Transat Jacques Vabre : un appareil de mesure du LATMOS monte à bord
François Ravetta est professeur de physique de l'atmosphère au sein du Laboratoire Atmosphères & Observations spatiales - LATMOS (Sorbonne Université/CNRS/UVSQ), dont il est également le directeur. Pascal Genau est ingénieur d’études CNRS et informaticien dans ce même laboratoire. Récemment, les deux chercheurs ont développé un capteur (radiomètre) qui va embarquer sur le voilier de course de Bertrand Guillonneau lors de la transat Jacques Vabre. Ils nous expliquent leur implication dans cette aventure, ainsi que les utilisations et les objectifs de ce capteur.
Le 29 octobre, Bertrand Guillonneau, alumnus de Sorbonne Université, chirurgien et skipper, se lance dans la transat Jacques Vabre en embarquant sur son voilier l’un de vos instruments de mesure. Comment êtes-vous arrivé dans ce projet ?
François Ravetta : Tout a commencé grâce à l'Institut de l'Océan et à son directeur, Christophe Prazuck. Il était au courant de l'opération course au large, qui a le soutien de Sorbonne Université. Avant l’été, il m'a demandé si j’avais des idées pour donner une dimension scientifique à la course, en lien avec notre université. J’ai alors proposé d’installer un radiomètre à bord. Une première réunion avec Bertrand Guillonneau et son équipe a permis d’affiner le projet d’un point de vue pratique, priorité étant donnée à la course. Dans la foulée, j’ai sollicité Pascal, qui en plus de ses compétences en informatique est capable de développer des instruments à façon. Il s'est laissé embarquer dans l’aventure !
À quoi va servir le capteur ? Quels sont ses objectifs ?
F.R. : Cet outil, que nous avons nommé RADICAL pour RADiomètre, Infrarouge pour la Course Au Large, va servir à mesurer le rayonnement infrarouge émis par l'atmosphère. Ce rayonnement est très important pour comprendre le climat de la Terre, son équilibre énergétique, en particulier l'effet de serre. Le rayonnement infrarouge est souvent ignoré, car on ne le voit pas. Le radiomètre RADICAL permettra également d’estimer la fraction nuageuse et l’altitude des nuages, deux paramètres cruciaux pour anticiper l’évolution du climat.
Le projet est avant tout à visée pédagogique. Toutes ces données seront analysées dans mon cours de master sur le rayonnement et la télédétection. Ce sera l’occasion de former les étudiantes et les étudiants à la difficulté de mesurer correctement une grandeur géophysique. Ils devront trier les données, prendre en compte dans leurs calculs l’attitude du bateau en termes de roulis, de tangage…
Le skipper Bertrand Guillonneau interviendra une fois dans ce cours pour donner le contexte de ces mesures. Il s’est engagé à tenir un carnet de bord ! La démarche des étudiantes et étudiants sera très proche de celle du chercheur en géophysique qui doit transformer une donnée brute, prise dans un environnement particulier, en une donnée exploitable scientifiquement.
Cette opération va aussi permettre de sensibiliser le grand public à des concepts qui sont au cœur de la machine climatique. J'ai proposé à Thomas Lesigne et Anderson Da Silva, des alumni de notre master Sciences de l'océan, de l'atmosphère et du climat, actuellement en thèse au LATMOS, de s’impliquer. Ils préparent un poster de présentation du projet et seront présents au village départ de la course au Havre pour échanger avec le public. Ils seront les ambassadeurs de Sorbonne Université.
Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne le capteur ?
Pascal Genau : Avant de mesurer le rayonnement infrarouge, il faut récupérer le signal et le mettre en forme. À l’intérieur de la boîte contenant le capteur, on retrouve un système d'acquisition de l'information, un calculateur qui va collecter les données et les stocker, une balise GPS et une alimentation. La boîte, étanche, va être fixée sur le portique arrière du bateau. Le skipper n'a rien à faire… en théorie. En pratique, il pourrait nous transférer les données en temps réel, tous les jours, toutes les semaines. C'est à lui de voir, en fonction de sa disponibilité pendant la course ! En tout état de cause, nous récupérerons les données à la fin.
F.R. : Le capteur infrarouge utilisé est industriel. Il est peu coûteux, robuste et de petite dimension. Pascal l’a adapté et intégré de manière à pourvoir le déployer dans des environnements extrêmes. L’hiver dernier, la version recherche de RADICAL, appelée TAPIR (Tiny Autonomous Portable Infrared Radiometer) a volé sous un drone en Arctique lors d’une campagne d’étude du bilan d’énergie à la surface de la Terre. TAPIR complétera aussi à terme la charge utile que nous embarquons à bord des ballons stratosphériques du CNES pour étudier l’impact des cirrus sur le climat terrestre.
C’est une première pour ce capteur qui va embarquer sur un bateau de course. Avez-vous pu le tester auparavant ?
P.G. : Nous l’avons testé, mais pas en condition de course au large. Il y aura certainement des aléas : des problèmes de vibration, d'embruns marins qui pourraient se déposer sur le capteur même si la boîte est étanche, des soucis avec le rayonnement direct qui pourrait bloquer le système si le soleil chauffe trop… Nous ne sommes pas à l’abri de mesures biaisées. Nous sommes toutefois confiants et verrons bien ce que cela donne !
F.R. : Les perturbations dont parle Pascal doivent être estimées, et si besoin corrigées, pour utiliser les données lors d’une étude scientifique. Dans le cadre de ce projet, notre but n’est pas d’obtenir la mesure la plus précise et la plus fiable, mais de former nos étudiantes et étudiants à la difficulté de la mesure.
Un mot pour conclure ?
F.R. : J’aimerais que les deux doctorants écrivent un article à destination des professeurs de collèges et lycées. Il est important de partager nos connaissances et de promouvoir la démarche scientifique. Je compte sur Thomas et Anderson pour valoriser ces mesures de rayonnement thermique, et faire rayonner Sorbonne Université !
Notre portrait
Bertrand Guillonneau
Chirurgien urologue à l’hôpital de La Charité de Berlin et skipper
Je dois ma réussite professionnelle à Sorbonne Université