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Plongée au cœur de la Bibliothèque Charcot

Nichée au cœur de l’Institut du Cerveau (ICM), la Bibliothèque Charcot, inaugurée en 1907, conserve des milliers d'ouvrages, archives et manuscrits précieux, témoins des avancées majeures de la neurologie du XIXe siècle. Sylvie Leroux, responsable adjointe des bibliothèques du pôle Santé, et Sophie Roume, chargée des collections, nous font découvrir les richesses de cet héritage scientifique, médical et patrimonial.

 

 

L'héritage de Jean-Martin Charcot

Fondée grâce au don de Jean-Baptiste Charcot, fils du neurologue Jean-Martin Charcot, cette collection fut d’abord refusée par la faculté de Médecine de Paris avant d’être acceptée par l'Assistance publique et rattachée à la clinique des maladies du système nerveux, créée par Charcot. Ce don comprenait des milliers d'ouvrages accumulés par Charcot durant sa carrière à la Salpêtrière, mais aussi des manuscrits, des dessins. « Parmi les pièces maîtresses de la collection, on trouve aussi des ouvrages anciens, témoignant du Charcot bibliophile, tels qu’une édition de 1520 du Malleus Maleficarum, un guide à l’usage des inquisiteurs de l’époque », précise Sylvie Leroux, responsable adjointe des bibliothèques du pôle Santé.

 

Bibliothèque de Jean-Martin Charcot, Hôtel de Varengeville, 217 boulevard Saint-Germain, Paris (ca. 1885). Le mobilier est conçu sur le modèle de la Bibliothèque des Médicis.

Des collections enrichies au fil du temps

Au-delà de la collection personnelle de Charcot, la bibliothèque abrite également le fonds des internes en médecine de la Salpêtrière. « Les internes ont souhaité créer, dans la seconde moitié du XIXe siècle, une bibliothèque de salle de garde, un espace où ils pouvaient non seulement étudier, mais aussi partager des connaissances et des ressources », explique Sylvie Leroux. A partir de 1866, ils conservèrent leurs thèses, travaux académiques, revues médicales et publications internationales afin d'offrir une perspective plus large sur les pratiques médicales de l'époque en France et à l’étranger.

C’est en 1972 que la bibliothèque réunit pour la première fois le fonds des internes et celui de Jean-Martin Charcot. Ces fonds continuèrent de se développer avec les dons et legs d’autres neurologues.

 

Salle de la bibliothèque actuelle. En 1985, la bibliothèque fut rattachée à l'Université Pierre et Marie Curie, et en 2011, elle a rejoint les locaux de l’Institut du Cerveau. Elle est aujourd’hui gérée par la Bibliobliothèque Sorbonne Université.

Une référence pour la neurologie

Avec 7 300 ouvrages, incluant 76 titres de périodiques influents, des recueils de thèses et de nombreux tirés à part, la Bibliothèque Charcot permet non seulement de retracer le parcours scientifique de Jean-Martin Charcot, mais aussi de plonger dans les origines de la neurologie moderne. Elle témoigne de l'ampleur des réseaux scientifiques européens auxquels Charcot était connecté et de l'impact de ses travaux sur une génération de médecins et chercheurs, tels que Joseph Babinski, Georges Gilles de la Tourette ou Sigmund Freud.

« En tournant les pages des ouvrages, on découvre de nombreux petits papiers laissés par Charcot lui-même : des notes, des cartes de visite, et même des cartons d'invitation comme celui du jubilé de Pasteur », précise Sophie Roume, chargée de la collection.

 

Comptes rendus des séances de la Société de biologie et de ses filiales. Paris: Masson, 1851. Sorbonne Université, Bibliothèque Charcot, I L1-M13, Vol. 1ère série - Tome 3 (1851)

L’art au service de la médecine

La collection abrite également les manuscrits originaux de Charcot, incluant ses notes de travail et les « billets de salle » – des fiches détaillées sur ses patients, enrichies de ses propres dessins. Charcot, qui hésita un temps entre les Beaux-Arts et la médecine, utilisa également ses talents artistiques pour illustrer sa pratique médicale. « Ces dessins, bientôt numérisés et accessibles en ligne, permettaient de montrer, ou plutôt faire voir, à ses élèves et aux médecins extérieurs à la Salpêtrière, les symptômes externes comme les éléments anatomopathologiques révélés à l’autopsie à une époque où l’examen reposait avant tout sur le regard du médecin », explique Sophie Roume.

 

Dossier de la patiente Geneviève Charpentier, ramollissement ancien et infiltration cellulaire, 1867. Sorbonne Université, Bibliothèque Charcot, Fonds Jean-Martin Charcot, 1 CA 335.

Le dessin sous haschisch de J-M. Charcot

Mêlant retranscription des dialogues entre praticiens et patients, observation clinique rigoureuse et analyse anatomique, les leçons du Mardi et les leçons magistrales du Vendredi sont conservées sous forme de manuscrits détaillés. « Les leçons de Charcot étaient de véritables évènements durant lesquels Charcot interrogeait les patients devant ses étudiants et collègues », détaille Sophie Roume.

Ces manuscrits permettent une plongée au cœur des processus de pensée et des découvertes du neurologue autour de maladies telles que la sclérose latérale amyotrophique, connue sous le nom de Maladie de Charcot, la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, ou l'hystérie. Elle illustre sa méthode de travail fondée sur l'observation clinique minutieuse et le recoupement des symptômes avec les lésions anatomiques, posant ainsi les bases de la neurologie moderne et des études ultérieures sur la localisation des fonctions cérébrales.

Pionnier dans le domaine médical, Jean-Martin Charcot le fut aussi dans l'utilisation de la photographie dans le champ de la médecine. À la Salpêtrière, il installa le premier laboratoire photographique pour documenter les symptômes et les progrès des patients, permettant ainsi une analyse visuelle précise et une meilleure communication de ses découvertes.

 

L’ouvrage d’Albert Londe intitulé La Photographie médicale : application aux sciences médicales et physiologiques, publié en 1893, est un exemple de cette pratique novatrice.

Numériser pour préserver et mieux diffuser

Consultée par des médecins ou des universitaires, la collection Charcot est devenue accessible au plus grand nombre grâce au projet de numérisation. Les fonds numérisés sont disponibles sur SorbonNum, la bibliothèque numérique patrimoniale de l'université. L’ensemble des documents est signalé dans le catalogue collectif des bibliothèques de l’Enseignement supérieur, le Sudoc. Ils sont également signalés dans Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, pour augmenter leur visibilité. « Cette numérisation permet non seulement de préserver les ouvrages fragiles, mais aussi de les rendre accessibles à un public plus large : artistes, chercheurs, historiens, curieux du grand public… », précise Sylvie Leroux.

Dans cette perspective, la chargée des collections, Sophie Roume, mène un travail minutieux de catalogage et d'enrichissement des descriptions des ouvrages : « Nous travaillons avec l’outil Calames, le catalogue en ligne des archives et des manuscrits de l'enseignement supérieur, qui permet aux chercheurs et au grand public d’identifier, localiser et consulter ces ressources très spécifiques. ».

À l’approche du bicentenaire de la naissance de Jean-Martin Charcot en 2025, une nouvelle phase de numérisation est prévue, ciblant cette fois les archives et billets de salle, richement illustrés, « la partie la plus sollicitée par les médecins, artistes, et universitaires français et étrangers », précise Sylvie Leroux.

Dossier de la patiente Louise-Joséphine Tribou, ramollissement ancien, 1861-1875. Sorbonne Université, Bibliothèque Charcot, Fonds Jean-Martin Charcot, 1 CA 340.

Exposer pour valoriser

Des expositions thématiques permettent également au grand public de découvrir la collection. « La plus grande exposition organisée fut en 2014, par le Pr. David Cohen et le docteur Catherine Bouchara dans la Chapelle Saint-Louis, sur le thème Charcot : une vie avec l'image. La bibliothèque présente également des expositions bibliographiques ponctuelles en parallèle de colloques organisés à l’ICM ou pour des évènements d’envergure nationale comme la Semaine du Cerveau, la Journée mondiale de Parkinson… Nous sommes aussi sollicités pour des tournages audiovisuels. » ajoute Sophie Roume.

Bien plus qu'un simple lieu de conservation, la Bibliothèque Charcot est un témoignage vivant de l'histoire de la neurologie et de la psychiatrie. Depuis 130 ans, elle est une photographie de son époque, témoin de la médecine et de son évolution. 

 

Sophie Roume, chargée des collections, devant les panneaux d’exposition. La bibliothèque attire aussi des artistes qui viennent admirer les dessins de Charcot et s’imprégner de l’ambiance de la Salpêtrière.