Marc Gielen
Chercheur au CNRS et étudiant en médecine à Sorbonne Université
Je peux déjà percevoir l’avantage principal de cette double-casquette médecin/chercheur : la pratique d’une facette alimente l’autre
Marc Gielen est docteur en neurobiologie. A 35 ans, il a décidé d’entreprendre des études de médecine à Sorbonne Université pour rajouter une corde à son arc. Passionné par le croisement entre recherche et médecine il reçoit le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller pour son projet depuis maintenant 3 ans.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours relativement atypique ?
Pour commencer je vais remonter à l’époque du baccalauréat : comme beaucoup, j’hésitais entre classe préparatoire et médecine. J’étais plutôt attiré par le second choix à l’époque, mais je me disais que si je commençais par médecine, je ne pourrais pas faire classe prépa, alors que si je faisais l’inverse, je pouvais faire médecine en cas de remord.
J’ai donc commencé par une classe préparatoire maths-physique, que j’ai trouvée très intéressante. C’est une fois arrivé en école d’ingénieur, à Centrale Paris, que je me suis rendu compte que le métier d’ingénieur ne me correspondait pas. En parallèle de la dernière année j’ai donc fait un DEA en biophysique pour évoluer à l’interface entre biologie et mathématiques/physique, et me rapprocher ainsi du monde biomédical. J’ai ensuite entamé une thèse en neurobiologie à l’ENS, afin de creuser davantage dans cette direction. Mes 3 ans de doctorat à l’ENS furent fascinants, mêlant un sujet passionnant et un cadre de travail idéal car j’y ai vécu une émulation scientifique hors norme. Par la suite j’ai entamé un post-doctorat à Londres sur des sujets similaires. Malgré l’intérêt de ces sujets de recherche, je trouvais qu’il me manquait toutefois une dimension humaine et sociale dans mon travail de chercheur.
A l’époque j’ai donc déjà hésité à entreprendre des études médicales, mais je savais que ce serait compliqué pour des raisons matérielles, commençant à envisager une vie de famille. Recommencer de telles études en étant plus âgé, et tout en étant indépendant financièrement, c’est un défi. Me demandant si je n’avais pas tout simplement besoin de voir autre chose que le monde de la recherche, j’ai travaillé un an dans un cabinet de conseil en stratégie. La conclusion fut sans appel : s’il faut choisir entre consultant et chercheur, je suis chercheur ! Je suis donc retourné à la recherche dans une très belle équipe de l’Institut Pasteur, puis j’ai passé le concours CNRS en 2015 et y ai décroché un poste. Mes recherches y portaient toujours sur des questions de neurobiologie moléculaire, en particulier de neuropharmacologie et de relation structure-fonction des récepteurs à neurotransmetteurs. Mais ce regret de ne pas avoir fait médecine restait malgré tout présent.
Deux évènements ont relancé ma réflexion : une simple opération de l’épaule qui m’a fait échanger avec mon chirurgien, et la naissance de mon premier enfant qui a fait remonter son quota de questions métaphysiques sur le sens de la vie. J’ai eu alors un déclic : si ce n’est pas maintenant, ce ne sera jamais. A quasiment 36 ans, je me suis donc inscrit en médecine pour intégrer directement le cursus en 3ème année grâce à une procédure d’admission passerelle. J’ai passé au mois de juin le concours de l’internat, qui clôture la 6ème année, et j’ai choisi de faire psychiatrie.
Y a-t-il quelque chose qui vous a particulièrement poussé à reprendre les études ?
Chaque métier contient une dimension de routine. C’est d’ailleurs comme cela qu’on devient bon : en obtenant des sortes de réflexes innés. Dans la recherche il peut aussi y avoir une dimension monacale : on écrit nos articles et nos demandes de financement, et le reste passe un peu au second plan dans nos évaluations. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas, c’est un métier formidable ! Mais les récompenses associées sont très irrégulières, et entre deux périodes fastes, deux découvertes (aussi humbles soient-elles), deux articles publiés, il y a des périodes intenses de doute, de remise en question ou d’échec expérimental, durant lesquelles on a parfois du mal à saisir en quoi on fait avancer les choses au jour le jour. Et comme je l’ai dit avant, il me manquait une dimension sociale. Bien sûr, la perception de tout cela varie d’une personne à l’autre, et les chercheuses et chercheurs sont bien entendu connus pour leur conscience sociale aiguisée.
Quel est selon vous l’intérêt d’avoir une « double-casquette » médecin/chercheur ?
Avec un minimum de vécu dans le milieu médical, je trouve que la médecine offre une récompense qui répond au besoin social que je ressentais : on a quotidiennement la satisfaction d’avoir pu aider ou soulager tel ou tel patient – sans que l’on ait bien sûr le sentiment d’avoir changé la face du monde.
Je peux déjà percevoir l’avantage principal de cette double-casquette médecin/chercheur : la pratique d’une facette alimente l’autre, le contact des patients amène à se poser des questions que l’on ne se serait pas posées autrement, et l’exercice de la recherche aide à remettre en question des pratiques qui pourraient sembler gravées dans le marbre.
C’est justement le souhait de cette double-casquette qui vous a amené à recevoir le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller ?
J’ai en effet eu la chance de pouvoir bénéficier de l’aide de la Fondation Bettencourt Schueller qui cherche à promouvoir et valoriser les doubles-casquettes médecin/chercheur [voir encadré sous l’entretien]. Le schéma classique est celui de l’Ecole de l’Inserm Liliane Bettencourt, qui résulte d’un partenariat entre l’Inserm et la Fondation Bettencourt Schueller, et qui a été le précurseur des cursus dits Médecine/Science semblables aux programmes américains MD-PhD.
L’idée est de sélectionner des étudiants en 2e année de médecine motivés par la recherche, et de leur permettre de suivre un master et trois ans de doctorat de science en finançant la pause associée des études médicales. Je connaissais ce cursus car un de ses instigateurs, Philippe Ascher, était l’ancien directeur de mon laboratoire de thèse. Chercheur hors normes, professeur passionné et passionnant, mentor empli d’humanité… il vient malheureusement de décéder, et j’aimerais ici lui rendre hommage et dire toute l’admiration que j’avais pour lui.
Bien sûr, je ne pouvais pas rentrer dans ce cursus stricto sensu mais, étant déjà chercheur en poste, la finalité était la même : combiner soin et recherche fondamentale. Après quelques discussions avec l’équipe de mécénat scientifique de la Fondation Bettencourt Schueller, j’ai eu l’immense honneur de bénéficier d’une bourse pour les trois ans précédant le concours de l’internat. En tant que papa de deux jeunes enfants nés en 2017 et 2019, cela m’a vraiment permis d’entreprendre sereinement mon projet en me concentrant sur l’essentiel – les cours et les responsabilités parentales – et en reléguant au second plan les questions matérielles. Il est difficile d’exprimer ici l’étendue de ma gratitude…
Quel est votre projet à long terme, entre neuroscience et psychiatrie ?
J’ai beaucoup hésité entre neurologie et psychiatrie. J’affectionne beaucoup le langage des neurologues – sans doute plus proche de mon vécu de neurobiologiste – et suis fasciné par les thématiques rencontrées en psychiatrie. De plus, les questions de psychiatrie sont emplies d’une dimension sociale intense, probablement plus que n’importe quelle autre spécialité médicale. Les pathologies psychiatriques concernent près d’un quart de la population à un moment ou à un autre de la vie. Etant donnés les tabous qui entourent les questions de santé mentale, et le fait que la psychiatrie ait longtemps été le parent pauvre de la médecine, il y a tant à faire ! Qu’il s’agisse de la prise en charge des patients, de thématiques de recherche ou de sensibilisation du grand public…
L’interface entre neurologie, neurosciences et psychiatrie me semble incroyablement riche. Il y a notamment beaucoup à faire en neuropsychopharmacologie, domaine pour lequel les compétences acquises dans mes recherches pourraient être précieuses. J‘aimerais ainsi faire des ponts entre certains sujets de neurobiologie et psychiatrie. Je suis d’ailleurs en cours de discussion avec une équipe de recherche spécialisée dans les mécanismes neurobiologiques des TOC et dans la psychopharmacologie des psychédéliques, à l’Institut du Cerveau, à la Pitié-Salpêtrière. Leurs travaux vont des modèles animaux jusqu’à la clinique chez l’Homme.
Bien sûr, il serait illusoire de penser que la psychiatrie puisse être abordée par le seul prisme de boîtes de Pétri et de modèles animaux ! Il faut un dialogue constant et constructif entre de nombreuses disciplines, depuis la neurobiologie jusqu’à la philosophie et la sociologie en passant par la psychologie, pour appréhender la santé mentale dans sa globalité. Mais dans mon cas personnel, il me semble que ma plus-value sera d’axer mes recherches sur l’interface neurobiologie/psychiatrie, tout en développant une sensibilité aux autres disciplines pour permettre une prise en charge globale des patients.
Vous avez été externe durant la crise de la Covid-19 dans un service d’urgence, quel a été votre vécu de cette situation si particulière ?
Là où la première vague de Covid a eu un impact pour moi, c’est à travers des missions réalisées sur la base du volontariat pour faire les dépistages en EHPAD et maisons d’accueil spécialisées (établissements prenant en charge, notamment, des personnes handicapées). J’ai alors été témoin de l’extrême hétérogénéité dans la qualité de l’accueil des résidents dans ces établissements.
Les situations différaient fortement d’un lieu à un autre : certaines maisons d’accueil avaient réussi à instaurer un climat presque familial, dans lequel les soignants faisaient tout pour rendre le quotidien des résidents le plus chaleureux possible. Je me souviens ainsi de séances de test PCR où les résidents étaient applaudis à l’issue du prélèvement pour les encourager !
A contrario, j’ai aussi été témoin de pratiques bien plus questionnables, dont un établissement où, pour être prétendument plus « efficace », le personnel soignant commençait à vouloir contraindre les résidents – la plupart présentant des handicaps mentaux – afin de réaliser les prélèvements sans rien expliquer… C’est bien sûr choquant. Heureusement, étant plus âgé que les autres étudiants, il m’était plus facile de réagir, de mettre le holà, et d’insister pour expliquer calmement le geste avant de le réaliser, et ce quel que soit le niveau présupposé de compréhension des résidents. Outre la dimension éthique évidente, et contrairement à ce que certains pensent, prendre ce temps initial permet d’ailleurs d’être plus efficace en favorisant l’adhésion au prélèvement. Sans oublier qu’on ne peut pas forcer une personne qui se débat et risquer de la blesser pour faire un prélèvement coûte que coûte – écouvillonnage qui serait de toute façon de bien piètre qualité et souvent ininterprétable.
Cette expérience m’a vraiment marqué : à quel moment avons-nous laissé s’installer cette hétérogénéité dans la prise en charge des patients ? Comment lutter contre l’évolution vers un système de soins à plusieurs vitesses ? Comment être vigilant envers les établissements accueillants des résidents en situation de faiblesse ? Cette dernière question est bien sûr à garder à l’esprit au sujet des établissements spécialisés en santé mentale…
Comment se passe la vie étudiante quand on décide de reprendre les études après un parcours comme le vôtre ?
A partir du moment où l’on vient pour apprendre, que l’on est ouvert et volontaire, cela se passe très bien ! Il faut bien sûr être conscient qu’il y a des tâches ingrates à réaliser, comme partout quand on est en situation d’apprenant. Rien de bien méchant tant qu’on n’a pas d’amour propre mal placé. Il a pu y avoir de la part de quelques jeunes étudiants de médecine un léger sentiment d’injustice car j’aurais « échappé » au concours de première année de médecine. Mais rapidement, en discutant de mon parcours et de mon projet, les éventuels doutes initiaux se sont dissipés. Et franchement, de manière générale, je ne pensais pas m’entendre aussi bien avec des co-externes de 15 ans de moins !
Alors, bien sûr, on ne va plus aux soirées étudiantes quand on a 36 ans et des enfants ! Cela peut induire un léger décalage en 3ème année, mais nettement moins par la suite car la plupart des étudiants se mettent à travailler en ayant la préparation du concours de l’internat en tête. Et ce sont aussi des études qui forcent à développer une certaine maturité : les stages en réanimation, oncologie, hématologie ou autre font côtoyer la mort de près, ce n’est pas anodin à 22 ou 23 ans. Mes études d’ingénieur après classes préparatoires ont bien sûr été exigeantes à bien des égards, mais il était plus simple d’y garder une forme de légèreté.
Enfin, l’hôpital est un univers où l’expérience antérieure est un vrai plus, cela facilite l’intégration dans les services, ainsi que la prise d’autonomie. Que cela soit avec les patients, les soignants ou les médecins plus sénior, mon âge et/ou mon parcours me rendaient plus légitime aux yeux des autres, souvent à tort pour être honnête ! Le fait d’avoir plus d’expérience aide aussi à mieux « sentir » quel comportement est adéquat dans des situations de détresse…
Quel message voudriez-vous faire passer à quelqu’un qui souhaiterait entamer tardivement de telles études ?
N’écoutez-pas les autres ! Il y aura toujours des personnes pensant que c’est délirant. Mais dès que l’on est convaincu soi-même que cette voie est à explorer, et si l’on a la chance de pouvoir le faire matériellement, il faut se jeter à l’eau. Oui il y a des moments difficiles à un âge où l’on a une vie de famille, et il faut accepter de « sacrifier » quelque peu ses loisirs, mais au bout du chemin la récompense est énorme !
Le surcroit d’expérience nous permet une meilleure intégration dans les services, que ce soit avec les patients ou les soignants et médecins, et il n’y a pas à attendre la fin de son internat pour que les choses deviennent palpitantes. Dans mon cas, il a souvent été très intéressant de parler de sujets à l’interface médecine/sciences avec des médecins séniors !
C’est un parcours certes un peu détourné, mais je suis persuadé qu’il est très vite valorisé, et que l’on peut apporter des points de vue complémentaires à ceux des profils plus classiques.
Soutien de la Fondation Bettencourt Schueller aux doubles cursus en médecine
La Fondation Bettencourt Schueller, fondation familiale reconnue d’utilité publique engagée depuis 35 ans pour la recherche française et l’amélioration de la santé humaine, est convaincue de l’intérêt des doubles formations en médecine et recherche de haut niveau.
Créée en 2003, l’EdILB (Ecole de l’Inserm Liliane Bettencourt) est la seule formation médecine-sciences au niveau national en France, fondée sur le modèle américain des programmes MD-PhD (Doctor of Medecine - Doctor of Philosophy). Elle propose à des étudiants qui en ont la détermination et les aptitudes de pouvoir mener une formation précoce à la recherche en parallèle de leurs études de médecine, de pharmacie ou d’odontologie. L’École a été créée avec la volonté de remédier à la démédicalisation progressive des grands instituts publics de recherche en France. Son ambition est de former des médecins qui soient de véritables chercheurs avec la rigueur et la curiosité d’esprit propres à la recherche et qui puissent rapprocher les univers de la recherche fondamentale et de la clinique. Depuis sa création, l’EdILB a formé près de 400 futurs leaders de la recherche biomédicale, capables à la fois de soigner et de chercher.
Le programme Médecine-Humanités à l’ENS a été lancé à la rentrée 2018 avec le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller. L’actualité des débats contemporains (déserts médicaux, allongement de la durée de vie, GPA, nouvelles technologies et « déshumanisation » de la médecine, etc.) ne cesse de rappeler que les pratiques médicales sont inséparables de leurs contextes éthiques, politiques, économiques et sociaux.Le programme Médecine-Humanités vise à répondre à ce besoin de formation des futurs médecins et leur propose de compléter leur parcours professionnel par un cursus en Humanités, du plus haut niveau, en choisissant un parcours de lettres, philosophie, histoire, histoire des arts, géographie, sciences sociales ou économie.
Alors que le bouleversement de la marche actuelle du monde par la pandémie de covid-19 nous a rappelé avec force combien la santé humaine est notre bien commun le plus précieux, l’EdILB et le double cursus Médecine-Humanités de l’ENS sont des programmes d’excellence qui portent l’ambition de former des praticiens éveillés, capables de répondre aux enjeux de leur temps et de contribuer au progrès médical. C’est donc naturellement que la Fondation Bettencourt Schueller, fondation philanthropique engagée de longue date pour la recherche française, soutient depuis près de 20 ans ces formations, d’abord l’EdILB puis l’ENS, avec une conviction, double cursus, triple bénéficiaire : le futur médecin d’abord, le patient bien sûr, et finalement la société dans son ensemble.
Pour en savoir plus : Dossier de presse médecins-chercheurs, un double cursus pour préparer la médecine de demain.