Philippe Potin
Chercheur en biologie marine et spécialiste des algues
On a complètement sous-estimé le potentiel des algues pour séquestrer le carbone
Les algues sont toute la vie de Philippe Potin... ou presque. Ce Breton les côtoie depuis sa plus tendre enfance et mène, en tant que chercheur en biologie marine à la Station biologique de Roscoff (Sorbonne Université/CNRS), un nombre incalculable de recherches sur ces organismes marins aux mille et un potentiels.
Il y a des choses comme ça qui nous suivent depuis l’enfance. Pour Philippe Potin, directeur de recherche CNRS à la Station biologique de Roscoff, ces « choses », ce sont les algues. Ce Brestois les a toujours côtoyées. « Tout petit, j’accompagnais mes grands frères qui récoltaient les algues lors des grandes marées et on les revendait pour se faire un peu d’argent de poche », explique-t-il.
Pourtant, adolescent, il ne va pas tout de suite s’orienter dans les sciences naturelles et la biologie. « Au départ, j’ai voulu être travailleur social. Alors, quand il a fallu choisir son parcours académique, j’ai opté pour une licence 1 de maths appliquées et de sciences sociales. Mais cela a été un vrai fiasco ! Je me suis rendu compte que je ne voulais pas faire ça. »
Parallèlement à ses études, Philippe Potin est aussi bénévole à la Jeunesse étudiante chrétienne à Paris, il y restera trois ans durant avant de changer de cap. « Je m’étais suffisamment investi dans le social et le collectif. J’ai eu envie de repartir à plein temps dans des études universitaires. » Hasard ou coïncidence, les locaux de l’association se situent en face de la faculté des Sciences de Sorbonne Université. Ni une ni deux, Philippe Potin s’inscrit en océanologie biologique. « J’y ai découvert le potentiel de travailler en recherche. Cela a déterminé ma vocation scientifique ! »
Des projets de recherche pluridisciplinaire sur les applications des algues
Durant son master, l’étudiant se spécialise dans les algues qui accumulent du calcaire et forment des habitats d’une grande biodiversité dans tous les océans : « ce domaine intéressait alors peu de monde ». C’est donc une recherche plus finalisée qui lui permettra de poursuivre ses travaux. C’est dans le domaine de l’agriculture que le chercheur oriente ensuite son travail sur les algues. « On s’est aperçus qu'elles avaient plein de potentiel aussi bien en cosmétique qu’en agroalimentaire et en agriculture », précise-t-il avant d’ajouter : « On utilisait déjà depuis des siècles l’algue comme engrais naturel pour fertiliser les champs mais cela avait été mis de côté au fur et à mesure des années. » Philippe Potin entreprend ensuite son doctorat à Roscoff et bénéficie d’une bourse pour travailler sur le développement des algues et leurs applications en agriculture.
Entretemps, il traverse l’Atlantique pour faire son post-doc en Nouvelle-Écosse dans « l’un des meilleurs labos au monde sur les algues ». Puis revient à Roscoff pour travailler sur des projets spécifiques aux grandes algues, notamment sur leurs mécanismes d’immunité. Les années passent et les découvertes s’enchaînent pour asseoir ses connaissances sur la signalisation et les métabolismes originaux des algues brunes et rouges…
En 2006, Philippe Potin devient directeur de recherche CNRS à la Station biologique de Roscoff. Dès lors, il coordonne de nombreux projets de recherche pluridisciplinaire sur les applications des algues. En 2011, il a notamment coordonné le projet IDEALG, qui a associé pendant dix ans pléthore de chercheuses et chercheurs de France, tous domaines confondus, autour de ces végétaux aquatiques.
Plus récemment, c’est le projet GENIALG qui a occupé l’esprit et l’emploi du temps du scientifique. Ce projet vise à développer la valorisation des cultures des grandes algues marines dans les bioraffineries, à renforcer la compétitivité des filières d’exploitation et à promouvoir des méthodes de production durable. « Nous avons obtenu une subvention européenne de 11 millions d’euros sur quatre ans pour ce projet qui a réuni 19 partenaires publics et privés de six pays européens. »
Un enjeu majeur pour la planète
Il y a deux ans, l’expert ès algues a notamment été contacté par la fondation anglaise Llyod’s Register pour fédérer et sensibiliser au niveau mondial tous les acteurs de la filière, et créer des normes et standards qui répondent aux objectifs de développement durable des Nations unies. « Actuellement, les normes européennes empêchent des producteurs de commercialiser leurs algues sur le continent car elles sont au-dessus du seuil de tolérance de certains contaminants. La grosse majorité des organismes marins de notre alimentation est contaminée par les métaux lourds. Mais les seuils adoptés en Europe pour les algues sont plus drastiques... »
Philippe Potin pourrait parler des heures sur ces travaux de recherche et le potentiel sous-exploité de ces organismes vivants. Les algues représentent d’ailleurs un enjeu majeur pour l’environnement. « On a complètement sous-estimé leur potentiel pour séquestrer le carbone », alors qu’une forêt d’algues capte autant de carbone dans l’océan que sa surface équivalente de forêt amazonienne.
Les algues sont aussi un enjeu mondial pour l’alimentation. « Nous travaillons depuis le début avec la FAO* pour les inscrire dans le codex alimentarius. Ce sont des aliments comme les autres », explique Philippe Potin.
Entre deux visioconférences - « Avec le Covid, je n’ai jamais vu autant de collègues à l’international qu’en Zoom! » -, le chercheur de la station biologique de Roscoff se rend sur le terrain pour aider et apporter son expertise aux producteurs d’algues du monde entier. Prochain déplacement : la Tasmanie.