
Juliette Mignot
Océanographe et climatologue
Les scientifiques ont un rôle de garde-fou. On a atteint un point de non-retour avec le changement climatique et la perte de biodiversité. Il faut prendre des mesures dès maintenant.
Directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et directrice adjointe du laboratoire LOCEAN (Sorbonne Université/CNRS), Juliette Mignot essaie de mieux comprendre le rôle de l’océan dans le changement climatique. En plus de contribuer à développer des nouveaux modèles climatiques, elle consacre une partie de son temps à la formation de nouveaux chercheuses et chercheurs au Sénégal et plaide pour des mesures concrètes pour lutter contre le réchauffement du climat.
Pour une science hors les murs. Juliette Mignot n’est pas une chercheuse enfermée dans son laboratoire. Alors que 2024 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée, cette océanographe s’inquiète de voir les cris d’alarme lancés par la communauté scientifique ignorés par les gouvernements de tous bords. Face à la liquidation de la recherche sur le climat depuis le retour de l’administration Trump aux États-Unis, elle estime que la communauté scientifique a un rôle à jouer pour mieux informer sur les risques climatiques.
Une science appliquée
« J’ai voulu faire de l’océanographie assez jeune par attrait pour la mer », raconte la chercheuse, depuis les locaux du laboratoire d’Océanographie et du Climat : Expérimentations et Approches Numériques (LOCEAN), qu’elle codirige, situés sur le campus Pierre et Marie Curie. Formée à l’École supérieure de physique et de chimie industrielles, Juliette Mignot poursuit ses études avec le master Sciences de l’océan, de l’atmosphère et du climat à Sorbonne Université.
Dans la lignée des travaux de sa thèse sur le rôle du sel dans la circulation océanique en Atlantique nord, soutenue en 2003, elle s’intéresse au rôle de l’Amoc, ce grand système de courants qui font le tour du globe, sur le climat. « Pendant vingt ans, j’ai travaillé sur les variations de cette circulation de grande échelle avec le changement climatique ou avec d’autres types de forçage, comme des éruptions volcaniques ou d’origine anthropique. Je l’ai attaquée par tous les bouts », se rappelle la scientifique.
Aujourd’hui, Juliette Mignot partage son temps entre plusieurs activités de recherche et d’enseignement. En tant que chercheure à l’IRD, l’une d’elles l’emmène au Sénégal, « là où cette circulation océanique de grande échelle est la plus visible. Je m’intéresse à son impact sur le climat du pays, sur la mousson, la pluie et le climat océanique proche des côtes sénégalaises. J’étudie ça avec des chercheurs sénégalais. Le but est de les former à une recherche académique de haut niveau, à travers des encadrements de thèse, des enseignements dans les différents masters », développe-t-elle.
« On essaie de ne pas être complétement hors sol »
Ce projet s’inscrit dans le programme de recherche sur le climat TRACCS, qui vise à mobiliser les modèles de prévision climatique pour améliorer l’adaptation des populations et des territoires aux risques climatiques. « Comment passer d’une variable climatique pure à une variable exploitable, en l'occurrence sur l’agriculture. Et comment on fait passer cette information à des décisionnaires sénégalais ? », précise Juliette Mignot. Et d’ajouter : « On essaie de ne pas être complètement hors sol. Les climatologues français empruntent petit à petit ce chemin. Il y a une demande sociétale et politique. »
Développés depuis les années 1950, les modèles climatiques sont des programmes informatiques de plus en plus complexes basés sur la circulation et la physique des fluides. Ils permettent de simuler des interactions entre les différentes composantes d’un système climatique, l’atmosphère, la terre, la circulation océanique et la glace de mer, à l’échelle planétaire ou dans une région donnée. « C’est un laboratoire numérique. On va avoir un certain nombre de variables qu’on met ensemble et ensuite, on fait parler ces données », explique Juliette Mignot.
« On ne peut pas faire rentrer la nature dans une boîte »
Au cours des dernières années, elle a notamment contribué à corriger puis valider les différentes versions du modèle climatique développé par l’Institut Pierre-Simon Laplace, dont la dernière mise à jour, l’IPSL-CM6, a été lancée en 2020. Pourtant, aussi précis soient-ils, ces modèles comportent des limites. « Même si on augmente la résolution à un kilomètre, il y a des phénomènes qui se passent à des échelles beaucoup plus petites. Le climat ne sera jamais parfaitement prédit, il y aura toujours une incertitude. On ne peut pas faire rentrer la nature dans une boîte », estime Juliette Mignot.
Alors que la France accueillera la prochaine Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC) en juin 2025, elle fustige des « effets d’annonce » de la part du gouvernement. « Les efforts qui sont faits sur le climat ne sont pas suffisants. En termes de mesures concrètes, on n’est pas à la hauteur », déplore Juliette Mignot. Selon elle, « les scientifiques ont un rôle de garde-fou. On a atteint un point de non-retour avec le changement climatique et la perte de biodiversité. Il faut prendre des mesures dès maintenant. »
Guillaume Sergent