
Rémi Quirion
Docteur Honoris Causa de Sorbonne Université
Une diplomatie scientifique proactive et concertée peut jouer un rôle déterminant dans la gestion des grands défis sociétaux.
Scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion a consacré une grande partie de sa carrière à l’étude de maladies complexes comme Alzheimer, la dépression et la douleur chronique. À la tête du Fonds de recherche du Québec (FRQ) et président de l’International Network for Governmental Science Advice (INGSA), il œuvre au développement de la diplomatie scientifique et à une meilleure intégration des savoirs dans la prise de décision publique. Aujourd’hui, Sorbonne Université lui décerne le titre de Docteur Honoris Causa.
Que représente pour vous cette distinction de Docteur Honoris Causa décernée par Sorbonne Université, et comment s’inscrit-elle dans votre parcours de scientifique et de défenseur de la recherche ?
Rémi Quirion : Lorsque j’ai appris que Sorbonne Université me décernait un doctorat honoris causa, ma première réaction a été l’incrédulité. Puis, des frissons, un sentiment de rêve éveillé. Tout jeune, je rêvais d’être accepté dans cette grande université. À 18 ans, lors de mon premier séjour à Paris, j’ai visité son campus pour en ressentir l’atmosphère et échanger avec les étudiants. Et aujourd’hui, j’y entre comme docteur !
Cet honneur signifie énormément pour moi. Il est aussi un hommage à mes collègues du gouvernement du Québec et à mes anciens étudiants, cette famille scientifique avec qui j’ai eu la chance de cheminer. Je partage cette distinction avec eux, et d’une certaine manière, ils font désormais, eux aussi, un peu partie de la grande famille de Sorbonne Université.
Sorbonne Université et les institutions québécoises partagent un fort engage-ment envers l’excellence scientifique et la collaboration internationale. Quels sont, selon vous, les axes de coopération les plus prometteurs entre le Québec et la France en matière de recherche et notamment avec Sorbonne Université ?
R. Q. : Les collaborations scientifiques entre la France et le Québec sont particulièrement fortes et nombreuses, et ce, depuis des décennies. J’en ai moi-même bénéficié tout au long de ma carrière en neurosciences et en santé mentale à McGill, et plus récemment en tant que scientifique en chef et représentant du gouvernement du Québec en matière de recherche et de science.
Tous les secteurs et disciplines de recherche y sont bien représentés. L’intelligence artificielle, le quantique, les mathématiques avancées, la santé incluant la santé publique, les neurosciences, la génomique et plus récemment la santé globale. Plusieurs partenariats structurants existent de longue date sur les changements climatiques, les grands objectifs de développement durable des Nations Unies, la biodiversité et, plus largement, l’environnement, l’agriculture durable et la protection des océans.
Enfin, des liens très étroits existent depuis des décennies dans plusieurs domaines des sciences sociales et humaines, de l’administration, de la littérature et des arts. La protection et la valorisation de la langue française constituent un enjeu majeur pour nous tous. Récemment, nous avons développé de nouveaux partenariats pour assurer la découvrabilité des contenus culturels et scientifiques en français. Des collaborations bilatérales sur l’étude de nos démocraties et de l’état du monde prennent aussi de l’ampleur, notamment face aux bouleversements géopolitiques actuels. Ce ne sont donc pas les sujets de coopération qui manquent, et je suis convaincu qu’ils continueront à se multiplier pour les décennies à venir.
Votre carrière est marquée par une contribution majeure aux neurosciences, notamment sur la maladie d’Alzheimer, la dépression et la douleur. Quels sont aujourd’hui les défis scientifiques majeurs dans ces domaines et les pistes de recherche les plus prometteuses ?
R. Q. : J’ai eu énormément de plaisir à mener mes recherches en neurosciences à l’Université McGill, notamment à l’Institut Douglas en santé mentale. McGill et Montréal sont mondialement reconnus pour l’excellence de leurs équipes dans ce domaine. Pourtant les pro-grès de nos connaissances et du développement d’un traitement vraiment efficace des maladies comme la maladie d’Alzheimer, la dépression et la douleur restent lents – parfois même frustrants.
L’un des principaux défis, à mon avis, réside dans le diagnostic de ces maladies à un stade précoce. Trop souvent, nous procédons par diagnostic d’exclusion : ce n’est ni X, ni Y, ni Z, donc il s’agit probablement de la maladie d’Alzheimer ou de dépression. Lorsque la pathologie est finalement détectée, elle est déjà bien avancée, ce qui réduit considérablement l’efficacité des traitements. Il est donc crucial de poursuivre les recherches pour identifier des marqueurs précoces fiables de ces maladies et de leurs différentes variantes. Car il n’existe pas une seule forme de douleur, mais plusieurs, et chacune nécessite une approche thérapeutique spécifique.
En d’autres termes, nous devons continuer à progresser vers une médecine plus personnalisée. Ces dix dernières années, nous avons franchi des étapes importantes, et de nouvelles approches thérapeutiques plus efficaces ont vu le jour pour mieux traiter les différentes phases de la dépression, certaines formes de douleur chronique et même la démence de type Alzheimer. Mais il reste encore énormément à faire et à découvrir. Et c’est en collaborant avec nos collègues du monde entier que nous réussirons à mettre au point des approches thérapeutiques réellement efficaces, capables d’intervenir le plus tôt possible dans l’évolution de ces maladies.
En tant que Scientifique en chef du Québec, vous avez promu la diplomatie scientifique et l’importance de la communication entre chercheurs et citoyens. Pourquoi est-il crucial aujourd’hui que la science soit mieux comprise et intégrée dans la prise de décision publique et par la société ?
R. Q. : En tant que Scientifique en chef depuis près de 14 ans – un record de longévité dans le monde ! – et président de l’International network for governmental science advice (INGSA) depuis quatre ans, je place la diplomatie scientifique et le conseil scientifique au cœur de mes priorités. Il est essentiel d’améliorer les capacités et l’expertise de nos équipes de recherche et de nos gouvernements dans ces deux secteurs. C’est donc une de nos priorités au Fonds de recherche du Québec (FRQ) et de l’INGSA, que ce soit au niveau des organisations supranationales, des gouvernements nationaux et régionaux, ou encore à l’échelle locale, dans les municipalités.
Dans le contexte géopolitique actuel, il est fondamental que scientifiques, hauts fonctionnaires et élus se familiarisent avec le langage de l’autre afin de mieux se comprendre et de bénéficier de nos connaissances et compétences respectives. Une décision politique éclairée par la science et les données probantes a non seulement plus de chances d’être bien reçue par la société civile, mais aussi de s’inscrire dans la durée.
Il est aussi essentiel d’améliorer la littératie scientifique de tous et chacun dans nos sociétés, c’est-à-dire la capacité à comprendre, évaluer et utiliser l’information scientifique dans la vie quotidienne et les prises de décision. C’est l’un des leviers que nous favorisons pour lutter contre la désinformation et les fausses nouvelles. La tâche est complexe, mais nous devons y consacrer tous les efforts nécessaires, au Québec comme ailleurs dans le monde.
Enfin, une diplomatie scientifique proactive et concertée peut jouer un rôle déterminant dans la gestion des grands défis sociétaux que sont les changements climatiques, les pandémies et la sauvegarde de nos démocraties. Le FRQ a donc décidé d’investir massive-ment dans la création d’un important réseau de chaires en diplomatie scientifique. C’est un projet dont nous sommes particulièrement fiers, et nous espérons que d’autres organismes de financement de la recherche suivront cette voie.