Valentina Emiliani

Directrice du département de photonique et responsable de l’équipe Microscope à modulation du front d’onde à l’Institut de la vision

Si on imagine chaque neurone du cerveau comme une touche de piano, il est aujourd’hui possible de littéralement choisir quels neurones jouer

Physicienne de formation, Valentina Emiliani a reçu en mars 2021 la médaille d'argent du CNRS, une récompense qui distingue des chercheuses et des chercheurs pour l'originalité, la qualité et l'importance de leurs travaux, reconnus sur le plan national et international. 
La chercheuse dirige aujourd’hui la Chaire d’Excellence du Fonds Axa pour la Recherche « Étude des circuits visuels par microscopie à modulation de front d’onde ». Un programme de recherche soutenu par la Fondation Sorbonne Université et le Fonds Axa et dont l’objectif est de découvrir les mécanismes impliqués dans le fonctionnement des circuits visuels. 

Parlez-nous de votre parcours et de qui vous a amené à étudier le fonctionnement des circuits visuels ?

 Après une thèse en physique à l’Université de Rome La Sapienza et plusieurs années de recherche sur les propriétés optiques des structures à effet quantique, j’ai réorienté mes recherches vers l'interface entre l'optique et la biologie. En 2004, j’ai été recrutée au CNRS sur un projet dédié à l’étude de la mechanotransduction dans les cellules à l’Institut Jacques Monod. En 2005 j’ai été récompensée par une subvention de jeune chercheur européen (EURYI 2005) sur un projet ambitieux : le contrôle optique des activités neuronales par la lumière. J’ai ensuite intégré le laboratoire de neurophysiologie et de microscopie de l'Université Paris Descartes, où j’ai formé le groupe Microscopie par ingénierie du front d'onde et en 2018 créé l'unité de recherche « Neurophotonique ». En 2019, j’ai déménagé avec mon équipe à l'Institut de la Vision de Sorbonne Université, où j’ai également pris la direction du département de photonique. 
L'objectif de mes recherches est aujourd’hui centré sur le développement de méthodes innovantes pour le contrôle des neurones par optogénétique : une nouvelle approche permettant de rendre sensibles à la lumière des neurones génétiquement identifiés. 

La Chaire d’Excellence Axa « Étude des circuits visuels par microscopie à modulation de front d’onde » s’appuie sur le développement de l’optogénétique. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette technique ?  

La révolution de l'optogénétique a commencé par la découverte des opsines Channelrhodopsin et Halorodopsin, qui sont exprimées par certains gènes, et de leur sensibilité à la lumière et s'est poursuivie avec la démonstration de leur expression dans les cellules neuronales. Jusqu'à présent, l'optogénétique a eu deux grands champs d’application : la manipulation optique des circuits neuronaux pour établir le rôle de cellules spécifiques dans le contrôle de comportements ou de pathologies et l'expression d'actionneurs ou d'inhibiteurs optogénétique dans la rétine pour la restauration de la vision.

Qu’est-ce qui a inspiré cette Chaire d’Excellence que vous dirigez aujourd’hui ?

Depuis plusieurs années, nous nous sommes concentrés avec mon équipe sur le développement de nouvelles méthodes optiques pour la stimulation optogénétique des neurones. En collaboration avec de nombreux neurophysiologistes, nous avons démontré la faisabilité de la stimulation holographique sur des preuves de concept in vitro et in vivo et sur différents modèles allant du poisson zèbre à la souris. L'holographie est ainsi devenue aujourd’hui l'une des approches les plus utilisées en combinaison avec l’optogénétique pour la manipulation des circuits neuronaux. 
Nous nous sommes ensuite intéressés à l’application des méthodes développées sur les questions biologiques. C'est à ce moment que j'ai décidé de me concentrer sur l'utilisation de l'holographie pour étudier les mécanismes qui règlent le traitement du signal à travers les principales voies visuelles, de la rétine jusqu'au cortex visuel primaire en passant par le noyau géniculé latéral. Ceci est devenu le cœur du projet de la Chaire d’Excellence AXA.

Quels sont les objectifs et les enjeux de la Chaire ? 

Jusqu'à présent, la plupart de ces expériences utilisant l’optogénétique faisaient appel à des méthodes d'illumination relativement simples consistant à utiliser de la lumière visible pour éclairer de grandes régions du cerveau en utilisant des stratégies de ciblage génétique pour « isoler » un type cellulaire spécifique. Cependant, l'éclairage à grand champ ne peut qu'activer de façon synchrone des populations entières de neurones, les contrôlant ainsi comme un ensemble. Toutefois, si l'on examine l'activité d'un circuit neuronal dans des conditions physiologiques, dans la plupart des cas des cellules génétiquement identiques peuvent avoir un schéma d'activité totalement indépendant : chaque cellule du circuit a sa propre signature spatio-temporelle. Imiter l'activité neuronale avec ce degré de précision nécessite donc le développement de nouvelles méthodes optiques capables d'illuminer une ou plusieurs cellules indépendamment dans l'espace et le temps.

Pour cela nous avons démontré, avec mon équipe, que des méthodes basées sur la manipulation de front d’onde, telles que l'holographie, le contraste de phase généralisé et la focalisation temporelle permettent d’activer un neurone unique ou en groupe de neurones. Nous avons baptisé cette approche circuit optogenetics. Si on imagine chaque neurone du cerveau comme une touche de piano, il est possible ainsi de littéralement « choisir quels neurones jouer ». La combinaison de ces approches a propulsé l'optogénétique vers une nouvelle dimension. 
Les premiers résultats nous permettent aujourd’hui d’envisager l’utilisation de cette approche pour manipuler les circuits profonds du cerveau d’un mammifère. Ces défis sont au cœur de la Chaire Axa, où cette combinaison de nouvelles approches sera aussi utilisée pour étudier, avec une précision sans précédent, des circuits neuronaux essentiels à la perception visuelle. 

Sur les dix prochaines années, comment pourraient se traduire les recherches développées grâce à votre approche ?  

Difficile de prévoir où on arrivera dans 10 ans avec l’optogénétique... Dans le domaine de la vision, mieux on arrivera à comprendre les mécanismes qui règlent le traitement de l’image, plus on sera capable d’intervenir lors de différentes pathologies. Une possible application ultime serait de concevoir une interface entrée / sortie pour le cerveau humain qui puisse élucider les codes neuronaux et éventuellement permettre l'introduction directe dans la rétine ou le cortex de perceptions très spécifiques en recréant par exemple, pour une personne aveugle, la vision à partir d’une caméra externe.
 

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