
Giovanna Mallucci
Doctor Honoris Causa de Sorbonne Université
Il devient de plus en plus évident que la véritable innovation et le changement transformationnel naissent de la conversation et de la collaboration.
Giovanna Mallucci est une neuroscientifique clinicienne et chercheuse fondatrice à l’Altos Labs, Cambridge Institute of Science. Elle est reconnue pour ses travaux novateurs sur la neurodégénérescence et les nouvelles approches thérapeutiques des maladies d’Alzheimer et apparentées, ayant mené à des essais cliniques.
Comment vos recherches sur les mécanismes pathogènes des maladies neurodégénératives ont-elles influencé les approches thérapeutiques actuelles ?
C’est une question passionnante ! Le véritable changement réside dans l’abandon de l’approche qui considère les maladies neurodégénératives comme des troubles distincts et isolés (Alzheimer, Parkinson, sclérose latérale amyotrophique, démences frontotemporales), chacun avec ses propres causes pathologiques spécifiques, au profit d’une vision qui reconnaît l’existence de mécanismes communs de neurodégénérescence.
Dès le début de ma carrière, j’ai adopté cette perspective : me concentrer sur les processus qui maintiennent les neurones en bonne santé et résistants aux dommages et à la dégénérescence, processus qui sont pertinents pour toutes ces maladies. Aujourd’hui, les approches thérapeutiques visent de plus en plus ces voies de régulation, et de nombreux laboratoires s’attachent à renforcer différents mécanismes de résilience pour prévenir et ralentir ces pathologies, plutôt que de cibler spécifiquement une seule maladie. Ces stratégies sont d’ailleurs de plus en plus présentes dans les essais cliniques.
Quels sont les défis rencontrés dans le développement de traitements pour les maladies de type Alzheimer ?
Mon travail se situe principalement au stade préclinique du développement des traitements. C’est à cette étape que les recherches menées sur des souris et des cellules nous permettent, en tant que scientifiques, d’établir une "preuve de concept" : lorsqu’un médicament ou un traitement semble très prometteur et "guérit" un modèle murin d’une maladie humaine, nous cherchons alors à le transposer aux traitements possibles pour l’humain.
Toutefois, plusieurs défis se posent. Le premier concerne les limites des modèles animaux. Les souris ne développent pas naturellement ces maladies. Même si les données indiquant une protection contre la mort des cellules cérébrales sont convaincantes et que de nombreux mécanismes cellulaires sont très similaires entre les souris et nous, ces modèles restent imparfaits et ne reflètent pas toujours la complexité des pathologies humaines.
Le second grand défi réside dans la transition vers les essais cliniques chez l’humain. Tester un médicament qui fonctionne chez la souris dans un essai clinique implique une logistique considérable : il faut organiser les essais, sélectionner les participants, obtenir leur consentement, gérer les nombreuses questions éthiques et répondre à l’ensemble des contraintes réglementaires. À cela s’ajoute un obstacle majeur : le coût extrêmement élevé de ces essais. Lorsqu’un nouveau médicament est développé par l’industrie pharmaceutique, ces entreprises investissent massivement dans les essais cliniques. En revanche, lorsqu’il s’agit de tester des médicaments existants sur l’humain, comme la trazodone, les laboratoires n’y trouvent aucun intérêt financier, ce qui rend indispensable un soutien gouvernemental.
Ces défis sont à la fois conceptuels, car il faut évaluer la pertinence des modèles animaux pour prédire l’efficacité chez l’humain, et logistiques, en raison des coûts et de l’organisation massive que nécessitent les essais cliniques.
Quels sont, selon vous, les axes de recherche prioritaires pour l’avenir des maladies neurodégénératives ?
La priorité doit être donnée à la détection et à l’intervention précoces. Il est essentiel de développer davantage de traitements capables de renforcer la résilience des neurones face aux processus dégénératifs. Il faut aussi repenser les essais cliniques : plutôt que de miser sur d’énormes études aux critères rigides, nous devons privilégier des essais plus nombreux, plus rapides et à plus petite échelle, axés sur la médecine expérimentale. Trop souvent, l’échec d’un essai est interprété comme un échec du traitement, alors qu’il s’agit plutôt d’une limite méthodologique. La persévérance est donc essentielle. Par ailleurs, une approche prometteuse consiste à exploiter les propriétés régénératrices d’autres types cellulaires du cerveau, au-delà des neurones, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives dans la prise en charge des maladies neurodégénératives.
Sorbonne Université est un acteur majeur de la recherche biomédicale et de la collaboration interdisciplinaire. En quoi votre travail sur les maladies neurodégénératives peut-il contribuer à l’expertise de l’université en neurosciences et en innovation médicale, ou en bénéficier ?
Le progrès repose sur la communication, l’apprentissage mutuel et le travail collectif. Il devient de plus en plus évident que la véritable innovation et les avancées transformationnelles naissent du dialogue, de la collaboration et de la capacité à dépasser ce que nous pourrions accomplir seuls. Je suis enthousiaste à l’idée d’échanger avec la communauté scientifique de Sorbonne Université et de m’inspirer de son immense expertise en neurosciences et en innovation médicale. J’espère que ce doctorat honorifique marquera le début de nombreuses collaborations et de riches échanges !