Pierre Tallet
Egyptologue et directeur de l’Institut français d'archéologie orientale du Caire
Mon intérêt se porte davantage dans des zones où l'on peut obtenir de nouvelles informations parce que personne n'y est passé auparavant.
Pendant un quart de siècle, Pierre Tallet a enseigné l’égyptologie à Sorbonne Université. Tout récemment nommé directeur de l'Institut français d'archéologie orientale au Caire, il poursuit avec passion ses explorations de l'histoire égyptienne.
La passion de Pierre Tallet pour l'archéologie n'était pas un coup de foudre de jeunesse. Plutôt une fascination qui a grandi au fil du temps. « Je ne suis pas tombé dans la marmite quand j'étais petit, mais j'ai toujours aimé l'histoire et l’archéologie. L’intérêt est venu avec les années. À Bordeaux, là d’où je viens, il n’existait pas d’études d’égyptologie. Je suis alors venu à Paris pour étudier cette discipline à Sorbonne Université. » Une discipline qui allait devenir le socle de sa carrière.
C’est en 1987 que Pierre Tallet a commencé son exploration du patrimoine égyptien, conscient des longues années nécessaires pour maîtriser toutes les facettes de cette civilisation. « C’est une longue formation : il faut apprendre la langue, se familiariser avec le matériel, aller sur le terrain… », souligne-t-il. Après avoir enseigné le français dans un lycée égyptien pendant deux ans, il est devenu responsable des publications à l'Institut français d'archéologie orientale (IFAO) durant sept ans. « Je suis resté une dizaine d’années en Égypte dans les années 1990 avant d’être recruté comme maître de conférences à Sorbonne Université en 2001. »
Des découvertes marquantes
Au cours de ces nombreuses recherches, certaines ont laissé une empreinte significative.
La première date de 2012 : alors qu’il est en fouille au Sinaï, Pierre Tallet découvre des inscriptions rupestres qui révèlent des pans méconnus de l'histoire pharaonique. Il raconte : « Avec un collègue, nous avons entrepris une exploration accompagnée par des Bédouins qui nous guidaient à travers la région, révélant toutes les inscriptions qu'ils connaissaient. À un moment donné, j'ai été conduit sur ce site où nous avons découvert un vaste panneau gravé, avec des inscriptions datant du tout début de l'histoire pharaonique. Il s'agissait des plus anciennes inscriptions rupestres connues, remontant à environ 3 100 ou 3 200 av. J.-C. Ces inscriptions repoussaient de près de 500 ans la période pendant laquelle les Égyptiens étaient présents dans le Sinaï. On pensait initialement qu'ils avaient commencé vers 2 700 av. J.-C. avec l'Ancien Empire, mais cette découverte nous ramenait aux origines de l'histoire. Être en face de quelque chose qui n'avait pas été lu depuis des millénaires procure toujours une sensation particulière ; on se sent privilégié dans ce genre de moment ».
La seconde a lieu en 2013 : celle des papyrus de Ouadi el-Jarf, une découverte qui a suscité un vif intérêt dans le milieu. « Nous avons commencé à fouiller le site en 2011, et deux ans plus tard, tout à coup, nous avons fait une découverte inattendue : un lot de papyrus datant de l'Ancien Empire. Cela s'est déroulé de manière relativement progressive, avec de petits fragments et de petites inscriptions découverts de-ci de-là. Nous sommes restés dans un état d'excitation latent tout au long de la campagne, et soudain, dans les derniers jours, nous avons trouvé des feuilles de papyrus complètes avec de nombreux textes. Encore aujourd’hui, de nouvelles informations apparaissent à la lecture. »
Les papyrus de Ouadi el-Jarf offrent une documentation précieuse sur la construction de la pyramide de Khéops en fournissant le journal de bord d'un individu qui semble être un témoin oculaire de ce processus. « On sait qu'il a la pyramide sous les yeux et qu'il contribue au transport des blocs pour la construction. Avec ces papyrus, on a aussi découvert des éléments de comptabilité qui révèlent quelle nourriture ont reçu les ouvriers ou les outils avec lesquels ils ont travaillé. Ces papyrus transforment le récit de la construction de la pyramide, la faisant passer d'un moment inerte, figé dans le temps, à une activité réelle et vivante, impliquant toute une communauté » explique Pierre Tallet.
Défenseur de l'égyptologie
Depuis cette année, Pierre Tallet est en détachement au Caire en tant que directeur de l'Institut français d'archéologie orientale : « L'institut est le centre qui permet d’organiser toutes les expéditions archéologiques en Égypte. Il abrite une bibliothèque exceptionnelle avec 100 000 volumes dédiés à l'égyptologie, ainsi qu'une imprimerie. C'est un centre de recherche de renom faisant partie intégrante du réseau des écoles à l'étranger, au même titre que l'École de Rome ou la Casa Velázquez », précise-t-il.
Afin de rendre accessible cette riche histoire à la population égyptienne, Pierre Tallet encourage d’ailleurs la création d'ouvrages dans la langue du pays. Il est d'avis que les chercheurs devraient acquérir une connaissance de l'arabe égyptien et exprime le souhait que cela devienne une pratique courante. « Cela parait naturel pour les personnes qui travaillent à l'école de Rome d’apprendre l’italien ou à l’école d’Athènes d’apprendre le grec. Pourquoi cela ne serait-il pas également le cas en Égypte ? ».
Celui qui a été professeur en égyptologie à la faculté des Lettres de Sorbonne Université pendant vingt-cinq ans insiste sur l'importance d'acquérir une culture générale étendue pour celles et ceux souhaitant se lancer dans ces études. « Il y a une pénurie de postes dans le domaine de l'égyptologie en France. Sorbonne Université est l'une des rares institutions à offrir des programmes d'égyptologie dans le pays. Je regrette que de nombreuses universités n'ouvrent pas davantage de formations dans ce domaine, étant donné l'ampleur de l'intérêt suscité ». À bon entendeur…
« Il y aura toujours des découvertes à faire »
Avec les années, le dynamisme de Pierre Tallet ne faiblit pas. « Je reste déterminé à explorer les "angles morts" de l'archéologie égyptienne. Je n'ai jamais véritablement cherché à faire de grandes découvertes, car mon intérêt se porte plutôt sur le travail en marge du territoire, dans des zones qui ne sont pas forcément reconnues, où l'on peut obtenir de nouvelles informations parce que personne n'y est passé auparavant. Même si ce que l'on découvre n'est pas spectaculaire, cela apporte une plus-value en termes de recherche. »
L’égyptologue avertit par ailleurs sur l’urgence de la préservation de certains sites, soulignant l'importance de les documenter avant qu'ils ne soient perdus à jamais. « En Égypte, il y a une activité de recherche minière et industrielle intense dans les déserts, entraînant la destruction de sites avant même qu'on ait pu les fouiller. Nous sommes engagés dans une course contre-la-montre pour les préserver. De même, dans la vallée du Nil, le phénomène d'urbanisation présente les mêmes défis. »
Quid de ses projets à venir ? En plus de son activité de directeur de l’IFAO, Pierre Tallet a encore quelques années de recherches sur le site du Ouadi el-Jarf. Il a par ailleurs repris les prospections dans le Sinaï, qui avaient été interrompues en 2013 en raison de difficultés rencontrées sur le terrain, et envisage encore de travailler sur d’autres zones désertiques. « Nous allons pouvoir aller sur le site de Gebel el-Zeit, sur la côte ouest de la mer Rouge, où des mines de galène ont été exploitées à toutes les périodes de l’histoire pharaoniques. Déjà partiellement fouillé dans les années 1980, ce site possède encore un énorme potentiel archéologique. »
Le parcours de Pierre Tallet, marqué par des découvertes révolutionnaires, témoigne de la richesse du patrimoine archéologique égyptien. « Il y aura toujours des découvertes à faire. Nous avons encore du travail pendant des dizaines, voire des centaines d'années », conclut-il.