Benjamin Alunni
Un alumnus au festival d'Aix-en-Provence
J'ai tout arrêté pour me consacrer entièrement au chant.
Vous avez suivi des études de musicologie à Sorbonne Université. Quel souvenir en gardez-vous ?
Benjamin Alunni : De mon cursus à Sorbonne Université, je garde le souvenir d’une rencontre marquante : celle de Katarina Livljanić qui m’a initié à la musique médiévale. Chanteuse et spécialiste de l’interprétation de la musique du Haut-Moyen Âge, l’acte de chanter était pour elle une urgente nécessité. C’est une personne qui reste pour moi un exemple tant dans la recherche en musicologie pour laquelle elle est reconnue internationalement, que dans sa pratique musicale largement saluée par la critique. Elle symbolise, selon moi, cette alliance entre recherche et interprétation musicales, une dualité dont j’ai depuis toujours cultivé le goût dans mon travail artistique.
Vous êtes entré dans l'univers de la musique par la flûte. Comment avez-vous découvert le chant lyrique ?
B. A. : Elève dès l’âge de huit ans à l’Ecole Maîtrisienne de Grasse, une sorte de musique-études, j’ai toujours baigné dans un environnement musical quotidien. Je suivais les enseignements scolaires le matin et travaillais la musique et le chant choral l’après-midi. Au lycée, je suis parti de Nice dont j’étais originaire pour intégrer le conservatoire de Versailles dans l’idée de devenir flûtiste. C’est en Terminale que j’ai repris le chant pour le plaisir, dans un conservatoire parisien où j’ai été initié au chant lyrique qui très vite a pris le dessus.
Après ma licence 2 à Sorbonne Université, j’ai présenté, sur les conseils de mon professeur de chant, le concours du Conservatoire National supérieur de musique et de danse que j’ai réussi. A partir de là, j’ai tout arrêté pour me consacrer entièrement au chant, d’abord au conservatoire de Paris puis à l’Académie norvégienne de musique d'Oslo.
Vous chantez dans l’opéra Les Mille Endormis d’Adam Maor au festival d’Aix-en-Provence, l’un des plus grands festivals européens d’art lyrique. Comment êtes-vous passé du répertoire baroque qui a marqué le début de votre carrière à un répertoire plus contemporain ?
B. A. : C’est dans l'univers baroque que j’ai fait mes armes en rejoignant notamment William Christie en 2011 dans Atys de Lully. Depuis, j'ai interprété avec autant de plaisir le répertoire baroque que le contemporain.
Le projet Les Mille endormis traite, avec poésie et spiritualité, du sujet géopolitique sensible israélo-palestinien, en imaginant les autorités israéliennes plonger dans le sommeil des détenus palestiniens et les conséquences qui en découlent. Très contemporain tant dans sa composition musicale que dans son dispositif, cet opéra m’a beaucoup touché car il rassemble plusieurs de mes centres d’intérêt.
En tant que chanteurs, nous interprétons le plus souvent les œuvres de compositeurs disparus. Avec ce projet, j’ai eu la chance de pouvoir directement travailler avec le compositeur Adam Maor pendant plusieurs mois et découvrir, de l’intérieur, le processus d’écriture, ses sources d’inspiration, son univers musical et la façon dont je pouvais me l’approprier et le restituer au public.
Qu’est-ce que le répertoire contemporain a changé dans votre façon de travailler ?
B. A. : Même si le travail du texte ou la technique vocale restent similaires, nous n’appréhendons pas une partition du répertoire contemporain de la même manière qu’une œuvre classique. De nombreux éléments restent à inventer avec le compositeur, il n’y a pas de langage préétabli. Et cela est d’autant plus vrai pour un opéra en hébreu comme celui des Mille endormis. Même s’il s’agit d’une langue très lyrique, il n’existe pas, contrairement à l'allemand ou à l'italien, de tradition de chant lyrique en hébreu et encore moins d’école. En tant qu’interprète, cela nous offre un réel espace de liberté.
Par ailleurs, la création contemporaine nous permet d’explorer des modes d’émission vocale qui sont peu sollicités dans les œuvres classiques ou inexistants.
L’opéra dans lequel vous chantez actuellement a été composé en partenariat avec l’Ircam. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette collaboration ?
B. A. : Pour ce projet, le compositeur, Adam Maor, a travaillé en collaboration avec Augustin Muller, réalisateur en informatique musicale à l’Ircam 1. Ensemble, ils ont créé une partition électronique qui vient s’ajouter aux huit instrumentistes et aux quatre chanteurs de l’opéra. Il me semble que, pour le compositeur, l’électronique permet de renforcer, à travers la diffusion de sons à l’infini, le pouvoir de l’évocation et de l’imaginaire.
En tant qu’interprète, j’ai découvert la partition électronique peu avant la première représentation. Parce qu’elle modifie la perception que je m’étais faite de l’œuvre et son environnement acoustique, cette nouvelle écoute est assez déroutante.
Comment vous êtes-vous préparé à l’interprétation de cette création contemporaine ?
B. A. : Pendant les répétitions, nous avons redécouvert l’œuvre en train de se créer. C’est une expérience troublante et fascinante. Après avoir pris connaissance du livret et de la partition, j’ai travaillé plusieurs mois avec le compositeur avant de répéter à Aix-en-Provence avec un chef de chant. A une semaine de la première, l’électronique est arrivée, puis l’orchestre. Cela demande beaucoup de réactivité pour se réapproprier l’œuvre et retrouver ses repères dans un nouvel environnement acoustique.
Durant un mois, nous avons travaillé six jours sur sept au plateau. Nous avons alterné travail musical et travail scénique. Dans l’opéra Des Mille endormis, nous avons eu la chance que le metteur en scène, Yonatan Levy, soit aussi le librettiste. Avec lui, nous nous sommes appropriés le texte, son histoire, ses références et ses nombreux niveaux lectures. En tant qu’interprète, il est indispensable que nous ayons ces sous-textes pour construire nos rôles et cultiver notre imaginaire.
Quel est votre prochain projet ?
B. A. : Avec un ancien docteur en musicologie de Sorbonne Université, j’ai conçu un programme de récital autour de l’hispanisme dans la mélodie française. Il s’agit d’une sorte d’itinéraire qui va de Paris à Buenos Aires en passant par Madrid. Accompagné du pianiste argentin Fernando Palomeque, je chanterai ce corpus qui donne à voir les connivences entre musique française et inspiration espagnole lors du festival Les Nuits d’Agathos, le 1er août 2019.
1 Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Sorbonne Université, CNRS, ministère de la Culture et de la Communication)