Nébéwia Griffete

Chimiste et médiatrice scientifique

Quand on aime vraiment ce qu'on fait, on se donne les moyens de réussir

Si, pour vous, un chimiste est un rat de laboratoire figé derrière sa paillasse, qui crée des potions dans ses tubes à essai et joue avec un bec benzène, c’est que vous n’avez pas encore rencontré Nébéwia Griffete ! Cette trentenaire, originaire d’une petite ville près de Metz, est loin du cliché du scientifique. Maîtresse de conférences, ambassadrice de la Moselle et médiatrice scientifique, Nébéwia Griffete jongle entre plusieurs casquettes avec dextérité sans délaisser son rôle de chercheuse en chimie. Ses recherches actuelles sont là pour le prouver : elle développe des nanomatériaux pour améliorer le traitement des patients atteints de cancer.

Nébéwia Griffete nous accueille tout sourire dans son bureau du laboratoire Phénix (Sorbonne Université/CNRS) situé sur le campus de la faculté des Sciences et Ingénierie. On sent rapidement, après quelques mots échangés, qu’elle est une véritable passionnée de chimie. Et pourtant, petite, cela n’était pas une évidence… même si son appétence pour les sciences était bien présente ! « Je ne me destinais pas du tout à une carrière en chimie. J’ai passé mon bac S en me disant surtout que cela m’ouvrirait plus de portes. J’ai ensuite entrepris une licence de chimie à l’université de Metz. J’ai souhaité continuer en master, mais l’université ne proposait pas celui que je voulais faire… » Nébéwia Griffete choisit alors de poursuivre son aventure dans « la meilleure université de France ». Elle intègre Sorbonne Université - alors université Pierre et Marie Curie - où elle obtient son master avec une option polymère*. 

L’étudiante ne s’arrête pas en si bons chemins et poursuit jusqu’au doctorat à l’université Paris-Cité. « J’y ai étudié les polymères à empreinte moléculaire. Ce procédé permet de reconnaître de façon très sélective une molécule dont on a fait l'empreinte », explique-t-elle, avant de poursuivre : « On a couplé ce système à un cristal photonique qui est une structure comparable aux ailes des papillons. En fonction de l'angle de rayonnement de la lumière, ces dernières changent de couleur. Je me suis servie de ces propriétés naturelles pour développer un matériau qui change de couleur dans l’eau lorsqu’on détecte un polluant ».
Si la thématique environnementale l’a toujours animée, c’est surtout l’utilisation de la chimie dans la société qui intéressait - et continue d’intéresser - la chercheuse. « Ce qui me plaît, c'est de pouvoir appliquer la chimie à quelque chose qui va servir au plus grand nombre. »

Les nanomatériaux contre le cancer

Après son doctorat, Nébéwia Griffete part deux ans en stage en Suisse où elle se perfectionne sur les nanomatériaux. Puis, direction l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de Paris (ESPCI) où elle se concentre sur l’étude des nanomatériaux et ses moyens d’actions dans le milieu de l’industrie, avant de travailler sur le développement de nanomatériaux magnétiques pour la thérapie du cancer en collaboration, avec le Pr. Christine Ménager du laboratoire Phénix. 

Une fois n’est pas coutume, Nébéwia Griffete veut se rendre utile à la société. « J'ai commencé ce projet en tant que chimiste et je me suis rendue compte à un moment donné que je n'avais pas les compétences en biologie pour faire pleinement ce travail. Je suis donc allée me former dans un laboratoire de biologie à Lyon pour obtenir la double compétence chimie-biologie. Maintenant, je peux faire moi-même mes cultures cellulaires ! »
Pour que ce projet prenne plus d’ampleur, il a aussi fallu collaborer avec les bonnes personnes, surtout « quand on veut étudier la nanomédecine ». 
Depuis trois ans, la chimiste travaille avec le Dr Michèle Sabbah, cheffe d'équipe de biologie thérapeutique au Centre de recherche Saint-Antoine (Sorbonne Université/Inserm/AP-HP) et spécialiste dans la thérapie du cancer du sein. « Depuis que nous travaillons ensemble, les projets que je réalise ont pris une tout autre dimension. Ils ont plus de poids et reçoivent plus de financement. »
De fait, Nébéwia Griffete et son équipe ont notamment obtenu les financements Émergence de Sorbonne Université, ITMO Cancer, l’ANR Jeunes chercheuses et, récemment, leur sésame pour le programme de prématuration CNRS innovation qui va leur permettre « de terminer les dernières manipulations, notamment sur des tumeurs de patiente fournies par les anatomopathologies de La Pitié ». 

Concrètement, quel est l’objectif de ce projet ? Elle explique : « Actuellement, pour traiter le cancer, on utilise les thérapies ciblées ADC, c'est-à-dire qu’on va aller cibler les cellules cancéreuses et ne traiter que celles-là.  Sauf qu’en plus de ne pas pouvoir cibler toutes les cellules que l’on voudrait, ces thérapies sont très chères à développer et tous les pays ne peuvent pas le faire. Avec notre projet, on voudrait remplacer ces ADC qui valent des milliards d'euros par des polymères à empreinte moléculaire, qui auraient la capacité de cibler les cellules cancéreuses et de traiter localement le cancer. »
Un véritable enjeu de santé publique pour un projet qui demande une incroyable interdisciplinarité. Nébéwia Griffete le reconnaît bien volontiers : « Sans cette collaboration interlabo de l’Alliance Sorbonne Université, je ne pourrai pas aller très loin, mes projets resteraient sur la paillasse ».

Médiatrice scientifique et communicante en herbe

En parallèle de son métier de chimiste, Nébéwia Griffete se plait à diffuser ses savoirs à ses étudiantes et étudiants en tant que maîtresse de conférences à Sorbonne Université, mais aussi à un public adolescent lorsqu’elle endosse son rôle de médiatrice scientifique dans les collèges et lycées de Moselle. « Je retourne dans ma région pour faire la promotion de la chimie, de l’université, du métier d'enseignant-chercheur… Je présente aussi ce que je fais en labo pour qu'ils se rendent compte qu'on peut venir d'une petite ville de province, et atterrir dans une grande université comme Sorbonne Université, et faire un métier qui nous plaît. »

La communication, une nouvelle corde à ajouter à son arc ? « J’y prends beaucoup de plaisir ! En tant que membre du Réseau Jeunes de la Société chimique de France, je réalise un podcast (Vis ma chimie !) co-animé avec la Fédération Gay-Lussac. J’interviewe des jeunes chimistes qui présentent en 5 min leur vie de chercheur, leur passion, ce qui les motive dans leur travail. L’idée est de montrer à quel point ils sont heureux dans leur job ! »
La chercheuse aimerait également réaliser un documentaire sur le quotidien de ces pairs afin de « partager ce qu'on fait, de façon simple, à un public novice ». 

Celle qui se considérait comme « une élève moyenne » au collège et lycée a réussi dans bien des domaines en mettant en pratique son leitmotiv : « Quand on aime vraiment ce qu'on fait, on se donne les moyens de réussir ». À bon entendeur !


Un polymère est une substance chimique constituée d'une multitude de grosses molécules. On retrouve des polymères dans la vie de tous les jours puisque les matières plastiques sont des polymères.