Alessandra Carbone
Professeure d'informatique
Il n’y a aucune frontière dans la recherche.
Elle est italienne, a étudié à Milan, obtenu un doctorat en mathématiques à New York, est passée par Vienne et poursuit depuis de nombreuses années sa carrière à Paris, à Sorbonne Université, où elle est professeure et dirige le laboratoire de Biologie Computationnelle et Quantitative. Elle se propose aujourd’hui de faire évoluer le réseau universitaire européen en bioinformatique qu’elle a contribué à lancer. Rencontre avec une scientifique qui fait tomber les frontières de son domaine.
Le Laboratoire de Biologie Computationnelle et Quantitative que vous dirigez est à l’origine d’une initiative interdisciplinaire française. Comment est-elle née ?
Alessandra Carbone : Un programme de master rassemblant des enseignantes et enseignants, dont plusieurs de mon laboratoire, et des étudiantes et étudiants en biologie et en informatique existe depuis une dizaine d’années à Sorbonne Université. Il y a cinq ans, nous avons lancé, avec des enseignantes et enseignants de deux autres universités franciliennes, l’initiative Meet-U (encadré), un cours qui traite de questions à la pointe de la recherche académique mondiale. À l’origine de cette initiative, il y a deux jeunes chercheuses, Anne Lopes et Élodie Laine, maîtresses de conférences respectivement à l’Université Paris-Saclay et à Sorbonne Université, et membre de mon laboratoire pour la seconde.
L’idée était que les enseignantes et enseignants imaginent un challenge au cœur des enjeux actuels à la frontière entre biologie et informatique, et préparent les étudiants en master 2, sans distinction entre professionnel et recherche, à devenir acteurs d’une communauté scientifique. Ces étudiantes et étudiants choisissent un sujet étudié dans les laboratoires de recherche internationaux et tentent d’y répondre avec leurs enseignantes et enseignants. À l’issue d’une période de cours et de travail en petits groupes, une rencontre est organisée avec des chercheuses et chercheurs de laboratoires européens qui jugent leur travail, avec, en parallèle, une présentation des chercheuses et chercheurs les accompagnant sur le même sujet. Une sorte de symposium inversé ! Cela permet de montrer à la communauté étudiante l’importance d’une interaction entre elle et avec la communauté scientifique du domaine. Transformée en Meet-EU, c’est aujourd’hui un moment de partage entre cinq universités de l’Alliance 4EU+ pour transmettre le goût de la recherche aux étudiants et étudiantes.
Qu’est-ce qui a inspiré le projet de Réseau pluridisciplinaire de masters en bioinformatique que vous coordonnez aujourd’hui ?
A. C. : La bioinformatique est un domaine en évolution constante et rapide dont l’enseignement s’enrichit des partages d’expériences d’enseignement par la recherche entre universités européennes. Nos étudiants et étudiantes profitent aussi de cette possibilité de connaître d’autres environnements d’enseignement. C’est ce qui a inspiré la création du réseau. Quand l’alliance 4EU+ s’est mise en place, avec Martin Weigt, physicien et professeur à SU avec qui je codirige le parcours de bioinformatique et modélisation du master d’informatique, nous avons tout de suite vu l’opportunité de déployer l’expérience francilienne à l’échelle européenne. 4EU+ s’est effectivement révélé un excellent cadre pour proposer des cours basés sur la recherche. Meet-EU est aujourd’hui incluse dans le programme du réseau européen de masters. Et ce partage d’expériences dans des contextes de recherche nationaux différents fonctionne, même en temps de crise !
Quels sont les sujets étudiés ?
A. C. : Dans le passé, nous avons demandé aux étudiantes et étudiants de tenter de répondre à des questions portant sur la structure tridimensionnelle des protéines, leurs interactions et l’annotation de leurs séquences en développant des algorithmes et des modèles. Cette année, le sujet a porté sur la structure de la chromatine à partir de données expérimentales à haut débit. Il a été proposé en recoupant les questions posées par les laboratoires des cinq universités impliquées. Cela s’est organisé autour d’échanges communs, de la constitution de groupes d’étudiantes et étudiants qui se rencontraient virtuellement et de bases de données permettant les échanges.
Quels sont les avantages de cette démarche pour les étudiants ?
A. C. : Tous ceux qui ont participé ont tiré bénéfice de cette expérience. Je crois profondément à l’importance de ces échanges. Il n’y a aucune frontière dans la recherche, elle est internationale et non limitée à un laboratoire, une ville ou un pays. Il faut que les étudiantes et étudiants le sachent quand ils finissent nos formations. Grâce à la rencontre avec les chercheuses et chercheurs de nos jurys internationaux, de nombreux étudiantes et étudiants se sont créé des opportunités dans d’autres laboratoires, à l’étranger.
Y a-t-il d’autres réseaux de ce genre dans le monde ?
A. C. : C’est la première année que nous proposons cette expérience partagée par cinq universités européennes. Et à ma connaissance, elle est unique en son genre.
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De Meet-U à Meet-EU
À sa création, en 2017, Meet-U était une initiative franco-française portée par 3 universités franciliennes : Sorbonne Université, Paris Saclay et l’Université de Paris. Des chercheurs européens sont déjà invités à évaluer les présentations des étudiants. 4 ans plus tard, son succès est évident. L’alliance 4EU+, fondée elle aussi en 2017, sélectionne le projet de réseau universitaire européen en bioinformatique porté par l’équipe fondatrice de Meet-EU et 4 des institutions qui la composent : les Universités Charles (République tchèque), de Heidelberg (Allemagne), Milan (Italie) et Varsovie (Pologne).