Jean-Marc Fontaine
Spécialiste de la conservation et de la restauration de sons
Cela me laisse rêveur de penser que l’on peut encore découvrir des enregistrements historiques oubliés au fond d’un grenier.
Jean-Marc Fontaine est spécialiste de la conservation et de la restauration de sons dans l’équipe « Lutheries – Acoustique – Musique » (LAM) de l’institut Jean Le Rond d’Alembert de Sorbonne Université. Situé sur le campus Pierre et Marie Curie, son bureau est un temple dédié au son. À 74 ans et depuis 40 ans, il y travaille sur des enregistreurs du XIXe siècle couplé à du matériel ultra-moderne. « Mon travail quotidien est une quête du son et de l’information », pose-t-il en introduction. Alors, comment conserve-t-on de l’information sonore malgré les mutations technologiques ?
Tout petit déjà, Jean-Marc Fontaine a éduqué son oreille en étudiant le piano au Conservatoire de musique de Clermont-Ferrand puis à Douai. Il poursuit sa formation musicale en étudiant l’acoustique, lorsqu’il rencontre Emile Leipp, le fondateur du LAM avec Michèle Castellengo. Il rejoint leur équipe dans le cadre d’un accord passé entre le ministère de la Culture et Sorbonne Université en 1979, visant à protéger le patrimoine sonore français. Dans son bureau aux allures de studio d’enregistrement, se bousculent des trésors sonores : une collection de disques en laque de musique orientale des années 20, un enregistreur Nagra des années 50, des cylindres de cire Edison… Autant de pièces de collection qui sont pour le restaurateur, des outils de travail. « Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours eu un intérêt pour le son abîmé, endommagé. La perspective de pouvoir réparer des messages sonores me passionne », explique-t-il, le regard pétillant. Depuis la création du phonographe à feuille d’étain par Edison en 1877, de nombreux supports se sont succédés pour enregistrer et écouter du son, jusqu’à l’ère du numérique. L’histoire de ces révolutions sonores, notre spécialiste la connait sur le bout des doigts. « L’une des parties de mon travail consiste à étudier tous ces supports d’enregistrement, et notamment leur durée de vie », détaille-t-il. « Ils sont tous fabriqués avec des matériaux différents, ont chacun des spécificités ». Grâce à l’environnement de Sorbonne Université, le spécialiste il est directement au contact d’experts des matériaux, dont les connaissances sont cruciales pour comprendre l’évolution de ces objets dans le temps et leur conservation. Cylindres en cire d’abeille et de carnauba, disques en laque, fil en acier, bande magnétique, disques optiques... Tous ces trésors que dévoile Jean-Marc Fontaine au cours de l’interview sont aussi précieux historiquement que fragiles. « En les lisant pour les écouter, on les abîme. Je dois être très précautionneux pour choisir le bon diamant de lecture, régler le force d'appui du bras, la vitesse d’écoute... ».
Dans la pièce attenante, l'expert de la conservation des supports enfile sa casquette de restaurateur pour nous montrer comment on soigne un son abîmé. Il sort de son étui en carton un cylindre des années 1920 1910, fortement endommagé par l’humidité. Méticuleusement, il le place dans un lecteur qu’il a lui-même fabriqué "sur mesure" par le LAM pour écouter les cylindres sans les endommager. Les dégâts du temps s’entendent dès la première écoute : de très forts crépitements étouffent le son d’une fanfare qui semble lointaine... Après quelques manipulations sur son logiciel, la magie opère : le son de la fanfare prend le pas sur les crépitements. Avec la même patience et la même passion, le restaurateur a travaillé au cours de sa carrière sur de véritables morceaux d’Histoire. Ce fut le cas, dans le cadre de la Bibliothèque nationale de France, avec un enregistrement de 1912 du capitaine Dreyfus. « On touche avec cet exemple à toute la difficulté de mon travail : je me dois d’être le plus objectif possible alors même que nous ne connaissons pas la voix de certains personnages historiques. En régulant la vitesse de l’enregistrement, je modifie forcément le débit de parole du protagoniste et donc le timbre de sa voix. C’est pourquoi je préfère en général travailler en équipe, et bénéficier de l’avis d’un historien par exemple. »
Aujourd’hui, très peu de structures en France bénéficient de cette expertise. Or Jean-Marc Fontaine l’affirme : « Ces thèmes de recherche doivent perdurer », pour protéger notre patrimoine sonore. « Les cylindres ou les bobines de fil, les bandes magnétiques, les disques optiques... sont menacés de totalement disparaitre par leur dégradation physique et par ignorance du contenu... », regrette-t-il. « Je suis sûr que certains ont dans leur grenier des supports et des sons rares sans savoir ce que c’est... Et penser que l’on peut encore découvrir des enregistrements historiques, cela me laisse rêveur. »