Johan Mazeyrat
Docteur 2008, mentaliste et cofondateur de Spark Up
Je n’étais pas destiné à avoir des compétences en chirurgie cardiaque, ni à être mentaliste et à manipuler des foules. À être entrepreneur et à expliquer à des grands groupes comment engager leur public, non plus. Tout cela, c’est juste du travail
Johan Mazeyrat a fait son doctorat en électronique embarquée à Sorbonne Université sous la direction de Patrick Garda. 15 ans plus tard, hasard des rencontres, c’est la société qu’il a créé qui rend la Cérémonie des docteures et docteurs 2022 et 2023 plus interactive grâce à une mosaïque innovante. L’occasion parfaite pour nous de l’interviewer.
Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?
Johan Mazeyrat : Souhaitant effectuer des études courtes, je me suis d’abord inscrit en BTS physique appliquée. À l’occasion d’une rencontre avec des stagiaires de maîtrise, j’ai décidé de continuer, à Sorbonne Université, en licence, puis maitrise en physique appliquée et enfin en DESS d’électronique sur les systèmes embarqués. Ne me sentant pas prêt pour le marché du travail, j’ai demandé comment je pouvais poursuivre en thèse à Patrick Garda. Sa réponse a été « de finir premier au DESS ». Je l’ai pris au mot. Pari gagné. Ma thèse sous sa direction ainsi que celle d’Olivier Romain dans l’équipe SYEL (système électronique) du LIP6 traitait d’un sujet pluridisciplinaire en électronique embarquée avec une application biomédicale. J’ai travaillé sur un capteur de pression embarqué pour le suivi post-opératoire des anévrismes de l’aorte. J’ai beaucoup fait de modélisation et abouti à une preuve de concept et la rédaction de deux brevets à la clé.
Une fois la soutenance passée, qu’avez-vous entrepris ?
J. M. : Grâce à l’obtention d’un financement de l’ANR, j’ai continué sur le sujet en post-doctorat car je voulais aller au bout pour créer un prototype pour pouvoir passer en phase industrielle. Olivier Romain et moi avons commencé à monter un business plan mais nous avons découvert que nous n’étions pas armés pour ce type de projet. À l’époque, en 2011, porter un projet à vocation industrielle dans un milieu universitaire était difficile. Nous avions de vraies difficultés de financement, de mise en œuvre. Avec Olivier Romain, nous nous sommes inscrits à un parcours de formation accélérée d’HEC qui s’appelle Challenge plus qui est ouvert à des chercheurs ayant un projet, mais pas les compétences business. Ce programme leur donne des armes en 15 jours de formation répartis sur plusieurs mois. Avec Olivier, très vite, nous avons compris que nous allions droit dans le mur. Nous étions complètement candides sur le sujet de l’entrepreneuriat.
Qu’avez-vous fait alors ?
J. M. : Pendant mon post-doc, en parallèle, j’étais mentaliste et je donnais des spectacles. J’avais besoin de moments de respiration. Il m’a fallu choisir entre d’un côté la vie de laboratoire, la recherche, l’enseignement et de l’autre côté, les paillettes, les hôtels 5 étoiles et les voyages à l’autre bout du monde. Je suis parti pour des raisons financières : en tant qu’artiste, quand cela fonctionne, cela paie très bien. Pendant 2 ans, avec mon associé, nous avons travaillé avec des patrons ayant besoin de passer des messages lors d’évènements réunissant tous leurs collaborateurs. D’ordinaire, ce sont des évènements assez longs. Les collaborateurs ne sont pas très engagés et n’en tirent pas grand-chose. Les messages clés ne sont pas retenus. Nous utilisions la magie pour ancrer le message. Avec la magie, il y a de l’émotion, de l’engagement et le message peut être plus facilement retenu. En plénière, nous intervenions classiquement 4 à 5 fois pour insister sur le message. Et les clients souhaitaient à chaque fois augmenter le nombre d’interventions mais ce n’était pas possible. La magie devrait rester la « respiration ».
Comment avez-vous résolu cette problématique ?
J. M. : En 2011, l’iPad est lancé. C’est une petite révolution. Facile à manipuler, il devient notre outil. La magie est seulement un média, l’interactivité, la gamification, l’intelligence collective sont aussi d’autres types de média. Ils permettent un engagement des participants. C’est ainsi que nous avons remplacé la magie par l’interactivité. À l’époque c’était novateur. Nous pouvions grâce à l’iPad, poser des questions depuis une application, voter, faire des nuages de mots, organiser des quiz… C’est la genèse de l’entreprise Magenci, le nom de la société en 2012. Mon associé et moi avons raccroché nos capes et baguettes magiques pour revenir à nos premières amours : moi à la technologie, en développant des logiciels et mon associé, au marketing et au développement d’une marque. Cinq ans plus tard, elle compte 70 salariés, possède 3 000 iPad, des camions, des entrepôts. En 2017, la technologie évolue et le logiciel as a service, - c’est-à-dire le fait de payer un abonnement pour avoir un logiciel - voit le jour et cela change la culture du produit. À partir de 2019, tout le monde a un smartphone, plus besoin d’iPad. L’entreprise est contrainte à se restructurer. Nous changeons de marché et passons à l’évènementiel, à la formation et à des produits logiciels. Et arrive le COVID.
Que se passe-t-il alors ?
J. M. : La filière communication est à l’arrêt, tous les évènements s’annulent. Passé le premier cap, où tout s’arrête, finalement, pour nous qui développions des applications, cela ne change pas grand-chose. Sur Zoom ou Teams, les gens essaient de faire des évènements en distanciel mais l’expérience utilisateur est souvent médiocre : à 2 000 personnes sur Teams, une visioconférence ressemble à YouTube. Comment rendre un évènement hybride ou totalement virtuel aussi interactif qu’en présentiel ? Comment permettre aux participants d’interagir entre eux, avec l’intervenant, de poser des questions, de partager des émotions ? C’est en réponse à ces questions qu’est née la mosaïque interactive, produit phare de Spark Up.
Parlez-nous de votre PME, Spark UP. Quelles sont ses perspectives d’avenir ?
J. M. : Spark Up compte 25 employés dont 15 en France, 3 au Japon, 3 au Mexique, 4 en Grande-Bretagne avec un chiffre d’affaire de 1,5 millions d’euros. Elle fonctionne en mode startup. Les perspectives de Spark up sont en dehors de l’évènementiel : à la télévision avec les audiences virtuelles, dans le sport, les concerts, l’engagement des fans (club de foot), les émissions politiques.
Quels conseils donneriez-vous à un docteur ou une docteure qui voudrait se lancer dans l’entrepreneuriat ?
J. M. : Le premier conseil que je donnerai est de bien s’entourer, de trouver un associé business, de ne pas partir seul, ni de s’associer avec des profils comme le sien. Pour développer un business, s’adapter à un marché, parler d’argent, trouver des clients, vendre il y a des basiques que le docteur n’a pas. Les docteurs ont des qualités incroyables d’autonomie, d’autoformation, de prise de hauteur. Ils peuvent tout faire même s’ils ne sont pas les meilleurs partout, ils peuvent s’adapter, gérer des questions complexes en permanence. Ils sont orientés vers la nouveauté et non sur la rentabilité. Lorsque je monte mon entreprise, je passe d’une logique du milieu de la recherche où je n’ai pas de problème de rentabilité, où il m’est demandé de faire de mon mieux, d’être créatif et d’avoir de la rigueur scientifique à une logique de rentabilité. Les mécaniques sont différentes. Ce n’est pas le même monde.
Le deuxième conseil est de faire l’économie du moindre euro pour monter son business. Le nerf de la guerre pour l’entrepreneur est d’avoir de la trésorerie surtout dans les débuts.
Votre mot de la fin ?
J. M. : Le talent est juste de la rigueur dans le travail quel que soit le sujet. Je n’étais pas destiné à avoir des compétences en médecine et en chirurgie cardiaque, ni à être mentaliste et à manipuler des foules. Je n’étais pas destiné à être entrepreneur et à expliquer à des grands groupes médias comment engager leur public. Tout cela, c’est juste du travail.
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