Stéphane Audard
Musicien de jazz et professeur de conservatoire en doctorat
Création artistique, enseignement et recherche, les trois activités sont complémentaires et se nourrissent mutuellement. L’activité artistique se nourrit de l’enseignement et vice versa. S’ajoute à cela la recherche pour moi maintenant.
Stéphane Audard a animé avec l’orchestre de Jazz de Sorbonne Université la cérémonie des docteures et docteurs 2023. C’est à cette occasion que nous avons fait sa connaissance. À la rentrée 2023, il sera en 3ème année de thèse au sein de l’école doctorale Concepts et langages et dans l’équipe d’accueil IREMUS. Il a presque terminé la rédaction du manuscrit et a pour ambition de soutenir l’année prochaine. Artiste, enseignant au conservatoire de Paris et chercheur, il enseigne, joue, arrange et fait de la recherche. Il nous révèle pourquoi il fait cette thèse et comment il s’organise.
Quel fut votre parcours avant l’entrée en doctorat ?
Stéphane Audard : Je suis musicien depuis toujours. Après quelques années d’étude de droit dans les années 1990, j’ai décidé de me consacrer à la musique. Pendant de nombreuses années, j’ai mené une vie de musicien de jazz, faite de concerts et de création. J’ai enregistré plusieurs disques dont un avec Michel Legrand. J’écris et j’arrange de la musique pour des orchestres jazz ou classique de différentes tailles. Par ailleurs, j’ai passé mes diplômes de conservatoire et les concours pour devenir professeur il y a 20 ans. Depuis 7 ans, j’enseigne la guitare, l’histoire et l’analyse au Conservatoire à rayonnement régional de Paris (CRR) et l’écriture dans d’autres conservatoires d’arrondissement où je dirige des orchestres.
Comment êtes-vous passé de musicien-enseignant à doctorant ?
S. A. :Après avoir passé tous les diplômes et concours possibles au sein du conservatoire, en tant qu’éternel étudiant, je me suis dit : pourquoi pas une thèse ? J’avais du temps et je souhaitais travailler avec Laurent Cugny. Je l’ai contacté et il m’a conseillé de m’inscrire en master. Mes longues études musicales et ma pratique de l’enseignement à des étudiants avancés du conservatoire m’ont permis d’entrer en master, sur un principe avoisinant la VAE (validation des acquis de l’expérience). Entrer en master à la faculté des Lettres m’a beaucoup apporté notamment en méthodologie de la recherche, discipline que je n’avais jamais travaillée auparavant. C’était passionnant. Cela m’a bien sûr donné l’occasion de travailler sur le jazz avec Laurent Cugny mais aussi avec d’autres professeurs de Sorbonne Université, sur des domaines qui n’étaient pas les miens, au-delà de mes espérances.
Parlez-nous de votre sujet de thèse.
S. A. : Mon sujet traite de l’histoire de l’enseignement du jazz. Je me suis toujours demandé, en tant qu’élève et ensuite professeur, pourquoi enseigne-t-on le jazz ? Vu l’origine populaire de cette musique, ce n’est pas évident. Pourquoi l’enseignement du jazz s’est très vite focalisé sur des notions théoriques ? Pourquoi autant de théories pour une musique née dans les maisons closes et dans les bars clandestins ? À quel moment la théorie apparaît-elle ? Mon mémoire de master portait sur une période très précise à la fin des années 1950 avec la Lenox School of Jazz.
Ma thèse englobe, quant à elle, l’histoire de l’enseignement du jazz sur une plus grande échelle. J’utilise dans ma recherche la théorie des musiques audiotactiles. Cette théorie, inventée par Vincenzo Caporaletti, est développée notamment par Laurent Cugny. J’en fais une application pédagogique dans mes recherches. C’est la première fois que cette théorie est utilisée pour analyser l’histoire de l’enseignement du jazz.
Les musiques audiotactiles sont des musiques apparues au XXe siècle et liées à l’enregistrement. Ce ne sont pas des musiques entièrement écrites. Dans le jazz, la partition existe, mais ce n’est pas l’objet le plus important. Quand un musicien apprend à jouer du jazz, il apprend par différents médiums, notamment directement par l’enregistrement. Nous avons la chance d’avoir une musique documentée presque depuis le départ par des enregistrements. Le musicien peut apprendre directement, en écoutant un morceau et en le rejouant.
Pourquoi cette thèse ?
S. A. : Je l’ai entreprise pour travailler sur des questions qui me tiennent à cœur depuis longtemps. C’est un véritable plaisir intellectuel de faire cette thèse et avancer sur cette question. Ensuite, cela m’ouvre des horizons professionnels. Le monde du conservatoire et celui de l’université sont relativement séparés en France historiquement alors que ce n’est pas le cas dans le reste du monde. J’aime l’idée de travailler dans les deux institutions et à mon échelle faire que les deux mondes se rapprochent.
Que devient la recherche, une fois la thèse soutenue ?
S. A. : L’idée est de poursuivre l’activité de recherche. Lorsque j’aurai soutenu, la question sera de déterminer comment valoriser cette thèse en la publiant et en écrivant des articles. J’ai délimité un sujet sur lequel je travaille, mais j’ai aussi d’autres aspects de la question sur lesquels j’aimerais continuer à travailler. Je ne sais pas pour le moment dans quel cadre, je poursuivrai cette activité de recherche.
Avec les multiples activités que vous avez, comment vous organisez-vous ?
S. A. : Les cours au conservatoire se déroulent en journée et en semaine. Mes activités de musicien (concerts, répétitions) s’ajoutent à ce planning. Ma recherche doctorale se répartit à tous les moments où je ne suis pas pris professionnellement, notamment les vacances. J’ai fait plusieurs voyages de recherche : deux aux États-Unis cette année pour travailler dans des universités et des écoles de musique, et un à Helsinki pour rencontrer des enseignants de jazz de tous pays lors d’un meeting international. J’ai calé ces voyages pendant mes vacances de conservatoire. Même si c’est prenant, je n’ai pas le même enjeu que certains ou certaines collègues en doctorat. Je profite pleinement de ce temps de recherche en thèse, car je n’ai pas de pression du côté financier notamment.
Pour terminer, quels sont vos projets musicaux actuellement ?
S. A. : J’ai adapté et arrangé plusieurs fois West Side Story pour différents orchestres, et j’ai actuellement un projet d’enregistrement d’une version minimaliste en trio avec une guitare, un piano et une contrebasse. L’enregistrement est programmé pour la rentrée. Le deuxième projet en cours est une commande d’arrangements sur la musique de Joséphine Baker qui seront joués au Panthéon dans le courant de l’année 2024.
Pour en savoir plus
- Stéphane Audard à l''IREMUS
- Centre de Recherche International sur le Jazz et les Musiques Audiotactiles
- Podcast Radiofrance
- Article