Isabelle Audo
Chercheuse ophtalmologue et directrice adjointe de l’Institut de la Vision
Je pense qu’une expérience de recherche devrait faire partie de la formation d’un médecin.
Spécialiste des maladies rétiniennes d’origine génétique, la professeure Isabelle Audo a fait de la recherche et de la clinique deux approches indissociables au service des patients. Directrice adjointe de l’Institut de la Vision, elle supervise notamment le centre de référence des maladies rares du centre hospitalier national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts en parallèle de ses activités scientifiques.
Au cœur du XIIe arrondissement de Paris, le vaisseau de verre de l’Institut de la Vision abrite les dernières innovations en matière d’ophtalmologie. C’est là, à seulement quelques mètres de l’hôpital des Quinze-Vingts, dans un bureau qui jouxte les salles d’expérimentation, que sa directrice adjointe, la professeure Isabelle Audo, se consacre à ses recherches. Malgré un emploi du temps surchargé, partagé entre ses responsabilités administratives, ses activités scientifiques et ses consultations à l’hôpital, elle nous accueille avec la même disponibilité et la même humanité que celles dont elle fait preuve au quotidien avec ses patients.
Décidée depuis son adolescence à allier recherche et médecine pour soigner la leucémie, Isabelle Audo intègre, après le bac, la faculté de médecine de Paris-Saclay. Son premier stage en pédiatrie est une épreuve : « Je voyais mourir des enfants atteints de cancer », explique-t-elle. Jeune externe, elle se tourne alors vers la chirurgie orthopédique infantile pour réparer les corps. En 1994, elle part faire son internat à Lille et c’est finalement avec l’ophtalmologie qu’elle a rendez-vous. Une discipline qu’elle découvre dans l’un des centres majeurs d’exploration fonctionnelle de la vision, doté d’un des plus anciens registres de maladies rares. Là, elle s’intéresse aux pathologies de la rétine ainsi qu’à l’électrophysiologie visuelle : « L’ophtalmologie, ce n’est pas seulement l’œil, c’est aussi l’humain et le handicap visuel », souligne-t-elle. En parallèle, elle obtient une maîtrise en immunologie et fait une césure d’un an pour se consacrer pleinement à la recherche. « Je suis partie quelques mois pour parfaire mon anglais à Canterbury avant d’être prise en stage dans le laboratoire des Pr Dreyfus et Sahel à Strasbourg pour travailler sur la rétine. L’apprentissage du travail de recherche a été une totale remise en question avec de réels moments de doute. Alors que j’étais en médecine depuis 10 ans, j’avais l’impression de repartir à zéro », confie-t-elle avec l’humilité propre aux grands chercheurs.
Une recherche au service de la clinique
C’est à cette période qu’elle fait une rencontre décisive : celle du professeur José-Alain Sahel. Après son internat, elle obtient une maîtrise en pharmacologie cellulaire et moléculaire sous sa supervision « À l’interface entre les patients, la clinique et la recherche, Monsieur Sahel a été un modèle. Il a un esprit positif et une connaissance du terrain, à la fois pointue et globale, qui font de lui un visionnaire », soutient l’ophtalmologue. Alors qu’elle obtient en 1998 son doctorat de médecine, le Pr Sahel l’incite à poursuivre en thèse de sciences aux États-Unis. « J’ai réfléchi 48 heures et je suis partie au département d’ophtalmologie et des sciences visuelles de l’université de Madison dans le Wisconsin. Ce devait être pour une année. Finalement, j’y suis restée quatre ans. Quand j’ai fini ma thèse de sciences, en 2003, Monsieur Sahel m’a conseillé de me spécialiser sur la partie clinique de la rétine, en génétique et en électrophysiologie. Je suis allée deux ans à Londres dans ce but », se souvient la médecin chercheuse.
Après six années passées à l’étranger, Isabelle Audo rejoint l’équipe du biologiste Thierry Leveillard, collègue du Pr Sahel. Elle obtient une nouvelle maîtrise, en génétique cette fois, et commence ses consultations aux Quinze-Vingts, aux côtés de son mentor. En 2007, elle obtient un poste de praticien hospitalier et devient chef d’équipe au côté du Dr Christina Zeitz dans le tout nouvel Institut de la Vision créé par le Pr Sahel. « J’ai vécu la construction de l’Institut du côté de l’apprenti chercheur. On faisait les plans, on organisait les paillasses, raconte-t-elle. La structuration des équipes supervisée par Monsieur Sahel a été pensée pour créer un écosystème unique en France qui part de la question clinique, interroge la recherche fondamentale et translationnelle, tout en intégrant une pépinière de start-up et d’entreprises pour répondre au besoin initial : celui du patient. Bien sûr tout n’a pas été rose dès le début. Nous avons essuyé les plâtres. Et il y a eu cet incendie juste après l’ouverture de l’Institut. Mais nous avons su rebondir. Comme nous l’a toujours montré Monsieur Sahel, un chercheur ne doit pas s’arrêter sur ses échecs. Il faut avancer. »
Voir plus loin
Nommée professeure en 2016, Isabelle Audo cherche à identifier, avec ses collègues, l’ensemble des gènes responsables des maladies rétiniennes héréditaires afin d’en mieux comprendre les mécanismes et de développer à terme de nouveaux outils thérapeutiques. Investigatrice dans des essais au centre d’investigation clinique, elle coordonne également le centre de ressource biologique NeurosensCol qui réunit la plus grande collection d’ADN de patients atteints de dystrophies rétiniennes. « Beaucoup de patients viennent nous voir non pas parce que nous allons révolutionner leur vision, mais parce qu’ils savent qu’à terme ils pourraient bénéficier des dernières innovations. Grâce à ces patients qui nous font confiance, nous avons l’une des plus grandes cohortes de maladies rares pour étudier l’évolution de ces pathologies et identifier des marqueurs pronostics essentiels pour les essais interventionnels », ajoute-t-elle. Depuis quelques années, elle collabore à l’Institut de la Vision avec le chercheur Olivier Goureau pour créer des mini-rétines à partir de cellules de peau : « Nous reprogrammons les cellules du derme profond en cellules souches pluripotentes. Puis en manipulant le milieu de culture avec certains facteurs de croissance, nous pouvons obtenir, au bout de plusieurs mois, des organoïdes rétiniens. Nous les utilisons pour mieux comprendre les mécanismes impliqués dans les pathologies et tester des thérapies innovantes. »
Des projets comme celui-ci, Isabelle Audo pourrait en citer des dizaines. La spécialiste fonde beaucoup d’espoir sur l’institut hospitalo-universitaire FOReSIGHT créé en 2018 à l’initiative du Pr Sahel, qui réunit des cliniciens et chercheurs de multiples disciplines. « En confrontant les données cliniques à des outils d’intelligence artificielle, nous allons par exemple pouvoir prendre des décisions diagnostiques et thérapeutiques plus étayées. La thérapie génique a également fait d’énormes progrès ces dernières années et continue à prendre de l’essor comme les travaux sur de nouveaux virus plus efficaces et moins immunogènes, précise l’ophtalmologue. Et puis, il y a bien sûr les approches de restauration visuelle avec l’optogénétique, la rétine artificielle ou encore la sonogénétique qui permettrait de redonner des perceptions visuelles grâce à des ultrasons. »
Former la relève
Pour continuer à dynamiser ce lien entre clinique et recherche, la Professeure Audo a également à cœur de promouvoir une année d’initiation à la recherche pour les internes du Quinze-Vingts « Je pense qu’une expérience de recherche devrait faire partie de la formation d’un médecin ; cela apporte beaucoup dans la pratique clinique. Il faut convaincre nos internes d’aller plus loin car avoir un pied dans la recherche et un autre auprès des patients est quelque chose de passionnant et la recherche a besoin de se nourrir du questionnement clinique », conclut-elle.