Ludovic Petitdemange
Le ciel à la portée des doigts
Déficience visuelle et recherche en science ne sont pas incompatibles.
Malvoyant depuis l’enfance, l’astrophysicien Ludovic Petitdemange multiplie les défis. Directeur adjoint du Lerma, cet athlète handisport de haut niveau scrute les battements invisibles des astres et œuvre pour les rendre accessibles à ceux qui ne voient bien qu’avec le cœur.
« J’aime les challenges ». Cinquième d’une famille de sept enfants originaire de Nancy, Ludovic Petitdemange est de ceux qui aiment contredire le destin. Atteint d’une maladie génétique touchant le nerf optique, il perd, à l’âge de dix ans, son acuité visuelle en seulement trois semaines. « Je venais d'un milieu social assez défavorisé. Ma mère était femme de ménage et les études n'étaient pas une option, se souvient-il. Quand la déficience visuelle est arrivée à la fin de la primaire, j’ai dû revoir mes ambitions. » Promis à une carrière de footballeur à l’AS Nancy Lorraine, il passe d’abord deux ans dans un collège classique. Suite à une inclusion scolaire difficile à cause de sa déficience, il poursuit sa scolarité à l'Institut national des jeunes aveugles (Inja) à Paris. Interne jusqu’à la terminale, il réussit à transformer son handicap en force. « L’Inja est le plus grand ascenseur social ! affirme le chercheur. Dans notre fratrie, seul mon frère et moi, qui avons été touchés jeunes par la maladie, avons passé le bac et fait des études. Le handicap nous a sortis du quartier ».
La force du nombre
Dès la quatrième, son prof de physique lui donne le goût de la recherche et l’envie de poursuivre des études en astrophysique. Après son bac scientifique, Ludovic Petitdemange fait un DEUG de sciences à Jussieu, avant de retourner à Nancy pour sa licence et son master. « Je ne me mettais pas la pression. Je me disais que si je n’y arrivais pas, je ferais autre chose », confie-t-il. A l’université, il développe des stratégies de compensation, se mettant à la pointe des nouvelles technologies qui existent pour l’aider. Il mise aussi sur le travail en groupe : « En plus des lecteurs du Relai handicap santé étudiant qui m’aidaient à relire mes notes, je travaillais avec un groupe d’étudiants. En cours, je captais le fil conducteur de la leçon, alors que mes camarades, très visuels n’écoutaient que d’une oreille, mais retranscrivaient tout ce que je ne pouvais pas voir au tableau. Nous étions complémentaires. »
Son travail et sa ténacité paient. Alors qu’il ne peut pas faire d’expérience et ne voit presque rien dans un télescope, le développement de l’informatique et de l'automatisation lui ouvre la voie de la recherche en astrophysique. Il poursuit en DEA puis en thèse au laboratoire d’études du rayonnement et de la matière en astrophysique et atmosphères (Lerma). A l’aide de la simulation numérique massive, il résout des équations pour mieux comprendre la dynamique interne des planètes et des étoiles. « J’ai continué à appliquer la règle du donnant-donnant. Je m’occupe de la modélisation mathématique pendant que mes collègues se chargent de faire les figures. Bien sûr, cela demande énormément d’énergie, mais il y a plein de choses que l’on peut faire. C'est l’environnement qui nous rend handicapé, mais si les choses sont adaptées et que l’on a trouvé les bonnes stratégies, cela réduit son impact », indique ce père de deux enfants.
Parallèlement à ses activités de recherche et ses responsabilités de directeur adjoint du Lerma – une fonction qui lui permet de limiter son temps devant les écrans -, Ludovic Petitdemange transmet sa passion. Après sa thèse, il consacre la moitié de son temps d’enseignement, en tant qu’attaché temporaire d'enseignement et de recherche, au relais handicap santé : « J'ai même donné cours à un étudiant sourd, se souvient-il. On communiquait à l’écrit, grâce à une synthèse vocale qui me lisait ce qu'il écrivait. » Une expérience de l’inclusion qu’il poursuit à l’INJA. Membre actif du conseil d'administration de l’institut depuis 2019, il y donne pendant quatre ans des cours aux élèves de terminale et de prépa scientifiques. « C’est important de leur montrer que déficience visuelle et recherche en science ne sont pas incompatibles », ajoute-t-il.
Des étoiles et des médailles
Chercheur titulaire depuis 2011, l’astrophysicien n’a pas pour autant quitté des yeux son rêve d’enfant : devenir sportif de haut niveau. Pendant ses études, il participe aux championnats d’Europe puis du monde de cécifoot, et termine second aux championnats d’Europe Espoir du 400 mètre handisport.
Les sports en duo sont un excellent facteur d'intégration. Ils permettent de faire des passerelles entre le monde des déficients visuels et des valides.
Après une pause, il reprend les compétitions, en 2016, cette fois en paratriathlon : natation en eaux vives, vélo en tandem et course à pied, il concourt guidé par un voyant. « Les sports en duo sont un excellent facteur d'intégration. Ils permettent de faire des passerelles entre le monde des déficients visuels et des valides. On fait des rencontres incroyables », souligne le chercheur qui termine troisième au championnat de France de paratriathlon 2018 et second en 2021. C’est cet état d’esprit d’ouverture qu’il a voulu promouvoir en fondant, en 2018, l’association A2CMieux qui aide les déficients visuels à pratiquer des activités sportives avec des voyants : « On accompagne des clubs pour accueillir les déficients visuels et créer des binômes avec leurs adhérents, explique-t-il. Nous avons besoin de guides de tout niveau en natation, course à pied et vélo car nous avons aussi bien des déficients visuels qui se remettent au sport que des gens qui préparent les JO.
Membre du comité départemental handisport de Paris, Ludovic Petitdemange développe aussi les clubs handisports parisiens. Pour les Jeux olympiques 2024, il espère changer le regard sur les personnes en situation de handicap en formant des binômes de volontaires voyants et déficients visuels. « Pour chaque mission, c’est la personne en situation de handicap qui deviendra aidante pour le public », ajoute-t-il.
Partager et transmettre
Et comme sport de haut niveau, milieu associatif, recherche et formation ne suffisent pas à combler l’appétit de cet hyperactif de 39 ans, Ludovic Petitdemange s’implique également dans la médiation scientifique. Après une mission doctorale de trois ans au Palais de la découverte où il anime des ateliers d’astronomie pour le grand public, il se spécialise dans la médiation pour les déficients visuels lors de l’année mondiale de l’astronomie. Avec un collectif, il contribue à rendre les différentes manifestations accessibles à tous. En 2019, il devient, auprès d’eux, secrétaire de l’association Ciel d’Occitanie dont l’objectif est, à terme, de créer un observatoire inclusif en Ariège. Il organise des séjours en immersion pendant la Nuit des étoiles, avec près de 250 participants voyants et déficients visuels au cap de Guinée. « Il y a dans l'astronomie un côté émotionnel. 70% des déficients visuels sont malvoyants¸ précise le scientifique. Mettre ces personnes devant un télescope en les faisant pointer la lune, et qu’ils arrivent à percevoir ne serait-ce que des différences de lumières, génère déjà chez eux une émotion ».
Et pour les enfants et adultes en situation de handicap qui ne peuvent pas se déplacer, l’association a créé le Mobiloscope : un camion d’animation itinérant doté d’un très grand écran pour les malvoyants et de nombreux supports pédagogiques adaptés. On y trouve notamment des maquettes de galaxies et de planètes avec le relief des montagnes, cratères et vallées, mais aussi des cartes du ciel en braille pour permettre aux personnes déficientes visuelles de suivre au bout des doigts les balades dans le ciel. « Le handicap, c'est du cas par cas et on essaie d'aller au maximum de ce que chacun peut faire », ajoute-t-il. Avec des étudiants, il a également développé un programme permettant de simplifier et d’imprimer une photo d’une observation en 3D. La personne peut ainsi la voir avec ses doigts.
Continuer le combat
Mais Ludovic Petitdemange ne compte pas s’arrêter là dans l’inclusion des personnes en situation de handicap. « Nous venons de fêter les 18 ans de la loi sur l'inclusion scolaire. Mais, malgré le passage à sa majorité, cette loi est encore mal appliquée. Longtemps considéré comme marginal, le handicap reste quelque chose d’anecdotique en France. Très peu de personnes valides ont côtoyé à l’école des personnes handicapées, contrairement aux pays anglo-saxons, en Suède ou aux États-Unis, par exemple. Un Stéphane Hawking n'aurait pas pu émerger dans l’Hexagone, alors qu’en Angleterre, on voyait d’abord son génie avant sa maladie. D’ailleurs, sur les 200 pages de la loi de programmation de la recherche, pas une seule fois le mot handicap n’a été prononcé », indique le scientifique qui a publié en 2020 une tribune à ce propos dans Le Monde avec un collectif de chercheurs en situation de handicap.
Un Stéphane Hawking n'aurait pas pu émerger en France, alors qu’en Angleterre, on voyait d’abord son génie avant sa maladie.
Alors qu’il reçoit chaque semaine des dizaines de messages de parents d’élèves déficients visuels témoignant de leurs difficultés scolaires, Ludovic Petitdemange développe actuellement une plateforme collaborative de formation aux disciplines scientifiques à destination des jeunes déficients visuels : « Il faut changer d’échelle. On ne doit pas seulement aider les 150 élèves de l’Inja, mais les 5000 jeunes dans cette situation. Il faut aussi donner des outils à l’ensemble du corps enseignant, sans pour autant en faire des experts du handicap. Les ressources et les supports de cours existent déjà. Il reste désormais à les centraliser au niveau national. » Pour son projet, il a déjà obtenu 70 000€ de l’Union nationale des aveugles et déficients visuels et compte pouvoir développer d’ici septembre 2023 une première version de la plateforme. Un nouveau challenge au service du plus grand nombre que mène avec enthousiasme ce battant infatigable.