Brian F.G. Katz
Chercheur acousticien
Je travaille avec des fonds publics. Il est normal que mes recherches profitent à la société.
De Notre-Dame aux salles de concert en passant par la réalité virtuelle, Brian F.G. Katz explore depuis plus de vingt ans les mystères du son. Directeur de recherche CNRS à l'Institut Jean le Rond ∂'Alembert1, il navigue entre passé et futur, conjuguant à l’unisson recherche fondamentale et applications concrètes. Portrait d'un physicien devenu maître des échos.
« C’était trop beau pour être vrai ». Brian Katz se souvient encore de ce moment où un collègue lui a parlé de Penn State, l'une des rares universités au monde à proposer un diplôme dédié à l’acoustique. Pour cet étudiant américain plus intéressé par l’installation des systèmes de son que par l’astrophysique ou la physique quantique, c'était une véritable révélation.
Après un bachelor en physique et philosophie des religions aux États-Unis, et un master en sciences des matériaux en Angleterre, il commence alors une thèse à Penn State sur le contrôle actif du bruit dans les avions, puis sur la modélisation du son autour de la tête à l'aide de superordinateurs.
L'appel des salles de concert
Son doctorat en poche, et après avoir été l'un des premiers à modéliser l'impact acoustique de l'oreille externe, Brian Katz devient consultant dans des bureaux d'études américains de renom spécialisés dans la conception acoustique de salles de concert. « C'était extraordinaire de travailler sur des salles de concert que je voyais à la télévision », confie-t-il.
Parallèlement, il cultive sa passion pour la recherche : « Si je parvenais à réaliser un projet pour le bureau plus vite que prévu, je pouvais utiliser le reste de mon temps pour la recherche. J'ai fait cela pendant quelques années, mais à un moment, je travaillais 80 heures par semaine. » Il a donc fallu choisir entre bureaux d’études et recherche.
Le grand saut vers la recherche
Une bourse Chateaubriand lui offre l'opportunité de tester la voie de la recherche en France au sein du Laboratoire d’acoustique musicale (LAM)2 à l’Université Pierre et Marie Curie3. « Mon chef m'avait proposé une mise à disposition d’un an. Si cela ne fonctionnait pas, je pouvais revenir et reprendre mon poste aux Etats-Unis », se souvient-il.
Mais Brian Katz n’est pas de ceux qui renoncent et, au bout de quelques mois, il décide de rester en France. « C'était un choix définitif, même si je n'avais pas de poste assuré, car j'aimais la vie académique », raconte-t-il. La chance lui sourit : une chercheuse de l'Ircam4 qui travaillait sur le même sujet que lui laisse un poste vacant. « J'ai ensuite eu la chance d’obtenir le concours du CNRS du premier coup », note-t-il avec gratitude. À 31 ans, il devient chercheur permanent et passe huit mois à l'Ircam avant de rejoindre le LIMSI5 sur le plateau de Saclay, où il reste pendant 15 ans. « C'est là que j'ai développé mes recherches autour de la spatialisation sonore et de la réalité virtuelle auditive », explique-t-il.
Entre fondamental et appliqué
« Mes recherches se situent à la frontière entre applications concrètes et études fondamentales », précise le chercheur, qui alterne entre collaboration académique et projets industriels. En plus de ses travaux de recherche au LAM qu’il a rejoint en 2017, il continue par ailleurs de travailler pour des bureaux d’études internationaux dont ses anciens employeurs. « Même si j’ai moins de contact direct avec les clients, j’explore de nouvelles méthodes », précise-t-il. Pour les salles de spectacle, il a par exemple affiné des techniques de mesure acoustique. « Nous avons développé un système de mesure grâce à une maquette réduite pour tester et optimiser les configurations. Cette méthode s’est révélée particulièrement efficace lors de la conception de la Philharmonie de Paris », ajoute-t-il.
Au fil des ans, il a travaillé sur des projets internationaux de renom, comme le KKL de Lucerne, une rénovation du théâtre Mogador, une salle d’opéra à Suzhou en Chine ou, plus récemment, l’amélioration acoustique de la pyramide du Louvre. « Nous réalisons des simulations virtuelles pour tester et présenter différentes solutions au musée, comme l'ajout de sculptures suspendues, afin d'améliorer l'acoustique de cet espace très fréquenté », explique le chercheur.
Les acoustiques disparues
Son expertise, et celle du groupe de recherche « Espaces sonores » qu’il dirige à Sorbonne Université, s’étend également aux lieux historiques dont l’acoustique a disparu. « Les techniques que nous utilisons pour prédire l’acoustique d’une nouvelle construction sont les mêmes que celles pour étudier l’acoustique passée », confie-t-il. Il s’est notamment lancé dans des projets de reconstitution virtuelle de l’acoustique passée du théâtre de l’Athénée ou du Palais du Trocadéro.
Faire revivre Notre-Dame
Mais c'est le projet de Notre-Dame de Paris qui va marquer un tournant dans sa carrière. En 2015, son équipe réalise des mesures acoustiques de la cathédrale pour en créer une version virtuelle. Un patrimoine sonore qui devient inestimable après l'incendie de 2019. « Nous étions la seule équipe au monde à posséder des mesures acoustiques modernes de Notre-Dame », souligne-t-il. Il lance alors un vaste projet de recherche sur l'évolution historique de l'acoustique de l’édifice avec une équipe pluridisciplinaire, composée d’architectes, d’historiens, d’acousticiens, de musicologues… « J’aime beaucoup travailler en équipe, et notamment avec des personnes issues de domaines différents. », explique-t-il.
Son équipe développe ainsi un système de simulation acoustique en temps réel permettant à des chanteurs de se produire dans une acoustique virtuelle de Notre-Dame. « Nous pouvons changer l'époque de l’acoustique de Notre-Dame et analyser les performances des artistes, se réjouit-il. Nous sommes probablement les premiers à avoir développé un système aussi poussé et calibré pour plusieurs chanteurs simultanés. »
Il suit également la façon dont l’incendie, puis la restauration de la cathédrale ont modifié l’acoustique de Notre-Dame : « le nettoyage et le polissage des plâtres affectent le son. Nous essayons de suivre les travaux et de faire des mesures régulières. Nous espérons pouvoir continuer à collaborer dans le cadre du chantier scientifique une fois les travaux achevés, notamment pour aider à choisir les aménagements acoustiques intérieurs de la cathédrale, affirme le chercheur. Il faudrait par exemple réussir à minimiser le bruit du public pour ne pas qu’il perturbe les prières des fidèles. Lors de nos recherches, nous avons examiné des éléments décoratifs du Moyen Âge, comme des rideaux et des tapisseries en velours, pour mesurer leurs propriétés acoustiques. Nous pensons qu'il serait possible d’en réintroduire certains pour corriger l'acoustique tout en respectant l'esthétique historique du décor. Une église avec des murs nus est en réalité une idée assez moderne. Lors du sacre de Napoléon par exemple, tous les murs et des colonnes de la cathédrale étaient recouverts de tentures et de tapisseries ».
Entre passé, présent et futur
Mais si Brian Katz s’intéresse à l’Histoire, il est aussi un chercheur au service de ses contemporains. Parmi ses travaux les plus innovants figurent les projets NAVIG, Wayfinding et puis Rasputin qui pourrait bien faciliter la vie des personnes non-voyantes. « Nous avons travaillé sur un système de guidage similaire à Google Maps », explique-t-il. Les systèmes actuels indiquent simplement 'tout droit, à gauche', mais ne donnent pas une vue d'ensemble de la destination. La solution ? Une spatialisation sonore qui permet aux utilisateurs de percevoir l'ensemble de leur trajet en préservant la perception des sons environnants, essentiels pour leur sécurité. « Cela permet aux personnes déficientes visuelles d’avoir une idée plus globale de leur itinéraire, un peu comme lorsqu’un voyant regarde une carte et décide de changer son itinéraire en fonction de ses préférences », souligne le chercheur.
La curiosité et l’ouverture de Brian Katz font sa force. Il collabore aussi bien avec des spécialistes du Moyen Âge, des associations de personnes déficientes visuelles que des grands groupes internationaux comme Meta. Cette diversité nourrit sa créativité et enrichit ses recherches. « Avec Meta, nous testons des paradigmes sonores en réalité augmentée pour voir comment les gens réagissent lorsque les environnements acoustiques sont simulés », poursuit-il. Le chercheur imagine un futur où, dans une même conversation virtuelle, chaque interlocuteur pourrait être perçu dans un environnement sonore différent de son environnement réel. Ces expériences ouvrent de nouvelles perspectives sur les défis des communications immersives et les perceptions dans des environnements virtuels.
La science pour tous
Conscient de sa responsabilité en tant que chercheur public, Brian Katz accorde une grande importance à la transmission de ses travaux. « Je suis fonctionnaire, payé par l'État, et je travaille avec des fonds publics. Il est donc normal qu'il y ait un retour pour la société, au-delà des articles scientifiques », affirme-t-il. Cette conviction l'a poussé à multiplier les initiatives de vulgarisation, notamment à travers des vidéos en son 3D et des podcasts accessibles gratuitement à tous. « Pour Notre-Dame, nous avons réalisé plusieurs productions, comme un concert webradio pendant le confinement. Nous avons aussi produit un podcast de fiction et lancé une balade audio-immersive autour de la cathédrale où Notre-Dame "parle" aux visiteurs et explique des éléments de son histoire. »
Le prochain projet ? Un film-concert documentaire sur l'évolution musicale et acoustique de Notre-Dame, « Vaulted Harmonies » est prévu pour janvier 2025 en partenariat avec le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. « Ce concert de 11 pièces, chacune enregistrée en studio et réintégrée dans l'acoustique de l'époque correspondante, comportera des segments documentaires expliquant les changements en termes d'acoustique, de musique, ou d'histoire », conclut-il.
1 Sorbonne Université/CNRS
2 Sorbonne Université/CNRS
3 Aujourd’hui Sorbonne Université
4 Sorbonne Université/CNRS
5 Laboratoire d'informatique pour la mécanique et les sciences de l'ingénieur (CNRS)