Terraneon

TerraNeon : modéliser la complexité pour des décisions éclairées

Développé au Laboratoire d’informatique de Sorbonne Université (LIP6), le projet TerraNeon vise à créer un outil capable d’aider les institutions et les entreprises à évaluer l’impact de leurs décisions sur l’environnement, l’économie et la société. Porté par Jean-Daniel Kant, il repose sur une approche innovante : la simulation multi-agents.

Genèse du projet

L’idée du projet TerraNeon trouve son origine dans le livre Écotopia d’Ernest Callenbach. Ce roman de Science-Fiction, publié en 1975, imagine une société où plusieurs États de l’Ouest américain font sécession pour fonder une nation basée sur des principes écologiques et sociaux innovants. "Ce livre m’a donné l’idée d’utiliser la simulation multi-agents pour tester la faisabilité de tels principes. Si ces idées paraissent si évidentes dans le livre, qu’est-ce qui, dans la réalité, pourrait poser problème ?", raconte Jean-Daniel Kant, enseignant-chercheur à Sorbonne Université et responsable du projet.

Avec son collègue Cédric Herpson, Jean-Daniel Kant a commencé à explorer ces concepts dans le cadre d’un programme de recherche. "Nous avons rapidement compris qu’une approche systémique était essentielle : il ne fallait pas se limiter à un seul aspect des problèmes, comme cela se fait souvent dans les modèles classiques, mais bien intégrer tous les facteurs en interaction", rappelle le scientifique.

Par ailleurs, il a mis en place un enseignement spécifique dans le cadre du master sur la simulation multi-agents. « Mes étudiants travaillent actuellement sur la modélisation d’une société inspirée d’Ecotopia pour en évaluer les dynamiques et les limites », explique Jean-Daniel Kant.

Une approche systémique pour évaluer les prises de décision

Ces travaux préliminaires ont conduit à la création de TerraNeon, un projet visant à modéliser scientifiquement l’impact de stratégies et politiques sous toutes ses dimensions : économique, sociale, et environnementale. Cela permettra notamment d’identifier des solutions pour limiter l’impact humain sur le climat et la biodiversité. « On dit souvent qu'il n'y a pas d'alternative, mais des solutions existent. Elles sont débattues. Notre objectif est de les évaluer scientifiquement », soutient Jean-Daniel Kant.

Doit-on privilégier le nucléaire, les énergies renouvelables ? Réduire la consommation de viande ou l’aviation ? Ces choix complexes ont des répercussions sociales et économiques majeures. TerraNeon intègre la dimension environnementale dans chaque décision et relie les modifications d’un secteur à leurs effets globaux, offrant ainsi une vision cohérente des enjeux. « C’est cette approche systémique qui constitue la force de notre projet », défend Jean-Daniel Kant.

Des paramètres multiples pour une évaluation globale

TerraNeon ne se limite pas aux impacts environnementaux et économiques : il intègre aussi des dimensions sociales. Ces impacts émergent des actions des acteurs dans la simulation. Les décisions qu’ils prennent influencent leur environnement, générant une boucle dynamique qui modifie leurs comportements futurs.

Le modèle repose sur des connaissances en économie,  psychologie, sociologie, et  écologie, enrichies par de nombreuses données. « Nous vérifions également si nos simulations reproduisent spontanément des phénomènes observés dans la réalité. Jusqu’à présent, nous avons systématiquement réussi à obtenir ces effets émergents, ce qui renforce la crédibilité du modèle », se réjouit Jean-Daniel Kant.

Les simulations produisent divers indicateurs : économiques (coûts, emploi, fiscalité, etc.), sociaux (évolution des revenus, impact des politiques sur les inégalités, etc.) ou encore environnementaux (émissions de gaz à effet de serre, biodiversité, pollution de l’eau, etc.).

La simulation multi-agents : une modélisation réaliste

L’un des piliers du projet repose sur la simulation multi-agents. Un agent est un programme informatique qui représente un acteur de la société : un individu, un ménage, une entreprise. Ces agents prennent des décisions en fonction de leur environnement et de leurs contraintes. Leurs interactions permettent d’analyser des dynamiques économiques et sociales complexes.

Par exemple, un individu doit choisir comment se loger ou consommer en fonction de certains critères, tandis que les entreprises ajustent leur production en fonction des ressources disponibles, des coûts de production, de la rentabilité, etc. « Cette approche modélise le fonctionnement de l’économie réelle en intégrant des paramètres comme les contraintes environnementales, les préférences des consommateurs ou les stratégies des entreprises », explique le scientifique.

Si l’OCDE et la Banque mondiale intègrent progressivement la simulation multi-agents, son usage reste limité en France au niveau gouvernemental. En revanche, certaines collectivités s’y intéressent. « La Ville de Paris explore cette méthode pour évaluer l’impact des zones à trafic limité », ajoute Jean-Daniel Kant. À terme, TerraNeon pourrait affiner ces analyses et apporter une vision plus précise des effets de telles politiques urbaines.

Un outil d’analyse plutôt qu’un outil de prédiction

Si TerraNeon ne cherche pas à prédire l’avenir, il peut, en revanche, aider à évaluer scientifiquement les effets d’une mesure politique, économique ou environnementale. Son analyse se concentre sur les secteurs clés : énergie, agriculture, logement, transports et industrie, principaux responsables des émissions et de la consommation de ressources.

Ainsi, il aide les décideurs à s’appuyer sur des faits plutôt que sur des intuitions. « Aujourd’hui, TerraNeon est le seul outil capable d’analyser ces dynamiques de manière globale et scientifique. Il ne s’agit pas d’un simple modèle académique, mais d’un véritable outil d’aide à la décision destiné aux ministères, entreprises, chambres de commerce et autres organismes qui mènent des études prospectives afin de mieux comprendre et orienter leurs choix stratégiques dans un monde en transition », affirme le scientifique.

Création d’une start-up

« Dans cette optique, nous développons une start-up pour accélérer l’application concrète de cette technologie et proposer des services directement aux institutions et aux entreprises », explique Jean-Daniel Kant. La création d’une entreprise permettra de mobiliser rapidement les ressources nécessaires pour développer la technologie à grande échelle.
Le projet est actuellement soutenu par plusieurs institutions comme Sorbonne Université, Inria, CNRS Innovation, et la BPI.

« Nous avons encore une année de maturation avant de chercher un incubateur, et Agoranov fait partie des options que nous considérons. 2025 sera une étape décisive pour notre projet ! », soutient Jean-Daniel Kant.

Des collaborations sont déjà en cours, notamment avec une agglomération de l’Est de la France sur des études d’impact, un grand producteur d’électricité et un constructeur automobile. « Nous avons déjà développé un démonstrateur qui tourne sur la question du mix énergétique français », ajoute le chercheur. Ce prototype évalue le mix énergétique français en proposant une répartition optimale entre nucléaire et renouvelables sur 50 ans. Il ne se limite pas à valider la faisabilité d’un scénario, mais fournit une feuille de route détaillée avec la construction des infrastructures nécessaires, l’impact sur l’emploi et les investissements requis.

Un développement progressif et des ambitions internationales

À court terme, les priorités sont claires : finaliser la création de la start-up, lever les fonds nécessaires et développer un logiciel tout en assurant des missions de conseil. « Dans un premier temps, TerraNeon est conçu comme un outil permettant de conseiller les entreprises et les pouvoirs publics sur les politiques à mener. Mais nous souhaitons également que le logiciel puisse être, à plus long terme, utilisé directement par ces acteurs », précise Jean-Daniel Kant.

Jean-Daniel Kant : un chercheur engagé entre modélisation et impact sociétal

Enseignant-chercheur en informatique à Sorbonne Université, Jean-Daniel Kant s’est d’abord formé en ingénierie avant de se tourner vers la recherche en intelligence artificielle et sciences cognitives. Pionnier des réseaux neuronaux, il s’est rapidement tourné vers l’analyse et la modélisation des comportements humains. Il s’oriente alors vers la simulation multi-agents, une approche lui permettant de modéliser de manière plus fine les interactions sociales et économiques.

Son travail se concentre sur les grands enjeux sociétaux : emploi, diffusion de l’innovation et transition écologique. Il collabore régulièrement avec des industriels et institutions pour confronter ses recherches à des applications concrètes. Son engagement scientifique s’est illustré lors de la première évaluation de la loi Travail El Khomri, mettant en lumière la manière dont la recherche peut influencer le débat public. Avec TerraNeon, il poursuit cette ambition : fournir des outils scientifiques pour éclairer les décisions stratégiques et environnementales.