« Recherche sans filtre » : une photographie en clair-obscur
Dans le cadre de l'exposition Recherche sans filtre, qui se tiendra sur le campus de la faculté des Sciences et Ingénierie du 10 octobre au 4 novembre, la photographe Juliette Pavy s’est inspirée de l'univers complexe des recherches de Mickaël Ménand, enseignant-chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire (Sorbonne Université/CNRS) pour offrir une perspective artistique inédite sur le monde scientifique.
Juliette, comment avez-vous été inspirée par le travail de recherche de Mickaël pour créer cette photographie ? Pouvez-vous nous parler du processus créatif derrière cette image ?
Juliette Pavy : C’était une expérience totalement nouvelle. Mickaël était le premier scientifique que j’ai rencontré dans le cadre de ce projet, et je cherchais encore les manières d’aborder les différentes disciplines scientifiques et garder une certaine cohérence dans mon travail. Quand j’ai visité son laboratoire, des détails ont tout de suite attiré mon attention, notamment les cahiers de labo et les chromatographies1. J’avais en tête l’idée de capturer un détail de la recherche de Mickaël tout en gardant l’humain au centre de l’image.
Finalement, j’ai opté pour un diptyque, qui mêle un portrait de Mickaël et un détail d’une chromatographie.
Pourquoi ce choix artistique de juxtaposer un portrait de chercheur avec un élément de la recherche ?
J.P. : J’ai trouvé que cela permettait de créer un dialogue visuel entre le chercheur et son sujet. Cela nous rappelle qu’il y a des humains derrière ces expérimentations complexes. Pour moi, le portrait avec les yeux fermés de Mickaël symbolise une forme de concentration intense ou même une rêverie scientifique. Alors que le détail de la chromatographie donne une fenêtre sur l’univers de sa recherche. Ces deux éléments se complètent.
Mickaël, comment s'est passée cette collaboration avec Juliette pour représenter visuellement les concepts de vos recherches en chimie ?
Mickaël Ménand : C'était vraiment un défi ! Mes travaux de recherche portent notamment sur des molécules anti-aromatiques, qui changent de couleur selon leur état, du violet au vert en passant par le rouge. C’est ce lien visuel qui m’a semblé le plus évident pour notre collaboration. Mais il est très difficile de traduire la subtilité de nos recherches scientifiques en une seule image.
Cela dit, le choix de Juliette de se concentrer sur un détail de chromatographie était pertinent. Nous faisons régulièrement de la chromatographie pour purifier nos produits, donc cela illustre bien un des aspects de notre quotidien au laboratoire.
Est-ce que vous pensez que cette photographie pourrait aider le public à mieux comprendre vos recherches ?
M.M. : Comprendre ? Je ne pense pas. Nos recherches sont plus complexes, et une photo ne peut pas traduire toute la subtilité du sujet. Mais cela peut donner une impression concrète de ce que l’on fait, du matériel que nous manipulons. Le texte d’accompagnement de la photo est crucial pour fournir un contexte plus clair au spectateur.
Juliette, quels ont été les principaux défis techniques ou artistiques que vous avez rencontrés en réalisant ce portrait ?
J.P. : Le premier défi était l’environnement du laboratoire : des espaces froids, des lumières peu flatteuses. J’ai donc choisi d’ajouter une petite lampe néon pour harmoniser les portraits avec les couleurs des détails de recherche que je photographiais. C’était aussi une opportunité de prendre le temps de réfléchir à l’image que je voulais créer, ce qui est assez rare dans mon travail plus orienté photographie de presse où tout se fait plus rapidement.
Mickaël, y a-t-il des aspects du travail de Juliette qui vous ont surpris ou donné une nouvelle perspective sur vos recherches ?
M.M. : Oui, le choix de la chromatographie m’a surpris. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle prenne cet aspect particulier de notre travail. C’est un procédé que l’on utilise souvent, mais le voir mis en avant de manière aussi artistique et visuelle était nouveau. Cela permet de concrétiser ce que nous faisons, même si cela ne peut pas entièrement traduire la complexité de nos recherches.
Qu'est-ce que vous avez le plus apprécié dans cette collaboration ?
M.M. : Cela m’a permis de sortir de mon cadre habituel et de me projeter dans le regard d’un observateur extérieur qui découvre nos travaux. C’est un exercice que nous ne faisons pas souvent en tant que scientifiques, donc c’était intéressant de se voir sous un nouvel angle.
J.P. : Pour moi, c’était aussi une manière de sortir de ma zone de confort. Entrer dans un laboratoire sans rien connaître des sujets, et devoir ensuite résumer tout cela en une image, c’était un défi. Mais c’était aussi passionnant, notamment quand Mickaël m’expliquait ses recherches, comme celles sur les molécules en ruban de Möbius, un concept qui m’a fasciné.
Propos recueillis par Pauline Ponchaux
1 : technique permettant de séparer les différentes substances présentes dans un mélange
La photo décryptée par Juliette Pavy
Dans ce diptyque, on voit Mickaël, les yeux fermés, baigné dans une lumière sombre et contrastée, avec des tons jaune-doré qui rappellent ceux du détail de la photographie adjacente. Ces deux images dialoguent entre elles.
Le détail choisi qui est un détail d’une chromatographie sur couche mince provient d’un cahier de laboratoire de l’équipe de Mickaël, sur lequel les chercheurs consignent leurs expériences et leurs résultats.
On distingue une sorte de vague dorée, avec en son centre une petite tache, presque un point, qui m'a évoqué l'image d'une planète. On ne sait pas vraiment si l'on observe un paysage, quelque chose sous terre, ou même dans une autre dimension. Il y a une réelle ambiguïté qui transporte dans un ailleurs.
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Du 10 oct. 2024 au 22 nov. 2024