Kumiko Kotera ©Franck Ferville

Kumiko Kotera

La poésie du cosmos

Je voulais écrire un livre qui transmette l’émotion et la joie que nous ressentons en faisant de la recherche.

D'abord fascinée par la littérature, elle se voyait écrivaine. Finalement, c'est dans l'astrophysique qu'elle a trouvé son souffle. Mais à 42 ans, alors qu’elle devient la première femme à diriger l’Institut d’astrophysique de Paris, Kumiko Kotera renoue avec son rêve d’enfant en publiant son premier livre. Avec L’Univers violent, elle raconte un cosmos en ébullition, traversé de phénomènes extrêmes, et un quotidien où se mêlent science et aventure humaine.

Une trajectoire entre ciel et mots

L’univers aurait pu être de papier. L’histoire, toute autre. Longtemps, Kumiko Kotera a pensé que sa vie se construirait dans l’écriture. « J’ai toujours caressé ce rêve, et même après être devenue astrophysicienne, je ne l'avais pas complètement abandonné. », confie-t-elle.
Issue d’une famille japonaise, elle grandit entre littérature et science. Son père, chercheur en chimie au CNRS, lui transmet le goût de la découverte. « Mais il était hors de question de suivre exactement la même voie que lui », précise-t-elle. L’astrophysique, avec sa poésie cosmique et sa dimension métaphysique, s’impose comme une évidence. Après deux ans de prépa scientifique, elle intègre l’ENSTA Paris, enchaîne master et thèse, puis s’envole pour un post-doc à Chicago.

Là, elle croise la route d’Angela Olinto. « Une femme brillante, pionnière dans son domaine, à la fois forte et bienveillante. » Première femme professeure au département de physique de l’université de Chicago, Angela Olinto devient un modèle. « Elle m’a réconciliée avec l’idée d’être une femme scientifique, à la fois respectée et fidèle à ses valeurs et à soi-même. » Une révélation. « Jusqu’alors, je n’avais eu que des directeurs masculins, aux sensibilités très différentes de la mienne. Je manquais d’un modèle auquel m’identifier. » Depuis, elle garde cette boussole : « Face à une décision difficile, je me demande ce qu’elle ferait. Son exemple continue de m’inspirer », sourit la chercheuse.

L’univers violent : une aventure scientifique et humaine

Dès sa thèse, Kumiko Kotera s’est plongée dans l’étude de l’univers violent, ce théâtre d’événements extrêmes où se déchaînent trous noirs, sursauts gamma et collisions stellaires. L’astrophysicienne étudie en particulier les rayons cosmiques, ces particules ultra-énergétiques venues du fin fond du cosmos, porteuses d'indices sur ces phénomènes de l'univers. « Nous savons qu’ils existent, mais nous ignorons toujours leur origine », rappelle-t-elle. Pour percer ce mystère, elle se tourne vers un messager secondaire : les neutrinos. Contrairement aux rayons cosmiques, déviés par les champs magnétiques, ces particules filent en ligne droite, offrant une trace directe vers leur source. « C’est ce qui les rend si précieux pour sonder l’univers violent. »

GRAND, une fenêtre sur l’univers violent

De ces recherches naît, quelques années plus tard, GRAND (Giant Radio Array for Neutrino Detection), un projet titanesque qu’elle dirige aujourd’hui : un réseau d’antennes déployées dans des régions isolées pour capter les messagers cosmiques. « Avec ce projet, nous souhaitons ouvrir grand la fenêtre sur l’univers violent », affirme-t-elle avec enthousiasme.

Dans le désert de Gobi, 46 antennes scrutent déjà le ciel, bientôt rejointes par une centaine d’autres. La prochaine phase, en Argentine, marquera un changement d’échelle, avec l’ambition de détecter les neutrinos de très haute énergie. Une avancée majeure pour l’astrophysique avec des résultats possibles à la clé que certains qualifient déjà de « nobélisables ».

Soutenu par Sorbonne Université, le projet GRAND réunit 145 chercheurs de 12 pays, avec une forte composante européenne et un rôle majeur de la Chine. « Malgré les tensions dans le monde, la science permet encore de tisser des liens et dépasser les clivages. Elle représente l’une des dernières frontières de la diplomatie et de la coopération internationales », souligne la chercheuse.

Aux commandes de l’Institut d’astrophysique de Paris

À la tête de l'Institut d’astrophysique de Paris (IAP), Kumiko Kotera veille à perpétuer l’esprit avant-gardiste de cette institution née de la rencontre entre astronomie et physique moderne. « Nous développons, avec le soutien de Sorbonne Université, de nouvelles méthodes numérique pour analyser et simuler les masses de données issues des grands projets d’exploration, en faisant dialoguer théorie et observation », précise-t-elle.

Depuis 2017 et la détection conjointe d’ondes gravitationnelles et d’un sursaut gamma, l’astrophysique a changé d’échelle. « On ne peut plus observer le ciel uniquement à travers la lumière. Il faut prendre en compte tous les messagers cosmiques. Avec le soutien de Sorbonne Université et notamment du LPNHE, l’IAP est engagé sur plusieurs fronts : photons, ondes gravitationnelles, rayons cosmiques et neutrinos, avec des projets d’envergure comme SVOM, LIGO-Virgo, LISA ou GRAND », explique la chercheuse.

Pour mener à bien toutes ses activités, la chercheuse a organisé ses journées en créneaux millimétrés : le matin, la direction de l’IAP ; l’après-midi, la recherche; et la nuit… l’écriture. Tout cela entrecoupé d’une pause non négociable à 16h30 pour aller chercher ses enfants.

« J’ai trouvé un équilibre, confie-t-elle. Travailler pour le collectif est aussi une source de satisfaction. Ce n’est pas un devoir, c’est une nécessité », insiste-t-elle. Un sens du collectif ancré dans son héritage japonais. « Ma double culture me confère peut-être une autre vision du collectif et de la coopération scientifique. J’ai une immense gratitude envers toutes les personnes avec qui je travaille et qui m’accompagnent dans ma carrière et ma vie. C’est quelque chose de profondément ancré en moi, et je pense que c’est assez japonais », confie-t-elle.

Le terrain, un huis clos à ciel ouvert

Et l’un des moments où le collectif devient une véritable aventure humaine, c’est sur le terrain. Dans le désert de Gobi, à trois heures de piste de la ville la plus proche, GRAND prend forme. Un huis clos à ciel ouvert. « Ce n’est pas seulement l’univers, c’est aussi l’expérience humaine. On est là, avec nos antennes, à attendre les signaux du cosmos, dans des conditions parfois spartiates », explique la chercheuse qui raconte sa dernière expédition.

Là-bas, tout est une affaire de préparation et de patience. « J’aime cette idée d’être bouleversée par ce que l’on observe, d’attendre tout en préparant minutieusement ce qui permettra d’explorer cet univers violent. Cette vigilance constante, cette disponibilité totale à ce qui peut surgir, c’est ce qui me fait vibrer. Dans notre domaine, les événements cosmiques sont fugaces. Il faut être prêt à les capter, à les comprendre au moment où ils surviennent. Prêt à l’inattendu, au bouleversement. Prêt à la joie aussi. Et ça, ça se prépare. »

Préparer, ce n’est pas seulement écrire des équations. C’est aussi visser, ajuster, relancer le système. « Souvent, ça ne fonctionne pas du premier coup. On teste, on recommence, encore et encore. Et puis, à force d’itérations, ça marche. Et là, c’est magnifique. », se souvient-elle. L’après-midi, certains ajustent la communication des antennes, d’autres analysent les flux de données. Le soir, la température chute brutalement. « On prend les pick-ups pour rentrer, entassés à huit. La conduite sur ces pistes est une aventure en soi. Après le dîner, on rattrape les e-mails, on gère les financements, tout en analysant les données du jour. »

Et puis, vient le moment où tard dans la nuit, Kumiko Kotera sort, seule, et lève les yeux. « C’est vertigineux. Un instant hors du temps, au milieu de l’immensité. » Un vertige qui nourrit aussi son besoin d’écriture. Chaque nuit, au lieu de dormir, elle remplit son carnet. « C’est tellement intense que je ne veux rien perdre. Il faut que tout prenne forme à travers les mots, capturer l’essence de ces expériences, comme si vivre ne suffisait pas. » De cette nécessité naît L’Univers violent, son premier livre, où elle partage l’aventure humaine et scientifique de ses recherches.

 

 Pengfei Zhang, Kumiko Kotera/ Grand Collaboration

©Pengfei Zhang, Kumiko Kotera/ Grand Collaboration

L’écriture, une nécessité

« Au départ, je n’en parlais pas à mes collègues. J’ai toujours tenu ces aspects de ma vie très disjoints. Et puis, j’ai fait mon coming out »¸ raconte-t-elle. L’écriture, comme la recherche, s’est imposée à elle. Diffuser la science auprès du grand public, rendre compte de son effervescence, de sa part d’inattendu, lui paraît essentiel. « On ne peut pas faire de la science sans cela. C’est d’ailleurs l’une des missions fondamentales de l’IAP ». Son livre, elle l’a voulu vibrant, à l’image de la recherche qu’elle pratique : une aventure humaine, loin de la froideur et de la rigidité qu’on lui prête souvent. « La science se construit dans les échanges, les discussions autour d’un café, les éclats de rire, les promenades où l’on refait le monde¸ détaille-t-elle. Je voulais écrire un livre qui transmette l’émotion et la joie que nous ressentons en faisant de la recherche. »

Publié au moment où elle prend la direction de l’IAP, ce livre est aussi une histoire de femme dans la science. « Le premier chapitre commence alors que je suis enceinte. » Un choix loin d’être anodin : elle raconte ses amies physiciennes qui, souvent, « portent la gestation de plusieurs projets en même temps ». Une science où la maternité n’est pas une entrave mais une force. « J’ai deux enfants, et je pense que c’est important de dire qu’il est possible d’avoir une famille et une carrière scientifique. » Une réalité rarement évoquée, mais pourtant essentielle à ses yeux.

Aujourd’hui, elle est devenue, presque malgré elle, un modèle. « Je suis très honorée à l’idée d’offrir un repère, une inspiration pour les jeunes filles qui veulent faire de la science. Parce que je sais à quel point cela a compté pour moi, et à quel point j’ai manqué de modèles. »

De la jeune fille qui rêvait d’écrire à la chercheuse qui scrute l’univers, Kumiko Kotera ne choisit pas : elle embrasse les deux. Exploration cosmique et écriture s’alimentent mutuellement. À la croisée de la recherche de pointe, de la médiation scientifique et des responsabilités institutionnelles, elle incarne une nouvelle génération d’astrophysiciennes, qui comme les neutrinos, traverse les obstacles, sans jamais dévier de sa trajectoire.

 

Kumiko Kotera

Kumiko Kotera - Grand collaboration Kumiko Kotera ©Pengfei Zhang