Salomé Nashed
Médaille d'argent au Cybathlon 2024
Le dispositif facilite ma navigation en rendant mes déplacements plus fluides.
Chercheuse en bio-informatique et déficiente visuelle, Salomé Nashed, vient de décrocher la médaille d’argent au Cybathlon 2024 en tant que pilote de l'équipe A-eye. Combattante à toute épreuve, cette passionnée des sciences du vivant s'est frayé un chemin dans le monde de la recherche, jusqu'à obtenir un doctorat en biologie et le prix L'Oréal-UNESCO Jeunes Talents Pour les Femmes et la Science en 2022. Déterminée à repousser les limites de la technologie pour les personnes en situation de handicap, cette jeune chercheuse nous partage son parcours inspirant, ses défis et l’impact de cette compétition internationale exceptionnelle.
Racontez-nous votre parcours ?
Salomé Nashed : Mon parcours est atypique pour une personne déficiente visuelle car j’ai choisi d’étudier la biologie, une discipline justement très visuelle qui repose beaucoup sur l’utilisation de graphiques et de schémas. Passionnée par les sciences du vivant, j’ai entamé, en 2014, des études à Sorbonne Université car je ne voulais pas laisser mon handicap m’empêcher de réaliser mon rêve. En 2017, j’ai obtenu une licence bi-disciplinaire en sciences du vivant et en innovation en santé publique. Et deux ans plus tard, je validais un master en biologie moléculaire et cellulaire, avec une spécialisation en génétique et épigénétique. Autodidacte en programmation, j'ai fait un stage au laboratoire de biologie computationnelle et quantitative de l’Institut de biologie Paris Seine, qui m’a ouvert, en 2019, les portes d'une thèse en génomique et génétique. J’ai ensuite fait un post-doctorat en bio-informatique pour me former aux analyses de données haut débit et aux questions d’évolution et de phylogénie. Aujourd’hui, mon objectif est de poursuivre une carrière dans la recherche et l’enseignement.
Qu'est-ce qui vous a motivée à devenir pilote de l'équipe A-eye pour le Cybathlon ?
S. N. : Les porteurs du projet, Fabien Vérité et Ludovic Saint-Bauzel, avaient déjà un pilote, mais il n'était pas disponible pour poursuivre les entraînements jusqu'au Cybathlon. Ils ont alors contacté le Service Handicap Santé Étudiant de Sorbonne Université, qui leur a donné mes coordonnées. Ils m'ont expliqué qu'ils développaient un dispositif de guidage pour les personnes déficientes visuelles. Ils souhaitaient avoir mon retour vis-à-vis de ce dispositif qu’ils présenteraient au Cybathlon. Cette compétition internationale, où chaque pilote doit relever 10 défis en 8 minutes devant 3000 personnes, a pour objectif de sensibiliser le public aux questions de handicap et de promouvoir l'innovation technologique dans ce domaine.
Le défi m'a immédiatement plu, et Fabien et Ludovic m'ont semblé très humains, sympathiques et à l'écoute. J'ai tout de suite su que ce serait une belle aventure de travailler avec eux. Et aujourd’hui je suis honorée de pouvoir représenter leur travail remarquable et porter leurs efforts lors de cette compétition dont l’impact sur la sensibilisation au handicap dans le monde de la recherche est essentiel.
Entretien
Quelles étaient vos premières impressions en testant le harnais kinesthésique ?
S. N. : La première fois que j’ai testé le harnais kinesthésique, j'ai trouvé son utilisation très intuitive. La manette, qui exerce une pression à droite ou à gauche sur ma main, me rappelle la sensation de tenir le bras de quelqu'un qui me guide. Dès mes premiers essais, j'ai pu suivre facilement les indications du dispositif, ce qui m’a beaucoup impressionnée.
J’ai été surprise de voir que, dès le premier usage, le dispositif permet une navigation précise. Avec ce harnais, je peux éviter de petits obstacles et effectuer des mouvements très subtils, comme contourner un objet en allant légèrement à droite et à gauche, sans même m'en apercevoir. J'ai été impressionnée par la finesse avec laquelle le dispositif ajuste la trajectoire.
Comment votre expérience influence-t-elle le développement du système ?
S. N. : En tant que pilote, j'apporte mon expérience de personne déficiente visuelle. J'ai l'habitude de suivre un guide et, grâce à mon vécu, je suis plus réceptive aux informations fournies par le dispositif qu’une personne qui ne serait pas habituée à naviguer sans voir. Cela me permet de détecter plus facilement les problèmes et d’apporter un retour précis.
Un autre point important est qu’en plus d’être pilote, je suis moi-même chercheuse. Lorsque des problèmes surviennent durant les entraînements, par exemple un bug dans le code, l’équipe d’ingénieurs doit souvent se replonger dans le programme. Au début, ils étaient stressés de me faire attendre, mais je les ai rassurés : en recherche, les imprévus sont normaux et les tests essentiels. Quand quelque chose ne fonctionne pas, je m’intéresse à ce qui se passe. Cela crée des échanges productifs et rend les entraînements plus sereins et agréables pour tout le monde.
A quels défis faites-vous face lors de la préparation au Cybathlon ?
S. N. : Les entraînements peuvent parfois durer deux ou trois heures, et ils demandent beaucoup d’efforts de concentration. Il y a souvent des éléments dans le développement du dispositif qui ne peuvent pas être anticipés avant l'entraînement. On découvre des problèmes de dernière minute, mais ces ajustements imprévus font partie du processus.
Pour moi, le plus grand défi, à la fois physique et mental, est d’être rapide et efficace le jour de la compétition. Le Cybathlon consiste en 10 épreuves de 8 minutes, donc je n'ai pas le droit d'hésiter. Je dois avoir une confiance absolue dans le dispositif, ne pas me laisser gagner par le stress, et rester concentrée à 100 %.
Comment vous sentez-vous à l'approche de la compétition ?
S. N. : Le stress monte car il nous reste peu de temps pour les entraînements et réaliser 10 challenges en 8 minutes ne laisse aucune place à l’erreur. Certains défis sont particulièrement complexes, comme marcher sur des dalles de tailles différentes sans sortir du chemin. Si je fais un faux pas, je suis disqualifiée pour l’épreuve. Le vrai défi est la vitesse. Donc, oui, j’appréhende, mais je suis aussi très excitée. J'ai hâte de vivre cette aventure avec l’équipe A-eye, composée de personnes formidables avec qui j'adore travailler et avec qui j'espère continuer à collaborer. J’ai aussi hâte de rencontrer les autres équipes internationales et découvrir leurs solutions. Ce sera un moment riche en échanges et en partage.
Même si nous ne gagnons pas, présenter notre dispositif et sensibiliser le public sera déjà une grande victoire. Mais bien sûr, je veux aller le plus loin possible car je crois au potentiel de ce système de guidage. J'aimerais que les deux ans de travail de l’équipe soient reconnus et mis en lumière. C’est pourquoi je veux faire mon maximum !
A plus long terme, comment ce dispositif pourrait-il changer votre quotidien ?
S. N. : Le dispositif pourrait faciliter mes déplacements de manière significative. Il est très intuitif et permet d’éviter des obstacles que la canne blanche ne détecte pas toujours, comme les panneaux en hauteur ou les poteaux sur les trottoirs de Paris, difficiles à contourner.
En termes de charge cognitive, il est aussi beaucoup moins fatigant que la canne. Avec elle, je dois repérer l’obstacle et réfléchir à comment le contourner, ce qui demande beaucoup de concentration. Avec le dispositif, le retour kinesthésique me guide directement à gauche ou à droite, ce qui allège considérablement ma charge mentale. Je n’ai plus à réfléchir activement au chemin à prendre et aux obstacles à éviter, ce qui rend les déplacements plus fluides et moins stressants.
Il reste certes des améliorations à apporter, notamment pour anticiper les escaliers, mais le dispositif facilite déjà grandement la navigation en réduisant la fatigue et en rendant mes déplacements plus fluides.
Propos recueillis par Justine Mathieu
La finale du Cybathlon en images
Salomé Nashed lors de la finale du Cybathlon 2024. Photo par ETH Zurich / Cybathlon / Nicola Pitaro