David Klatzmann
Immunologiste et codécouvreur du VIH
C’est pour ces moments extraordinaires où l'on a le sentiment d'avoir un peu changé le monde que la recherche est si fantastique.
Codécouvreur du virus du Sida, l’immunologiste David Klatzmann a su marier, tout au long de sa carrière, médecine, science et envie d’entreprendre. Portrait d’un chercheur qui ne se laisse pas enfermer dans des cases.
David Klatzmann a l’assurance décontractée des gens brillants et la sensibilité aiguë des révoltés. Dans son bureau aux murs carmins, deux tableaux de sa femme peintre donnent le ton. La passion pour l’art et la recherche se conjuguent autour d’un seul mot : la créativité sous toutes ses formes. Professeur en immunologie à la faculté de Médecine, chef du service de biothérapie de l'hôpital Pitié-Salpêtrière, directeur d'unité de recherche, startuper, David Klatzmann est un penseur « hors de la boîte ». Depuis 50 ans, qui semblent ne pas avoir de prise sur lui, il n’a cessé d’allier, à Sorbonne Université, la ténacité du chercheur, l’audace de l'entrepreneur et l’insoumission féconde face au conformisme.
Quand science rime avec médecine et philosophie
Un peu par hasard ou peut-être, comme il l’analysera plus tard, pour accomplir inconsciemment un désir paternel, il entame des études de médecine en 1972 à la Pitié-Salpêtrière. Cette formation a l’avantage, selon lui, d’ouvrir des perspectives professionnelles variées et d’allier la théorie à la pratique et la pratique à la réalité : « À à peine 20 ans, avoir son cadavre à disséquer, ça met les pieds sur terre ; ce qui est bien utile pour la suite » affirme-t-il. Une réalité d’autant plus prégnante qu’il travaille alors comme aide-soignant, puis infirmier de nuit pour payer ses études.
Époque oblige, il intègre très vite un groupe d'étudiants de médecine post-soixante-huitards. On y parle politique et philosophie et on prépare quelques actions, comme la brève séquestration du doyen de la faculté à laquelle il ne niera pas avoir participé. Ironie de l’histoire ou reconnaissance de l’excellence : c’est ce même doyen qui, quelques années plus tard, le fera entrer à 35 ans dans le cercle convoité des professeurs de Sorbonne Université.
Esprit insatiable et curieux, David Klatzmann suit, en parallèle de son parcours médical, une maîtrise de biochimie à Jussieu et les cours du philosophe Jean-François Lyotard à Vincennes. Il garde de ce dernier le goût pour les sophistes et la culture, parfois subversive, du paradoxe. « Sur les murs de mon bureau, j’avais paraphrasé Épiménide : "tous les chercheurs sont des menteurs", ce qui en faisait tiquer plus d’un », sourit l’immunologiste dont les élégantes chemises « chic-décontracté » ont aujourd’hui remplacé les tuniques fleuries et pantalons pattes d’éph de ses débuts.
Diplômé en 1980, le jeune praticien choisit de ne pas passer le concours de l’internat. « Je n'aspirais pas forcément à rester à l'hôpital, et c’eût été, pour le groupe que je fréquentais, une trahison sociale d’intégrer ce qu’ils considéraient alors comme l’aristocratie bourgeoise et conventionnelle des médecins hospitaliers ». Sans plan de carrière précis, il commence des remplacements au Samu. Il aime la réanimation. La technicité et la rapidité des gestes qu’elle requiert. C’est ainsi qu’il réussit, non sans difficulté, à tenir à distance les scènes parfois insoutenables auxquelles il est confronté.
De l’immunologie de transplantation à la découverte du VIH
Alors, pour s’épargner un peu de ce contact trop réel avec les corps, mais surtout par passion intellectuelle, le jeune médecin travaille en parallèle dans le laboratoire du professeur Marcel Legrain. « Un mandarin très humaniste », précise-t-il. Il l’avait rencontré quelques années auparavant au cours d'un stage dans le service de néphrologie de la Pitié. Le courant était passé entre les deux hommes que pourtant presque tout distinguait, et cette expérience l’avait conforté dans son intérêt pour l’étude du système immunitaire. Soutenu par le prix Nobel de médecine, François Jacob, il avait ensuite intégré le Grand Cours d'immunologie de l'Institut Pasteur dont il était sorti vice-major et qui orientera son choix de carrière vers la recherche.
À à peine 27 ans, l’assistant-professeur en immunologie est confronté à une énigme scientifique aussi passionnante que douloureuse : celle du Sida. Dès 1981, il réalise des investigations sur le premier patient français diagnostiqué. « À l'époque personne ne s'intéressait au Sida en France, sauf un petit groupe de 14 jeunes médecins, la plupart un peu marginaux, sans grand pouvoir dans cette institution encore très mandarinale ». Au sein de ce groupe, David Klatzmann partage un quotidien extraordinaire qui le conduit de l’hôpital aux plateaux de télévision, des boîtes de nuit à la forêt équatoriale et des laboratoires de Sorbonne Université à ceux de l’Institut Pasteur. « Nous n’avions pas la possibilité de cultiver de virus à la Pitié-Salpêtrière, explique-t-il. Nous avons commissionné les virologues de Pasteur pour chercher le VIH en suivant l’hypothèse que j’avais formulée : non pas dans le sang, mais dans les ganglions lymphatiques de malades ne souffrant pas du Sida, mais de lymphadénopthies généralisées. » Et c’est en suivant cette stratégie que les virologues de l’Institut ont identifié le virus de l’immunodéficience humaine et obtenu en 2008 le prix Nobel de médecine.
La soif de comprendre du jeune chercheur l’amène à jouer, dans cette découverte majeure du XXe siècle, un rôle plus grand encore. En 1983, alors que beaucoup en doutent encore, il apporte la preuve que le VIH est bien la cause et non la conséquence du syndrome du déficit immunitaire acquis en montrant qu’il ne s'attaque qu'à une catégorie de lymphocytes, ceux précisément qui ont disparu du sang des malades. « Lorsque j'ai vu que l'ensemble de la culture de lymphocytes CD4 était entièrement détruite par le virus alors que les lymphocytes CD8 étaient épargnés, j’ai eu la sensation d'être la première personne au monde à savoir que ce virus était bien la cause réelle de cette pathologie si importante. C’est pour ces moments extraordinaires où l'on a le sentiment d'avoir un peu changé le monde que la recherche est si fantastique », raconte l’immunologiste dont le regard laisse entrevoir la fierté d’avoir fait une découverte citée par le comité Nobel comme l’un des deux travaux ayant conduit à l’attribution du prix en 2008.
En 1987, il rejoint l’équipe du futur prix Nobel américain Richard Axel qui deviendra son mentor scientifique. « Deux années inoubliables à Columbia. La recherche y était très compétitive, le système dur, mais il y avait une véritable émulation intellectuelle, confie-t-il. On côtoyait des gens brillants dans un environnement où seule comptait l'intelligence des uns et des autres. » Pourtant, alors qu’on lui propose un poste de professeur dans le département de médecine et de biochimie, il choisit la France, enthousiasmé par l’Europe en construction.
Un immunologiste translationnel
Nommé professeur à la Pitié-Salpêtrière, il s’intéresse à l’utilisation des rétrovirus comme outils thérapeutiques pour la thérapie génique puis la vaccination. Lui, qui se définit aujourd’hui comme un immunologiste translationnel, a voulu dès le début allier la recherche fondamentale et les essais cliniques. « J’ai toujours fait les deux. Quand on a fait médecine, que l’on a touché des corps, qu’on les a observés de l’intérieur, cela donne une profondeur à certaines formes de réflexion et le besoin d'appliquer sa recherche », soutient-il.
À l’heure où l'université n'avait pas encore construit l'écosystème d'innovation qui accompagne aujourd’hui les scientifiques vers le transfert technologique, il prend conscience de l'importance de la valorisation de la recherche. En 1992, après avoir épuisé toutes les possibilités de financements publics pour mettre en place des essais cliniques sur une thérapie prometteuse, il monte, avec le médecin et ancien conseiller ministériel, Jean-Loup Salzmann, sa première startup. « Quand on crée une entreprise, on se rend compte du coût réel de la recherche, insiste-t-il. Il ne s’agit pas seulement d’acheter des réactifs, des machines, mais aussi de payer des locaux, de les chauffer, de les réparer et surtout d’assumer la responsabilité du personnel qui, du jour au lendemain, peut se retrouver au chômage si la boîte ne marche pas».
Depuis, David Klatzmann affiche à son compteur plus de 35 dépôts de brevets, quatre startups, et des dizaines de projets de recherche translationnelle. Pour ne citer qu’eux : le développement du concept des gènes-suicide ; la réalisation des premiers essais européens de thérapie génique anti-cancéreuse ; son travail sur les lymphocytes régulateurs, qui lui valut en 2012 l’obtention d’un prestigieux financement du Conseil européen de la recherche ; la mise au point d’un vaccin contre le cytomégalovirus, qui pourrait être le premier vaccin préventif efficace, etc. Et la liste est longue.
Aujourd’hui, ce qui l’anime, ce sont ses recherches sur l’interleukine 2 : « Nous avons été les premiers à montrer que cette molécule utilisée à faible dose peut avoir un gros potentiel thérapeutique pour les maladies auto-immunes, affirme-t-il. Nous avons beaucoup d'essais thérapeutiques en cours et je travaille pour qu'à terme elle profite au plus grand nombre de patients. » Il poursuit en parallèle des projets plus fondamentaux, notamment une nouvelle théorie bousculant les paradigmes sur la spécificité, un aspect majeur de la réponse immunitaire.
À 66 ans, bien loin de l’emballement scientifique médiatique lié à la Covid, David Klatzmann peut se vanter d’avoir participé à changer le monde. Et c’est cette motivation, voire cette injonction, à oser bouger les lignes au service de la condition humaine que le parrain de la double promotion 2019-2021 des docteures et docteurs de Sorbonne Université transmet en héritage à toute une génération de scientifiques.
1954 Naissance
1980 Obtention du diplôme de médecine
1983 Le VIH est isolé
1986 Doctorat es Sciences « Le VIH : un paradoxe pour le système immunitaire »
1987 Post-doctorat dans le laboratoire de Richard Axel à Columbia
1989 Nomination en tant que professeur à la Pitié-Salpêtrière
1992 Création de la startup Genopoïetic avec Jean-Loup Salzmann
2012 Obtention d’une bourse ERC pour ses travaux sur les lymphocytes T régulateurs
2021 Parrain de la double promotion 2019-2021 des docteurs de Sorbonne Université