
Chimamanda Ngozi Adichie
Doctor Honoris Causa de Sorbonne Université
La littérature est notre dernière frontière pour comprendre qui nous sommes et comprendre le monde.
L'écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie a conquis la scène littéraire internationale avec des romans tels que L'Hibiscus pourpre et Americanah. Elle a été élue à l’Académie américaine des arts et des sciences en 2017.
Quelles sont, selon vous, les responsabilités des écrivains dans le contexte sociopolitique actuel ?
Chimamanda Ngozi Adichie : La seule responsabilité de l’écrivain de fiction est envers son art, et envers la création d’une œuvre imaginative sincère qui résiste à toute forme de censure, qu’elle soit auto-imposée ou qu’elle provienne de sources sociopolitiques extérieures.
Comment réconciliez-vous fiction et activisme dans votre œuvre littéraire ?
C.N.A. : La fiction qui prend l’activisme comme point de départ risque de devenir une propagande vide. Je vois ces deux domaines comme assez distincts. Ma fiction cherche à humaniser, tandis que certains de mes essais et textes non fictionnels peuvent être décrits comme relevant de l’activisme, en ce sens qu’ils ont clairement pour but de persuader, d’éclairer ou de provoquer un changement.
Comment vos expériences personnelles ont-elles influencé vos œuvres féministes comme Nous sommes tous des féministes ?
C.N.A. : Il s’agissait d’une conférence TED que j’ai donnée il y a quelques années, dans laquelle j’ai utilisé des histoires tirées de ma vie et de mes observations. Mon approche du féminisme a toujours été ancrée dans les récits et l’expérience vécue, plutôt que dans la théorie. Mon enfance a été joyeuse et j’ai eu des parents merveilleux, mais j’ai compris très tôt, en tant qu’enfant, que le monde n’accordait pas la même bienveillance aux femmes qu’aux hommes. En tant que conteuse, je suis très attentive aux détails concrets de l’expérience humaine : j’observe, j’écoute et je pose des questions.
Que représente pour vous cette distinction de Sorbonne Université ?
C.N.A. : Je suis très honorée d’être reconnue et de faire désormais partie d’une grande tradition intellectuelle française. J’ai eu le privilège de recevoir des doctor honoris causa d'autres institutions renommées par le passé, et ces distinctions constituent une forme d’encouragement, surtout que l’écriture peut être un exercice très solitaire.
À une époque où la polarisation politique et culturelle ne cesse de s’accentuer, quel rôle des institutions comme Sorbonne Université peuvent-elles jouer pour valoriser la diversité des voix littéraires et favoriser un dialogue littéraire à l’échelle mondiale ?
C.N.A. : Même sans polarisation politique, les voix comptent. Les histoires comptent. La littérature est notre dernière frontière pour comprendre qui nous sommes et comprendre le monde. Les récits nous rappellent qu’il existe une multiplicité de points de vue et que l’humanité de chaque personne a de la valeur. Si nous voulons construire un monde fondé sur la coexistence pacifique, nous devons entendre des voix différentes. Des institutions comme Sorbonne Université peuvent — et devraient — faire de la rencontre entre ces voix une priorité.