permettent de décrire certains phénomènes naturels et contrôler les technologies quantiques », explique Valentina Parigi. Pour cela, la chercheuse va reproduire, en laboratoire, les structures complexes associées à des phénomènes biologiques comme la photosynthèse. Grâce à ces simulations, elle interroge les propriétés quantiques de ces processus et voit quelles stratégies utilisées par la nature pourraient être appliquées aux technologies quantiques futures. Ces recherches serviront, dans l’avenir, à de nombreux domaines, comme la gestion des big data ou la sécurisation des communications à grande échelle. Elles lui ont valu en 2020 la médaille de bronze du CNRS, une satisfaction personnelle, mais aussi une marque de reconnaissance de son travail : « les projets ERC sont très exploratoires. On a toujours des doutes sur l’intérêt de nos recherches. Le fait que la communauté scientifique me fasse confiance et me confirme que je vais dans la bonne direction compte beaucoup », affirme la physicienne.
En parallèle de ses activités de recherche et d’enseignement, Valentina Parigi s’investit dans différentes structures liées au quantique. Elle participe notamment aux réflexions sur l’enseignement au sein du hub Paris Centre qui coordonne les différents acteurs parisiens du domaine. Elle est aussi membre du comité d’enseignement du QICS (Quantum information center Sorbonne), un institut pluridisciplinaire de Sorbonne Université né du rapprochement entre informaticiens et physiciens autour de l’information quantique. Par ailleurs, le questionnement philosophique sur le réel qu’elle nourrissait adolescente ne l’a jamais quitté : « la recherche de la vérité, la curiosité, c'est ce qui m'anime », sourit-elle. Depuis deux ans, elle occupe un poste d’éditrice associée dans un journal de physique fondamentale où elle collabore avec des philosophes.
Des compétences pluri-elles
Pour mener à bien toutes ses responsabilités, Valentina Parigi confie « s'inventer des journées de 48h ». Étudiante, elle pensait qu’être chercheur consistait surtout à faire des expériences dans un laboratoire ou écrire des théories seule à son bureau. « Au fil des années, j'ai découvert que cela mêlait plusieurs métiers. En tant que responsable d'équipe, je suis tout à la fois manager, responsable scientifique, formatrice, enseignante, administratrice, etc. Gérer une ERC, c'est un peu comme gérer une petite entreprise, indique-t-elle. Le problème c'est que nous endossons plusieurs rôles pour lesquels nous nous demandons souvent si, en tant que chercheur, nous sommes à la hauteur. »
Des rôles qui sont bien souvent tenus par des hommes. « Le manque de filles dans les filières scientifiques est pour moi une problématique familière. Très tôt, j’ai ressenti que j’étais LA fille au milieu des hommes. Trop peu de lycéennes se dirigent vers des études de physique ou de mathématiques en raison des messages implicites que véhicule la société au quotidien », déplore-t-elle. Pour la physicienne, s’il est essentiel de montrer des exemples de femmes scientifiques, le problème doit être traité bien en amont au niveau sociétal. « Ce qui me dérange, souligne-t-elle, c’est d’entendre que les femmes ne sont pas capables de se comporter "comme des hommes" pour, par exemple, réussir un concours. Nous sommes tous capables des mêmes comportements, mais en tant que femmes, nous sommes souvent conditionnées à ne pas extérioriser certaines attitudes soi-disant plus "masculines", comme l’assertivité, tout comme les hommes n’osent pas mettre en avant certaines postures dites "féminines" ».
Valentina Parigi nous confie qu’avec le temps, elle s’est sentie de plus en plus concernée par la question des inégalités femmes/hommes : « plus on atteint des postes à responsabilités, plus on se rapproche de ce plafond de verre qui persiste entre les hommes et les femmes. » Et de souligner : « Si on continue comme cela, en Europe, nous atteindrons la parité bien après avoir créé l’ordinateur quantique ! ». Un horizon, pourtant, pas si lointain puisque d’ici cinq à dix ans, « nous aurons des machines capables de faire certaines tâches de façon plus efficaces que les ordinateurs classiques », conclut-elle.