John Chapman
Enseignant-chercheur à la faculté de Médecine de Sorbonne Université et directeur émérite à l'Inserm
Lorsque des opportunités se présentent, vous devez les considérer sérieusement !
John Chapman est enseignant-chercheur à la faculté de Médecine de Sorbonne Université et directeur émérite à l'Inserm. Il revient pour nous sur son parcours très riche et ses recherches sur les maladies cardiovasculaires.
L'histoire de John Chapman commence dans le nord-ouest de l'Angleterre, sur la péninsule de Wirral, entre la rivière Mersey et la rivière Dee. C'est à 11 ans qu'il se découvre une passion pour la biologie et la chimie. Au collège et au lycée, il remporte un prix en biologie pour une dissection réussie des nerfs d'un rat et un autre en chimie pour une explosion contrôlée de phosphore jaune.
Vient l’heure de choisir sa formation universitaire. Le jeune homme opte pour un cursus à l'interface entre la science et la médecine, et quitte sa région natale pour étudier à Aberdeen, ville portuaire du nord-est de l’Écosse. Entre l’université et ses nombreuses activités parascolaires, il trouve le temps de participer à de courts programmes de recherche, comme le programme gouvernemental de l'Institut Torrey de biologie marine.
Le maître de conférences, alors responsable de ce programme, s'intéresse beaucoup aux lipides. En étudiant la façon dont les poissons métabolisent les graisses, il découvre qu'il existe des particules qui transportent les graisses dans le plasma : les lipoprotéines.
À l'époque, au début des années 1970, ce sujet est méconnu. Mais, il intéresse le jeune John Chapman. « Les médecins aux États-Unis venaient tout juste de découvrir qu'il existait un lien entre certaines lipoprotéines qui transportaient les graisses et le cholestérol (les LDL pour lipoprotéines de basse densité) et les crises cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux, rappelle John Chapman. On en était vraiment aux prémices ».
Rejoindre l'avant-garde américaine
John Chapman obtient ensuite une bourse de recherche Wellcome Trust à la Middlesex Hospital Medical School de Londres. Elle lui sert à étudier les lipoprotéines et leur lien avec les maladies cardiovasculaires. Dans le cadre de ce projet, il bénéficie d'une collaboration avec le zoo de Regents' Park, qui lui permet de comparer la manière dont les différentes espèces animales transportent les graisses. C'est grâce à ce travail que John Chapman et ses collaborateurs démontrent que le « bon cholestérol » prévaut dans le règne animal… sauf pour les grands singes. Et les humains, donc, où l’on observe une prédominance du « mauvais cholestérol ».
Lorsque les taux de LDL sont élevés, c'est-à-dire en cas d'hypercholestérolémie, ces particules peuvent pénétrer la paroi artérielle, déposant du cholestérol, un facteur majeur dans la formation de plaques d'athérosclérose. C'est la rupture de telles plaques, avec la formation de caillots, qui est à l'origine des crises cardiaques.
Toujours dans les années 1970, une étude clinique majeure se tient aux États-Unis, au cours de laquelle un agent pharmacologique réussit à réduire efficacement le cholestérol LDL et les événements cardiovasculaires associés. L'essai incite les chercheurs du monde entier à considérer le LDL comme une cible potentielle pour réduire les maladies cardiovasculaires. « L'autre composante essentielle, note John Chapman, est que ces maladies ont explosé à cette époque et n'ont jamais cessé. Aujourd’hui, toutes les 30 secondes, un Américain meurt d'une maladie cardiovasculaire, principalement d'une crise cardiaque ».
Profitant de l'élan créé par ces découvertes, John Chapman s’envole pour San Francisco et poursuit ses études à l'Institut de recherche cardiovasculaire. À son arrivée, il s’émerveille devant l’incroyable vue qu’offre son bureau au 13e étage du bâtiment, sur le pont du Golden Gate – « Je ne pouvais pas trouver meilleur endroit pour travailler ».
Une fois n’est pas coutume, c’est grâce à une bourse décernée par l'Institut national de la santé qu’il peut continuer ses travaux sur les lipoprotéines, mais cette fois avec une équipe de recherche à vocation clinique. Dans cet environnement de recherche dynamique et avec un mode de vie californien typique de l'ère hippie, John Chapman se souvient de ce chapitre de sa vie comme d'un « paradis ». « J'ai beaucoup appris, s'enthousiasme-t-il. J'étais à la pointe de la recherche et de la compréhension des maladies cardiovasculaires de l'époque. »
Vers la fin de la décennie, c’est une autre découverte importante qui est faite : les chercheurs Mike Brown et Joseph Goldstein mettent en évidence le récepteur des LDL, pour lequel ils ont quelques années plus tard le prix Nobel.
Ce récepteur est responsable de la capture des particules de LDL, principalement dans le foie, et de leur dégradation pour éliminer le cholestérol. Si une personne possède naturellement de nombreux récepteurs des LDL, on considère qu’elle est en bonne santé. En revanche, quand le gène du récepteur est défectueux et que son activité est anormale, la personne présente un risque cardiovasculaire élevé.
Cette condition héréditaire est connue sous le nom d'hypercholestérolémie familiale (HF). Elle a conduit à une prise de conscience fondamentale, comme nous l’explique le chercheur : « Nous pouvons presque prédire l'âge auquel une personne est susceptible de subir un événement cardiovasculaire. »
Un pied en France
C’est à San Francisco que John Chapman se lie d’amitié à un chercheur français travaillant dans le même laboratoire et sur le même sujet que lui, et atteint d’HF. Ensemble, ils constatent qu'il y a beaucoup de travail à faire pour informer et sensibiliser la population sur ces enjeux de santé publique.
Grâce à cette rencontre, le directeur de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de l’époque s’intéresse à ses recherches, le contacte et lui propose de venir en France. « J'aime la France, je parle un peu français. Alors, je me suis dit pourquoi pas ! », se remémore John Chapman.
Se sont ensuivies cinq années passées entre Paris et San Francisco au cours desquelles il a été chercheur associé à l'Inserm, a créé une unité spécifique à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière en collaboration avec le professeur Jean-Luc de Gennes et a enseigné à Sorbonne Université.
Le tournant du millénaire réussit au chercheur. En 2000, John Chapman devient président de la Société d'athérosclérose en France, et neuf ans plus tard, à sa tête en Europe.
Ce leadership conduit à un développement très important : la création d'un groupe de travail avec la Société européenne de cardiologie (ESC) en 2009. L’objectif : établir des recommandations à l'intention des cliniciens sur la manière de diagnostiquer les anomalies lipidiques associées à une maladie cardiovasculaire prématurée, et sur la façon de traiter de tels patients.
Avec le professeur Vahanian, président de l'ESC, ils réunissent une trentaine de professionnels de santé et scientifiques de toute l'Europe, experts dans les domaines impliqués dans les maladies cardiovasculaires. Ensemble, ils conçoivent les premières lignes directrices cliniques pour le diagnostic et le traitement de la maladie cardiovasculaire prématurée, mettant l'accent sur la gestion des lipides.
En parallèle, les publications scientifiques sur les maladies cardiovasculaires sont en plein essor. « Leur diagnostic, leur prévention et leurs complications cliniques potentielles sont à partir de là reconnues comme une spécialité dans de nombreux établissements de santé », précise John Chapman.
De l'analyse génétique aux défis actuels
La prochaine grande avancée, qui nous amène à notre ère, est le développement de l'analyse génétique de grandes cohortes de patients, en particulier dans le cas de l’HF. « Non seulement nous sommes maintenant capables d'identifier les patients présentant un risque élevé, mais nous pouvons également déterminer des scores génétiques pour un risque plus faible ou plus élevé, et nous commençons à identifier ceux qui répondront à un traitement et ceux qui ne pourraient pas. »
Ces grandes études, comme celle émise par UK BioBank, ont récemment permis aux experts de déterminer quelles particules de lipoprotéines sont en cause dans les maladies cardiovasculaires. À ce jour, trois ont été identifiées : le LDL, la lipoprotéine (a) et une troisième particule athérogène.
Les premiers traitements ciblant la lipoprotéine (a) et la troisième particule sont actuellement testés dans d'importants essais portant sur les résultats cardiovasculaires et impliquent une innovation médicamenteuse impressionnante. L'accent sera cependant toujours mis sur l'activation du récepteur LDL : « En faisant cela, nous réduisons le risque cardiovasculaire, la morbidité et la mortalité ».
Quid des prochaines étapes de la recherche et du traitement des maladies cardiovasculaires ? John Chapman évoque l'importance de la gestion des troubles génétiques et des aspects liés au mode de vie. Aux États-Unis, une personne sur trois est obèse et une sur six est diabétique (le diabète est associé à une augmentation importante du risque cardiovasculaire). Le mode de vie et l'alimentation ont donc leur rôle à jouer.
Des lacunes majeures résident par ailleurs dans les soins apportés aux femmes. Là encore, le récepteur LDL a une fonction très importante, en particulier lorsque les niveaux de récepteur LDL diminuent au moment de la ménopause. Avec l’âge, les niveaux de LDL augmentent progressivement chez les femmes, les exposant à un plus grand risque cardiovasculaire.
« Le réseautage est absolument essentiel »
À tous les jeunes qui souhaitent travailler dans ce domaine, John Chapman insiste sur l’importante de l'éducation et du réseautage. « J'ai toujours été extrêmement attaché à l'éducation. Au partage des informations, à encourager les jeunes à se lancer et à les encadrer pendant leur formation. Nous avons d’ailleurs créé deux sites web éducatifs sur les lipides, les lipoprotéines et les maladies cardiovasculaires : PCSK9 Forum et Triglyceride Forum ».
Le chercheur conseille aux jeunes de reconnaître la valeur du réseautage. « Il est absolument essentiel, et lorsque des opportunités se présentent, vous devez les considérer sérieusement ! »
Durant notre échange au cours duquel John Chapman a passé en revue des décennies de projets et de réalisations, et envisagé les défis et les développements à venir, il a souhaité faire passer un dernier message : « Visez haut ! »