François Cuynet
Maître de conférences en archéologie des mondes préhispaniques
La synergie entre les disciplines permet de montrer une vision décloisonnée de nos savoirs.
Maître de conférences en archéologie des mondes préhispaniques, François Cuynet partage son temps entre l’enseignement, la recherche et les missions sur le terrain. Le directeur du centre de recherches sur l'Amérique préhispanique (CeRAP) est également l’un des commissaires de l’exposition « Mexique, histoires minérales » qui s'est déroulée en 2021 à la Collection de minéraux de Sorbonne Université.
Enfant des années 80, François Cuynet a été bercé par les mythes grecs, Les Mystérieuses cités d'or et Indiana Jones. Aujourd’hui directeur du CeRAP, il se définit comme un pur produit de Sorbonne Université. Une université qu’il a intégrée en dernière année de licence pour se spécialiser dans l’approche des sociétés préhispaniques. « Mes enseignants m’ont donné le goût pour ces sociétés dont les rites et les codes peuvent nous paraître incompréhensibles, mais qui prennent sens dès que l’on étudie leur histoire », confie-t-il.
Au fil de ses études, il se spécialise sur le monde andin. Dès la fin de son année de master 1, il part seul en mission de prospection dans les Andes centrales avec pour seuls bagages, sa liste de sites archéologiques et son sac à dos. « J’avais déjà fait des stages de fouilles, mais c'était la première fois que j'étais confronté à mon objet d'études dans son écosystème au sein du bassin du lac Titicaca », se souvient-il. Une volonté de confrontation avec les données de terrain qu’il reproduira tous les ans au fil de ses études. Ces missions dans l’Altiplano lui permettent de recueillir ses premières données, mais aussi de constituer un réseau avec les chercheurs et les habitants de la région. Il découvre également à quel point les sociétés actuelles andines ont des racines profondément ancrées dans les temps préhispaniques : « On retrouve des modes de pensée, des fonctionnements de communauté qui correspondent parfaitement à ce que l'on peut lire dans les chroniques espagnoles du XVIe siècle », explique-t-il.
Terrain de recherche
Après l’obtention de son doctorat en 2012, il poursuit son travail autour du lac Titicaca en proposant la création d’un nouveau projet scientifique en Bolivie en droite ligne avec ses travaux de recherche. « La France a des relations très anciennes et très fortes avec le monde andin, souligne-t-il. Il y a un véritable engouement pour ces cultures du passé et les sociétés contemporaines ». Porté par le CeRAP, l’objectif du programme de fouilles est de mieux comprendre l’identité culturelle de la région du bassin du lac Titicaca sur une période allant du Ve av. J.-C. au XIe siècle de notre ère. « Je m'intéresse à cette continuité culturelle et aux périodes de transition en essayant de comprendre pourquoi le site périclite à partir de 1100 ap. J.-C., ce qu'il advient de la population, de ses productions, de son identité culturelle juste avant l'arrivée des Incas », explique-t-il.
Il obtient une subvention du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, et est nommé, depuis 2013, directeur de mission sur le site bolivien de Tiahuanaco, un site classé à l'Unesco, comparable au sanctuaire d'Angkor et situé à deux pas du lac Titicaca. « C’est ici que les Incas ont placé la création du monde, c’est dire l'importance de ce site qui a pourtant été délaissé par les chercheurs français pendant 110 ans, alors qu’ils étaient à l’initiative des premières fouilles en 1903 », indique l’archéologue.
Pour mieux comprendre cette société préhispanique, il s’appuie sur la production iconographique très codifiée qu’il trouve sur le site, les sculptures et les céramiques. « Les formes, les couleurs, le style utilisés ne sont en fait que des éléments d'une écriture qui permet de retranscrire les thématiques, les modes de pensée, les croyances, les fonctionnements du monde andin, raconte l’archéologue de retour en France après un mois de mission sur le site bolivien. Le serpent symbolise, par exemple, la fertilité, le condor représente la course du Soleil et la guerre sacrificielle, etc. Chaque motif a un sens et l'association des différents motifs permet de diversifier et nuancer le discours ».
François Cuynet a aussi à cœur d'ouvrir la mission archéologique aux étudiantes et étudiants boliviens. Il a signé plusieurs accords de coopération avec les laboratoires de l'université de La Paz qui analysent une partie du matériel issu des fouilles. Il travaille également avec les habitants de la région : « Ils connaissent bien le terrain et les niveaux stratigraphiques et me renseignent sur les zones d'intérêt. Ils m’indiquent les vestiges récemment découverts lors des activités agricoles, etc. » En retour, François Cuynet sensibilise la communauté locale à la préservation du patrimoine dont elle est la première garante et la première héritière.« C'est par ces échanges et en intégrant la communauté, que la mission peut véritablement se construire », affirme le chercheur.
Les éléments trouvés lors des fouilles (ossements, céramiques, etc.) sont exhumés, enregistrés et inventoriés pour alimenter les travaux de recherche des étudiants et les bases de données des laboratoires boliviens. Ils sont ensuite entreposés dans les dépôts de la maison communale et dans les réserves des musées de Tiahuanaco. Quelques céramiques ont été restaurées par un laboratoire de conservation et de restauration de La Paz pour ensuite être mises à la disposition du public. Les éléments architecturaux sont, quant à eux, recouverts dans leur contexte d'origine afin de les préserver dans l’attente de futurs travaux de restauration.
Une exposition franco-mexicaine à Sorbonne Université
Mettant à profit la double formation qu’il a reçue au sein du CeRAP, en parallèle de sa mission archéologique et de ses activités d’enseignement, François Cuynet a également été à l’origine de l’exposition « Mexique, histoires minérales » qui s'est déroulée fin 2021 à la Collection de minéraux de Sorbonne Université. « Avec François Gendron, responsable des collections américaines du Muséum national d'Histoire naturelle, et Jean-Claude Boulliard, directeur de la collection de minéraux de Sorbonne Université, nous voulions faire découvrir, à travers les minéraux, les différents aspects de la complexe relation à la Terre qu’a entretenue le Mexique au fil de son histoire. Nous avons pour cela décliné son histoire sur quatre périodes (préhispanique, coloniale, révolutionnaire et contemporaine) en prenant comme fil conducteur le rôle des ressources minéralogiques au sein de la société. Nous avons également proposé différentes approches - anthropologique et sacrée, historique et politique, minière et sociale, scientifique et esthétique - des minéraux », précise le commissaire d’exposition.
Cet évènement a également été l’occasion pour les chercheurs de développer des partenariats au sein de l’Alliance Sorbonne Université et avec l’université nationale autonome du Mexique. « La synergie entre les disciplines permet de les alimenter les unes les autres, et de montrer une vision décloisonnée de nos savoirs », conclut François Cuynet.