Aurore Turbiau
Docteure en littérature comparée et lauréate du prix science ouverte de la thèse
Les littéraires ont beaucoup à gagner à s’intéresser aux sciences ouvertes, et les scientifiques à mieux comprendre nos approches.
Récompensée par le prix science ouverte de la thèse, Aurore Turbiau, docteure en littérature comparée de Sorbonne Université, incarne une nouvelle génération de chercheuses engagées. Via l'étude d'un corpus de plusieurs centaines d’œuvres, elle explore les enjeux féministes et les dynamiques de genre dans la littérature. Son travail, qui s'appuie sur des collaborations internationales et sur le développement d'outils numériques, contribue à faire évoluer les méthodes de recherche en sciences humaines et sociales.
Après avoir obtenu un master en théorie de la littérature, Aurore Turbiau choisit de faire une pause dans la recherche afin d’explorer un nouveau champ : la communication éditoriale. Une parenthèse marquante, qui lui permet de s’initier au codage informatique. « Je voulais comprendre les outils avec lesquels je travaillais. Pendant ce master1, je me suis autoformée à la programmation et j’ai commencé à coder », explique-t-elle. Cette compétence deviendra plus tard un atout lorsqu’elle reprendra la recherche. Or, « quand j’y suis revenue, c'était avec la certitude que je ferais une recherche féministe, ou rien ».
Sa thèse, commencée en 2018, explore les pensées et pratiques de l’engagement féministe en littérature française et québécoise. Un choix loin d’être anodin. Alors que les littératures féministes anglophones bénéficient d’une grande visibilité, celles de la francophonie restent moins connues. « Je voulais contribuer à combler ce manque. Au sein de la francophonie, le Québec, en particulier, m’intéressait pour ses liens avec la France, pour la richesse du réseau littéraire féministe transatlantique. »
Pour Aurore Turbiau, travailler sur ces thématiques n’est pas qu’une question académique. C’est aussi un engagement personnel. « J’ai quitté la recherche après un premier travail sur l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, antisémite notoire, parce que je n’arrivais plus à comprendre pourquoi je mettais mon énergie à travailler sur un écrivain à la fois déjà très connu, et dont je réprouvais les engagements. Revenir à la recherche, c’était revenir avec une conviction politique : mieux connaître les voix féministes. »
« Ce prix montre que même en littérature, les sciences ouvertes ont leur place »
En parallèle de son travail, Aurore Turbiau a développé un logiciel sur mesure, Litote, pour répondre à ses besoins spécifiques en matière de gestion de données textuelles. « J’ai commencé à coder un outil très basique, qui a grandi avec mes besoins au fil des années. »
L’originalité du projet d’Aurore Turbiau, qui se distingue par une démarche de science ouverte pleinement aboutie, lui a valu de remporter le prix science ouverte récompensant les initiatives sur les logiciels libres, les données de la recherche et les thèses. Sa thèse est publiée sur une archive ouverte, la base de données hébergée sur Huma-Num, le code partagé sur Software Heritage, et le tout est accompagné d’une documentation détaillée via un carnet Hypothèses. En bref, toutes les productions sont rendues accessibles et disponibles. « Ce prix montre que même en littérature, les sciences ouvertes ont leur place. J’espère un jour pouvoir travailler avec une équipe pour améliorer Litote et le rendre vraiment disponible ».
Pour guider son travail de recherche, la doctorante s’appuie sur un riche héritage littéraire et intellectuel. Monique Wittig, romancière française et grande figure du féminisme, occupe une place centrale dans son parcours. « C’est une autrice qui fédère, autant dans les milieux universitaires que militants. Je travaille régulièrement avec l'association des Ami.es de Monique Wittig à organiser des lectures, à faire de l'éducation populaire, à mieux faire connaître ses textes, ses œuvres… C’est une manière de tisser un lien entre l’université et la société civile. »
Elle cite également deux autres autrices inspirantes : Christiane Rochefort pour son irrévérence et France Théoret, écrivaine québécoise, qui l’a encouragée à voir son propre travail de thèse comme un acte d’écriture à part entière.
Les défis d’un champ en plein essor
L’engouement pour les études féministes est réel, mais Aurore Turbiau reste lucide. « On parle beaucoup des études de genre, mais souvent de manière superficielle. Pour construire une expertise, il faut des structures solides : des parcours universitaires dédiés, des chaires, des postes. Aujourd’hui, contrairement au Québec, on est encore trop peu à pouvoir se consacrer à ces sujets. »
Elle espère que ses recherches contribueront à consolider cet élan, tout en sensibilisant davantage le public et la communauté universitaire aux questions numériques. « Les littéraires ont beaucoup à gagner à s’intéresser aux sciences ouvertes, et les scientifiques à mieux comprendre aussi nos approches et nos enjeux spécifiques. Ce dialogue est essentiel. »
Quid de la suite de son parcours ? Aurore Turbiau va rester fidèle à ses premières ambitions : enseigner et transmettre, en poursuivant ses travaux sur le féminisme et la littérature.
Par Pauline Ponchaux
1 Master Conseil éditorial et gestion de contenus plurimédias
La cellule Données de la recherche et humanités numériques de Sorbonne Université
La cellule Données de la recherche et humanités numériques a soutenu Aurore Turbiau dans la reconnaissance et le développement de son logiciel : « C’est grâce à eux que j’ai candidaté au prix science ouverte de la thèse. »
Cette cellule de Sorbonne Université accompagne les chercheuses et chercheurs dans la gestion, le partage et la valorisation de leurs données scientifiques. Elle promeut le respect des principes FAIR (Findable, Accessible, Interoperable, Reusable), garantissant que les données produites dans le cadre de projets de recherche soient accessibles, compréhensibles et réutilisables par la communauté scientifique.
Un exemple de cet accompagnement est le projet LabRADoR, qui propose des ressources et des formations pour aider les chercheuses et les chercheurs à structurer leurs données et à répondre aux exigences croissantes en matière de sciences ouvertes.