
Rafik Benrabbah
Docteur Sorbonne Université 2015, expert au cabinet EQUAD et animateur du club des docteurs alumni
Rafik BENRABBAH, après un premier cycle en Algérie, est venu en France en 2009 pour entreprendre un master de chimie, spécialité génie des procédés et matériaux. Il a poursuivi ensuite en thèse consacrée à l’élaboration et la caractérisation du silicium de grade photovoltaïque. Il a soutenu en 2015. Après quelques années passées dans la recherche publique, il choisit en 2018 de s’orienter vers l’expertise technique au sein d’un cabinet privé. Il est par ailleurs animateur du club des docteurs alumni de Sorbonne Université.
Rafik BENRABBAH, quel a été le sujet de votre thèse ?
RB : Ma thèse portait sur le développement de procédés plasma pour l’élaboration du silicium photovoltaïque en couche mince et sa caractérisation par la LIBS ((Laser Induced Breakdown Spectroscopy). Elle s’inscrivait dans la continuité de mon stage de master effectué au laboratoire de génie des procédés, plasma et traitements de surface LGPPTS sous la direction du Professeur Daniel Morvan et Malek Benmansour.
Plutôt que produire du silicium en lingot massif, mes travaux ont porté sur le dépôt de couche mince (quelques microns) – une approche alors considérée comme une rupture technologique. J’ai également au cours de cette thèse, travaillé sur l’analyse du silicium en fusion (1410°C) en développant la LIBS permettant d’accéder en temps réel à la composition chimique du silicium. Dans le domaine du photovoltaïque, où la pureté du matériau est déterminante pour le rendement des cellules, cette capacité d’analyse fine et immédiate représentait un enjeu majeur.
Au cours de ma thèse, j'ai enseigné à l’UFR de Chimie de Sorbonne Université, présenté mes travaux lors de symposiums nationaux et internationaux, publié des articles scientifiques et co-déposé des brevets avec le CEA. Ces brevets concernent le procédé de dépôt de couches minces de silicium et l'utilisation de la LIBS pour l'analyse multi élémentaire en temps réel de métaux en fusion.
Qu’est-il advenu après la soutenance ?
RB : Mon projet initial était d’être enseignant chercheur. Au total, je suis resté chercheur en CDD dans la fonction publique pendant 6 ans avant de m’orienter dans le privé. A la fin de ma thèse, j’ai obtenu un poste d’ATER à Sorbonne Université où j’ai travaillé sur le développement d’un procédé de valorisation du CO2, plus précisément la méthanation par procédé plasma froid / catalyse hétérogène avec le Professeur Patrick Da Costa en collaboration avec l’Ecole de Chimie Paristech PSL. Les résultats de ces travaux ont été très prometteurs ; un prototype a été développé et a conduit à la création de la start-up ENERGO, qui exploite aujourd'hui cette technologie. Pendant ces deux années, j'ai également enseigné à l'UFR d'ingénierie de Sorbonne Université.
Par la suite, j’ai rejoint le CEA, au département des technologies solaires, où j'ai piloté la preuve de concept d'une nouvelle technologie de cellule photovoltaïque tandem pérovskite sur silicium hétérojonction. Avec l’équipe que j’ai constituée, nous avons démontré la faisabilité du concept en seulement neuf mois. Malgré ces résultats encourageants, la conjoncture économique et politique de l’époque n’a pas permis l’ouverture de postes de titulaires. C’est dans ce contexte que j’ai décidé de quitter la recherche publique.
Dans cette transition, j’ai eu l'opportunité de suivre la formation Business Foundations Certificate (BFC) à l’INSEAD, grâce à une bourse attribuée par Sorbonne Université. C’est pendant ma formation à l’INSEAD que j’ai été contacté par un chasseur de têtes pour rejoindre le cabinet d’expertise indépendant EQUAD. J'y exerce depuis janvier 2018, d'abord en tant qu’expert, puis en tant qu’expert senior. Depuis cette année, j'ai également la responsabilité de diriger le groupe « Industrie » de Paris composé de 12 personnes.
Pourquoi ce choix du cabinet EQUAD ?
RB : A ce stade de ma carrière, je souhaitais poursuivre dans la recherche. J’ai donc participé à plusieurs entretiens, notamment auprès des grandes entreprises qui valorisent le doctorat pour intégrer les départements R&D. Cependant, à l’issu de plusieurs entretiens et processus de recrutement, j’ai préféré l’ambiance d’une PME et le métier de l’expert. J’ai ainsi rejoint EQUAD, un cabinet d’expertise d’environ 400 personnes spécialisé dans l’intervention auprès d’industriels et d’assureurs à la suite de sinistres ou de litiges industriels (explosions, incendies, effondrements, défauts de produits, non-conformités, etc.).
Quel est votre métier dans ce contexte ?
RB :Je suis expert mais le terme n’a pas tout à fait la même signification que dans la recherche. Dans le milieu académique, un expert est généralement un chercheur en fin de carrière reconnu pour sa maitrise approfondie d’un domaine. Dans mon métier, le terme "expert" se rapproche davantage de la notion anglo-saxonne de "loss adjuster". Concrètement, notre mission d’expertise, menée pour le compte d’un client dont la responsabilité civile (RC) est engagée — ou pour son assureur — s'articule autour de quatre grands axes. L’analyse contractuelle, qui consiste notamment à examiner les obligations techniques du client. L’expertise technique, à travers le constat des dommages pour en évaluer les conséquences et la recherche des origines et causes des désordres. L’évaluation financière, pour vérifier la validité de la réclamation et chiffrer les coûts nécessaires à la remise en état. La résolution du litige, en favorisant une issue amiable par un accord sur le montant des dommages et l’imputabilité des responsabilités.
Dans mon activité, j'ai l’opportunité d’intervenir sur des dossiers à forte valeur ajoutée technique et à forts enjeux financiers, tant en France qu’à l’international. La rigueur scientifique reste essentielle : je réalise fréquemment des recherches bibliographiques approfondies, notamment pour traiter des dossiers complexes. Il m'arrive également de concevoir des protocoles d’essais en collaboration avec des laboratoires pour comprendre des phénomènes physico-chimiques particuliers. Cette diversité rend la partie technique de mon métier passionnante. Mon parcours m’a conduit dans des lieux parfois insolites : égouts de Paris, bases militaires, centrales électriques... et je navigue régulièrement entre des univers totalement différents — d'une exploitation agricole confrontée à un problème de biocides à une maison de luxe traitant des questions de colorimétrie sur des tissus.
Selon vous, quelles sont les compétences développées pendant la thèse qui vous servent encore aujourd’hui ?
RB : Dans mon métier, j’utilise pleinement mes compétences techniques en les appliquant sur des sujets très variés. Le raisonnement développé en thèse — qui consiste à tout remettre en question et à tout vérifier — trouve un prolongement naturel dans mon travail d’expert : je contrôle systématiquement ce qui est affirmé, j’analyse en détail les rapports techniques et je construis une compréhension critique à partir d'informations parfois complexes. La capacité à chercher rapidement de l'information pertinente, à la trier et à l’assimiler est essentielle. C’est l’une des compétences fondamentales que j’ai acquises pendant ma thèse, notamment à travers la pratique régulière de l’état de l’art.
Au-delà des aspects purement techniques, mon activité mobilise également des compétences transverses, en particulier la pédagogie et la capacité de synthèse. Nos clients ne sont pas toujours des spécialistes techniques. Il est donc indispensable de rendre l’information accessible sans la dénaturer, en présentant les faits de manière concrète, compréhensible et synthétique. La méthode rédactionnelle développée pendant la rédaction de ma thèse est un atout précieux. Par exemple, je cite systématiquement mes sources et les pièces analysés. Cette rigueur assure une traçabilité essentielle, notamment dans les dossiers complexes qui peuvent avoir une longue durée de vie.
Le travail de thèse a également renforcé ma capacité de concentration, ma maîtrise de l’anglais scientifique, et plus largement, mon rapport au savoir. Être docteur, c’est aussi savoir reconnaître les limites de sa connaissance. Prendre conscience de son ignorance est, à mes yeux, la première étape du savoir : plus nous avançons, plus nous réalisons combien il reste à comprendre.
Rafik, vous êtes animateur du club des docteurs alumni de Sorbonne Université, pourquoi cet investissement ?
RB : Pendant mon master et ma thèse, j’ai pris conscience de l’importance d’appartenir à une communauté d’anciens. J'ai compris combien le réseau pouvait jouer un rôle clé dans les parcours professionnels, c’est pourquoi j’ai décidé de consacrer du temps pour les jeunes doctorants. Dès que j’ai entendu parler de la direction des alumni en 2018, j’ai décidé de m’engager. Le premier club créé par le réseau Alumni SU a été le club des docteurs avec pour objectifs de valoriser le doctorat, de favoriser l’entraide entre anciens et jeunes, de promouvoir le savoir, de créer du lien entre les citoyens et les chercheurs, et de dépasser les clivages entre sciences humaines et sociales et sciences dures.
Périodiquement, nous créons des évènements, des conférences thématiques, des afterworks. Nos membres participent activement aux programmes de mentorat mis en place par Sorbonne Université. Tout cela repose entièrement sur le volontariat. Le principal défi reste de mobiliser davantage de docteurs : beaucoup appartiennent déjà à d'autres réseaux professionnels, tandis que d'autres méconnaissent ou sous-estiment l'importance de ce type d'engagement. À mon échelle, je m’efforce de faire vivre ce réseau et de sensibiliser les PME et ETI françaises à la valeur du doctorat. C’est aussi cela, le sens du réseau : créer des passerelles, ouvrir des opportunités et continuer à faire rayonner Sorbonne Université à travers nos parcours.