Lauren Reynolds
Neurobiologiste et lauréate du Prix L’Oréal-Unesco pour les Femmes et la Science 2021
En sciences, les femmes doivent faire face à des défis qui s'additionnent.
Chercheuse en neurobiologie au laboratoire Neuroscience Paris Seine-IBPS dans l'équipe Neurophysiologie et Comportements, Lauren Reynolds est lauréate du Prix L’Oréal-Unesco pour les Femmes et la Science 2021. Ses travaux, récompensés par la prestigieuse fondation, permettent de mieux comprendre les mécanismes neuro-développementaux liés à la nicotine et d’imaginer de nouvelles pistes thérapeutiques pour aider les fumeurs à décrocher.
Comment avez-vous découvert les neurosciences ?
J’ai grandi aux Etats-Unis, dans un milieu ouvrier du Massachusetts. Mon père était mécanicien automobile et j’étais la première de la famille à faire des études universitaires. Même s’ils ne pouvaient pas m’aider financièrement, mes parents m’ont toujours soutenue et encouragée dans mes études. J'ai donc intégré une université américaine tout en travaillant à côté.
J’ai eu le déclic pour les neurosciences lors d’un cours de psychobiologie en première année. Le cours était dirigé par un doctorant qui nous a proposé de manipuler un cerveau humain. Tenir cet organe entre mes mains était une expérience incroyable qui m’a tout de suite donné envie d’aller plus loin. Je voulais découvrir les causes des troubles psychiatriques et neurologiques et les soigner plus efficacement.
Votre première expérience en laboratoire a été déterminante, n’est-ce pas ?
J’ai toujours été curieuse de comprendre les phénomènes qui nous entourent et j’adorais faire des expériences, mais je n’avais aucune idée de ce qu’était une carrière scientifique. Je n’avais pour seule référence dans ce domaine que mes enseignants de lycée.
Pendant mon bachelor, j’ai décroché un poste de volontaire dans le laboratoire de psychobiologie. Je m’y rendais tous les matins avant les cours pour m'occuper de la logistique des expériences. J'aimais cet environnement et j'y restais souvent. J’ai pu continuer à y travailler pendant deux ans en tant qu’assistante de recherche. On m’a confié un petit projet sur les effets des benzodiazépines. C’était formidable et cela a renforcé mon envie de travailler dans la recherche.
J'ai publié un article en tant que premier auteur, et, en 2012, j'ai été acceptée en thèse à l’université McGill de Montréal. J’y suis restée six ans, une durée normale pour un doctorat aux Etats-Unis. C'était une expérience fantastique. J’ai travaillé sur la façon dont les expériences vécues à l’adolescence peuvent modifier les trajectoires de développement des réseaux neuronaux. Je me suis plus particulièrement intéressée à la façon dont la prise de drogues à cet âge affecte le développement des réseaux qui sont impliqués dans la motivation, les émotions ou la prise de décisions et comment ces comportements persistent à l’âge adulte.
Pourquoi avez-vous choisi de faire votre post-doctorat à Paris ?
Après mon doctorat, je me suis installée à Paris pour intégrer l'équipe Neurophysiologie et Comportement dirigée par Philippe Faure. J’avais rencontré l’équipe lors de différents congrès internationaux et j’avais été très impressionnée par les techniques et le niveau des travaux développés dans ce laboratoire. D’autres équipes aux Etats-Unis m’avaient fait des propositions, mais c’est dans cette équipe très innovante que j’avais envie de travailler.
Sur quoi portent vos recherches actuelles ?
Depuis mon arrivée en 2019, j’étudie les effets de la prise de nicotine sur le développement des réseaux de neurones à l’adolescence. Il s’agit d’un véritable enjeu de santé public car près de 90% des fumeurs adultes commencent à fumer à ce moment de la vie. Mes recherches consistent à trouver les mécanismes neuronaux qui font que, lorsque l’on commence à fumer à l'adolescence, le risque de continuer à l'âge adulte augmente. J’essaie également de développer de nouvelles pistes thérapeutiques plus efficaces pour aider les fumeurs à arrêter.
Que représente le prix L’Oréal-Unesco pour vous ?
C'est un excellent programme car il permet de mettre en lumière des parcours de femmes scientifiques. Et c’est très important. Quand j'étais jeune, je ne savais même pas que l’on pouvait faire une carrière en sciences. Je n’avais comme image que celle de Marie Curie, une scientifique brillante, mais dont le parcours me semblait inaccessible. Je manquais de modèles féminins. Avec le prix, nous allons pouvoir devenir des ambassadrices, aller à la rencontre des jeunes filles dans les écoles et leur dire que c’est possible de se lancer.
En sciences, les femmes doivent faire face à des défis qui s'additionnent, surtout si elles visent des postes à responsabilité. Mais, le nombre fait la force et plus nous serons dans la lumière, plus nous nous soutiendrons, et plus nous pourrons changer les choses.