Julien Laurat
Dompteur de lumière et spécialiste des mémoires quantiques
On est à une étape-clé du passage à l’échelle de la technologie quantique, mais qui ne peut être franchie que via un travail important dans les start-up.
Ingénieur optique de formation, Julien Laurat s’est tourné vers les domaines du calcul et de l’information quantique. C’est assez naturellement qu’il fait aujourd’hui partie du Laboratoire Kastler Brossel, navire amiral français de la physique quantique et dont une partie des locaux se trouvent à Sorbonne Université, où il est professeur, en plus d’avoir cofondé la start-up Welinq, spécialisée dans les mémoires quantiques.
De l’infiniment grand à l’infiniment petit. Initialement passionné par l’astronomie et l’astrophysique, Julien Laurat s’est intéressé aux particules et à la physique quantique. Ingénieur de formation, ce dernier a poursuivi dans de la recherche « exploratoire », explique-t-il depuis le Laboratoire Kastler Brossel (LKB) sur le campus Pierre et Marie Curie de Sorbonne Université.
Aux prémices de l’informatique quantique
C’est dans une salle où fourmillent des dizaines de lasers de tailles et de couleurs différentes que ce quarantenaire originaire de Bretagne a mené l’essentiel de ses recherches, entreprises il y a près de vingt ans. Après un diplôme d’ingénieur de l’Institut d’Optique, Julien Laurat se lance de 2001 à 2004 dans une thèse à Sorbonne Université sur l’intrication quantique, un phénomène dans lequel deux photons partagent des propriétés communes qui peuvent être utilisées pour des protocoles de téléportation. « On était dans les années 2000, c’était le début de ce domaine qu’est l’information quantique », se souvient-il.
En 2005, le jeune chercheur s’envole pour Los Angeles au prestigieux California Institute of Technology (Caltech). Au cours de cette expérience, qui dura un peu plus de deux ans, il participe aux premières démonstrations de mémoire quantique reposant sur des atomes refoidis par lasar et qui formeront le socle d’une partie de ses travaux à venir. Alors qu’il obtient un poste de maître de conférences à Sorbonne Université, il constitue une équipe avec l'objectif de transporter efficacement de l’information quantique.
Ce domaine de recherche, encore inconnu il y a vingt ans, est sur le point de bouleverser les capacités de calcul et de communication. « Cela nécessite de développer un certain nombre de nouvelles techniques qui n’existaient pas, en particulier des mémoires quantiques pouvant arrêter la lumière », explique Julien Laurat. Mais jusqu’en 2015, la probabilité de retrouver de l’information après l’avoir stockée était comprise entre 20 et 30 % maximum. Ce qui, pour un ordinateur même quantique, pose problème. « On a compris qu’il fallait énormément d’atomes, bien plus que ce qu’on pensait », poursuit le chercheur.
Du laboratoire à la start-up
Avec son équipe, Julien Laurat repart de zéro. En 2015, la barre des 70 % d’efficacité est atteinte. « Mais on visait 90 % », précise le scientifique. Après s’être (re)penché sur les calculs, l’équipe réalise que les lasers utilisés pour interagir avec les atomes n'avaient pas refroidi les atomes, qui servent ensuite à les piéger, n’avaient pas la fréquence optimale ni la bonne couleur. « On les a donc tous changés. Et en 2020, on a réussi à atteindre une mémoire quantique à 90 % d’efficacité. On a même démontré qu’on pouvait intriquer, créer des corrélations entre deux mémoires quantiques », se réjouit le chercheur.
Pour Julien Laurat, ces résultats ont été un aboutissement heureux de près de deux décennies de recherche. « Je n’aurais jamais pensé qu’on en arrive à cette efficacité-là. Il y a quelques années, je me suis posé la question de savoir s’il fallait arrêter ce genre de développements. Mais je suis un peu obstiné… », se remémore-t-il. En janvier 2022, il crée avec trois autres collaborateurs, dont Tom Darras, un ancien doctorant, et Eleni Diamanti, chercheuse à Sorbonne Université, la start-up Welinq.
« On est au début du marathon »
Hébergée par Sorbonne Université, un atout majeur pour Welinq, la toute jeune entreprise a pour but d’accélérer le développement des mémoires quantiques afin de les rendre transportables et industrielles. En janvier dernier, elle a levé cinq millions d’euros, dans l’objectif de s’agrandir et d’embaucher jusqu’à quinze salariés d'ici à l'année prochaine. « On a un effet de levier très important via la start-up, pour pouvoir déployer cette technologie et explorer un grand nombre de champs d’application », détaille Julien Laurat.
Entre les expériences de laboratoire très exploratoires et le développement de prototypes industriels, la double casquette de chercheur et entrepreneur convient parfaitement à ce dernier. Membre de l’Institut universitaire de France, il a récemment reçu une bourse du Conseil européen de la recherche (ERC) de 2,5 millions d’euros pour développer des nouveaux dispositifs quantiques combinant atomes et nanophotoniques d'ici aux cinq prochaines années. Il fait également partie du Quantum Internet Alliance (QIA), visant à développer un Internet quantique à l’échelle européenne dans les dix ans à venir. « On est au début du marathon de la technologie quantique, admet Julien Laurat. On est à une étape-clé du passage à l’échelle de cette technologie, mais qui ne peut être franchie que via un travail important dans les start-up. »
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