Kaspar Ravel

Codeur web autodidacte, hacker éthique et amateur de sciences, Kaspar Ravel est surtout un créateur qui s’amuse à détourner les nouvelles technologies au service de l’art. Dernièrement, il a été choisi pour intégrer la résidence d’artiste de Sorbonne Université. 

Sortir des sentiers battus. Cette expression pourrait résumer à elle seule l’art de Kaspar Ravel, ancien étudiant en mathématiques et théâtre à Sorbonne Université, désormais scénographe de la lumière au théâtre, professeur particulier en art des nouveaux médias… et artiste numérique. Rien que ça !

C’est au début des années 2000, quand Internet se déployait doucement dans les foyers, que Kaspar Ravel a trouvé sa voie artistique. « Nous avions un ordinateur familial qui trônait dans le salon. J’avais le droit de faire ce que je voulais avec, m'amuser avec ma session, trouver des failles… ». A cette époque, les plateformes comme Skyblog et MySpace foisonnent et remportent un franc succès chez les adolescents, qui peuvent les façonner à leur image. « Il y avait plus de liberté informatique que maintenant, on pouvait jouer facilement avec le code de nos blogs. C’est comme ça que j’ai commencé à acquérir des connaissances de la programmation, du monde de l’internet. » 

Peu à peu, cette découverte inattendue se mue en une curiosité insatiable. Kaspar expérimente, détourne et joue avec le(s) code(s).  « J’avais, par exemple, caché dans le code source d'une image un poème que j’avais écrit et que je voulais garder secret. Pour le lire, ça ne pouvait se faire qu’avec un éditeur de texte. En l’ouvrant simplement, ça modifiait la photo et faisait apparaître des petites déformations. C’est à ce moment-là que je me suis intéressé au glitch art. » Ce style visuel, apparu à l’aube du troisième millénaire, esthétise des accidents numériques (erreurs de codes ou de données, pixellisation, désaturation…) et a permis à Kaspar de lui forger une culture artistique non conventionnelle.

Les artéfacts affectifs ou la réminiscence de la nostalgie 

Depuis 2018, Kaspar attache une attention toute particulière aux défauts, aux marqueurs d'usure et de cassure des nouveaux médias, et à la manière dont ces marques peuvent faire naître en nous des sentiments nouveaux et façonner nos rapports sociaux.
« Le craquement que fait un vinyle par exemple, les filtres VHS ou le grain d’une image prise avec un appareil photo argentique, d'abord vu comme des défauts, nous font aujourd'hui éprouver une certaine nostalgie. » Ces artéfacts affectifs, comme il les nomme, forment ensemble une identité visuelle et sonore, marquant chaque génération depuis l'arrivée de la télévision.

Mais ils peuvent également avoir un rôle plus politique. Dans sa dernière vidéo de campagne aux présidentielles américaines, Donald Trump en a utilisé deux comme l’explique Kaspar : « Il a employé une désaturation de l’image et des glitchs d’image pour chercher à représenter l'archaïsme et la corruption du gouvernement alors en place (ndlr : celui d’Obama) ». Et de citer Marshall McLuhan, théoricien de la communication : « The medium is the message. La nature d'un média compte plus que le sens ou le contenu du message. Pour moi l’art numérique, c’est un vecteur pour être actuel et critique ».

Lauréat de la résidence artistique 

Récemment, Kaspar Ravel a été choisi pour entrer dans la résidence d’artiste de Sorbonne Université dans le domaine des arts numériques. Son projet d’artéfacts affectifs sera construit autour des rapports entre les sciences, les outils technologiques et les matériaux utilisés par les recherches de différentes disciplines.

Avec cette résidence, Sorbonne Université vise notamment à renouveler les pratiques de médiation par la relation art et science. Pour Kaspar Ravel, intégrer la résidence artistique signifie beaucoup : « Déjà, une grande partie de moi souhaitait obtenir une sorte de validation académique. En tant qu’artiste, j’ai résidé dans des FabLab, dans des salles de spectacle mais jamais dans le milieu universitaire. J’ai aussi envie de faire de la recherche, d'enquêter, de me confronter aux scientifiques, aux personnes qui travaillent en sociologie, en médecine, en littérature... ».

Via des ateliers collaboratifs, Kaspar fera découvrir la dimension affective de ces artéfacts produits par la technologie et les traduira sous la forme d’une œuvre. « Je m’imagine passer beaucoup de temps dans les labos, avec les scientifiques, et leur poser toutes les questions qui me taraudent, participer à leurs expériences. J’aimerai me concentrer sur la question du bruit dans le cadre de la recherche. Il y a du potentiel artistique dans chaque bruit, des artéfacts partout. On peut créer des histoires qui parlent du monde actuel et trouver d’autres schémas narratifs à la démarche scientifique. »

Avec ce programme de résidence artistique, Kaspar Ravel souhaite valoriser la recherche mais aussi lui faire prendre des chemins différents. Sortir des sentiers battus, toujours.