Kiyoka Kinugawa Bourron
Médecin en gériatrie et porteuse du projet « CHRONOS-SARC-REAL » qui vise à améliorer le diagnostic de la sarcopénie
À terme, nous espérons développer un logiciel qui pourrait servir de dispositif médical pour diagnostiquer la sarcopénie
Le Professeur Kiyoka Kinugawa Bourron, médecin gériatre, dirige un projet innovant visant à améliorer le diagnostic de la sarcopénie. Dans cette interview, elle partage les objectifs, les défis et les avancées significatives de ce projet ainsi que des informations sur cette pathologie musculaire.
1) Pouvez-vous, dans un premier temps, vous présenter, ainsi que votre parcours et nous expliquer ce qui vous a amenée à vous spécialiser en neurogériatrie ?
Je m’appelle Kiyoka Kinugawa Bourron et je suis médecin en gériatrie. J’ai suivi une formation initiale en neurologie avant de me surspécialiser en gériatrie à Sorbonne Université, où j'ai été nommée Professeur des Universités - Praticien Hospitalier (PU-PH).
Mon intérêt pour la gériatrie est né pendant mes années d'internat en neurologie, où je me suis intéressée aux maladies neurodégénératives qui affectent les personnes âgées. J'ai été séduite par l'approche globale de la gériatrie, ce qui m'a poussée à poursuivre une double spécialisation en neuro-gériatrie.
Actuellement, je suis responsable de l'unité des explorations fonctionnelles à l'hôpital Charles-Foix, où j’assure l’interprétation des examens et les consultations des troubles du sommeil, ainsi que des consultations en neuro-gériatrie pour des patients atteints de la maladie d'Alzheimer ou de la maladie de Parkinson.
2) Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est la sarcopénie et quelles sont ses répercussions sur la qualité de vie et l’autonomie des personnes âgées ?
La sarcopénie est désormais reconnue comme une pathologie musculaire distincte, et non pas comme un processus normal de vieillissement du muscle. Elle se caractérise par une diminution progressive tant sur le plan quantitatif que qualitatif du muscle, entraînant une perte de masse musculaire, de force et de performance physique. Les recherches ont démontré qu'elle constitue un facteur de risque majeur pour la perte d'autonomie, les chutes, la fragilité et même la mortalité chez les personnes âgées, sans parler du coût socio-économique significatif. Or son diagnostic et sa prise en charge restent encore complexes.
Étant donné que le vieillissement de la population constitue un enjeu majeur de santé publique, impactant directement la qualité de vie, la notion de « bien vieillir » inclut nécessairement la notion de « bien mouvoir » et donc donne toute son importance au muscle. La sarcopénie touche environ 23 % des patients hospitalisés en gériatrie, c'est pourquoi son diagnostic, puis sa prise en charge, sont cruciaux.
3) A travers ce projet, vous cherchez à développer un nouvel outil diagnostic de la sarcopénie. Quel est-il et quels en sont les enjeux ?
Au quotidien à l'hôpital, nous disposons d'outils de diagnostic spécifiques pour chaque aspect de la perte musculaire. Pour évaluer par exemple la perte de la masse musculaire, les techniques de référence reposent principalement sur l'imagerie, en particulier l'absorptiométrie par rayons X, le même appareil utilisé pour la densitométrie osseuse, mais nécessitant un équipement disponible dans un centre de radiologie. Une alternative est l'utilisation de l'impédancemétrie bioélectrique, semblable au fonctionnement des balances intelligentes indiquant la masse graisse et la masse musculaire, mais son utilisation peut être limitée, notamment chez les patients porteurs de pacemakers.
En ce qui concerne la mesure de la force musculaire, nous pouvons utiliser un dynamomètre en pratique clinique afin de mesurer la force de la main, mais à nouveau son efficacité peut être réduite chez certains patients souffrant d'arthrose par exemple. Quant à l'évaluation de la performance physique, des tests et scores cliniques permettent de l’obtenir rapidement.
Cependant, il n'existe pas actuellement d'outil unique et global permettant d'évaluer à la fois la qualité et la quantité musculaire de manière exhaustive. C'est pourquoi le développement d'un outil de diagnostic intégré capable d'évaluer à la fois les aspects qualitatifs et quantitatifs du muscle est une piste de recherche importante.
4) Comment un dispositif médical issu de la technologie HD-sEMG pourrait-il aider les médecins à prendre en charge plus tôt et de manière plus personnalisée les patients atteints de sarcopénie ?
Ce projet est le fruit d'une collaboration initiée il y a quelques années avec l'équipe de bio-ingénierie mécanique de l'Université Technologique de Compiègne, en partenariat avec mon collègue Sofiane Boudaoud, qui possède une expertise dans l'analyse des signaux d'électromyogramme de surface à haute définition (HD-sEMG). Le projet, financé par AXA Assurances VIE Mutuelle, vise à constituer une cohorte de personnes âgées à risque de sarcopénie. Je souhaite collecter et analyser leurs signaux électromyographiques et les corréler aux mesures de la masse musculaire, de la force et de la performance physique afin de déterminer s’il y a des marqueurs ou une signature musculaire de ces signaux qui permettrait de classer les patients en sarcopéniques ou non sarcopéniques.
À terme, nous espérons développer un logiciel qui pourrait servir de dispositif médical pour diagnostiquer la sarcopénie.
L'avantage de cette technologie réside dans sa capacité à être utilisée au lit du patient. Il s'agit d'un appareil portable non invasif, car l'électromyographie de surface nécessite simplement l'application d’une seule grille, mais contenant 32 électrodes, sur la peau du patient. De plus, la technologie est déjà certifiée CE. Notre objectif est donc de développer un logiciel pour compléter cette technologie innovante, qui serait non seulement non invasif, mais également facilement utilisable n'importe où auprès des patients.
La faisabilité de cette approche a déjà été testée avec l’Université Technologique de Compiègne dans le cadre d'un projet européen, EIT Health, en 2018. Cette étude du vieillissement musculaire a démontré la sensibilité de l'HD-sEMG pour évaluer la perte musculaire, même chez des volontaires sains de 25 à 75 ans et actifs physiquement. Nous avons également observé des différences dans les schémas d'activation musculaire entre les groupes sédentaires et actifs, ce qui confirme le potentiel de cette technologie pour détecter le vieillissement musculaire précoce induit par la sédentarité.
Nous espérons que l'HD-sEMG pourrait également être utilisée pour surveiller l'état musculaire dans le cadre d'interventions nutritionnelles, d'activités physiques ou de rééducations. Bien que cette possibilité ne fasse pas encore partie du projet, elle représente un objectif à long terme, tout comme son utilisation dans les essais thérapeutiques développant de médicaments anti-sarcopéniques. En résumé, notre projet vise à faciliter le diagnostic de la sarcopénie en offrant une solution non invasive et portable, tout en ouvrant la voie à un suivi régulier de l'état musculaire et à de nouvelles avenues thérapeutiques.
5) Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés dans le cadre de ce projet ?
Grâce au généreux financement d'AXA Assurances VIE Mutuelle , nous allons impliquer 15 services de gériatrie de l'AP-HP en Île-de-France pour inclure plus de 800 patients dans notre étude. L'objectif principal est de valider pleinement cette technologie. L'un des principaux défis d'un projet d'une telle envergure est la coordination multicentrique. Pour ce faire, nous prévoyons de recruter du personnel, notamment des techniciens d'études cliniques, qui se rendront dans les différents centres pour assurer la collecte des données. L’une de mes priorités est de former efficacement ces techniciens afin de garantir la qualité des données collectées et d'éviter toute erreur. Par ailleurs, un autre défi majeur est de maintenir un bon rythme d'inclusion des patients, ce qui justifie notre collaboration avec 15 services de gériatrie qui ont accepté de participer. Le soutien d’AXA nous permet d’avoir l’aide matérielle et humaine dont nous avons besoin.
6) AXA Assurances VIE Mutuelle apporte son soutien au projet CHRONOS SARC REAL. Que représente ce soutien pour votre projet ?
Le soutien que nous recevons représente bien plus qu'une simple contribution financière. Il témoigne avant tout d'une reconnaissance de la valeur et de l'importance de notre projet. Cela démontre que notre travail est considéré comme essentiel, ce qui est extrêmement gratifiant.
Notre projet ne se limite pas à la simple collecte de données. Il offre également une opportunité d'engagement pour des étudiants, qu'ils soient doctorants ou en master 2, qui peuvent s'impliquer dans ce programme de recherche. Ainsi, il comporte un aspect pédagogique et intellectuel important.
En outre, ce projet est fédérateur et collaboratif : rassembler 15 services de gériatrie en Île-de-France, ce n’est pas rien ! Cette collaboration permet de créer une dynamique d’émulation dans la recherche clinique en gériatrie, en montrant notre capacité à produire un travail de qualité collectivement. Il est crucial, à mon sens, de stimuler la recherche en gériatrie.
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