« Notre version du Malade imaginaire est quelque chose que personne n'a jamais vu »
Georges Forestier, directeur du Théâtre Molière Sorbonne et Mickaël Bouffard, co-directeur artistique et scientifique nous parlent de leur Malade imaginaire revisité comme au XVIIe siècle.
Pourquoi avoir voulu monter le Malade imaginaire avec des étudiants plutôt que des professionnels ?
Georges Forestier : Théâtre Molière Sorbonne est une école qui appartient à une université, donc le but de ce Malade imaginaire et des spectacles que nous avons mis en scène jusqu'à présent est de le faire avec les étudiantes et étudiants que nous formons. Il était hors de question de faire appel à des comédiennes et comédiens professionnels. Tous ceux qui interviennent dans ce spectacle, qu’ils soient musiciens, danseurs, acteurs, sont des étudiants de Sorbonne Université, des conservatoires partenaires ou des lycées professionnels de la région. Ce spectacle doit être une vitrine des retombées de la recherche, il ne s’agissait pas d’engager des professionnels, mais de former ceux qui le deviendront.
Mickaël Bouffard : En effet ! Même si on avait voulu simplement faire ce spectacle et montrer l’application de la recherche avec des comédiens professionnels, cela n’aurait pas fonctionné. Il faut du temps et de la rigueur pour incorporer la gestuelle, la prononciation, l’art de déclamer le texte comme à l’époque et se former aux principes de l’interprétation historiquement informée. À défaut de ce temps d’assimilation, on court le risque de desservir le spectacle et de passer à côté des potentialités de cette technique de jeu ancienne.
Notre école permet de former sur une longue période des étudiantes et étudiants pour qu’ils rendent cette manière de déclamer et de jouer le plus naturellement possible, tout en respectant scrupuleusement les informations qui sont contenues dans les traités et les sources de l’époque. Théâtre Molière Sorbonne prouve que si l’on se donne le temps et les moyens, on peut monter et faire vivre ce genre de spectacle grâce à une formation adéquate. Actuellement, aucun autre établissement d’enseignement ne prépare les étudiants en théâtre à ce type de jeu.
Quels étaient vos rôles respectifs dans la préparation du spectacle ?
G.F. : C’est bien simple, j’approuvais tout ce que faisait Mickaël !
De mon côté, j’ai essentiellement travaillé sur le texte, un texte que personne n’a encore joué. Mais pour tout le reste, la conception du spectacle, l’organisation, la mise en scène, les costumes, les décors… c’est Mickaël et ses binômes. Il a par exemple travaillé sur la prononciation avec Antoine Gheerbrant, qui a notamment fait son mémoire de master 2 à la faculté des Lettres de Sorbonne Université sur ce sujet.
M.B. : Georges nous aidait aussi sur des problèmes d’ordre scientifique quand nous préparions la mise en scène. Lorsque nous ne trouvions pas d’emblée de réponse à nos questions, nous les soumettions à Georges. Il réussissait à trouver des arguments, des exemples comparables dans d’autres pièces de théâtre et à dénouer les fils en quelque sorte pour trouver des solutions et résoudre les problèmes de manière historiquement informée.
Par exemple, dans l'intermède dans lequel des Égyptiens déguisés en Maures viennent donner un spectacle pour Argan, on ne savait pas où placer ce personnage-spectateur sur la scène. On ne pouvait pas le mettre dos au public. On aurait pu le mettre sur le côté ou au fond, comme cela s’était déjà vu pour des ballets de cour, mais Georges a réussi à trouver une solution plus convaincante parce qu’historiquement informée, en faisant sortir Argan et Béralde de scène, tout en laissant croire qu’ils assistent au spectacle depuis un côté de la scène.
Quelle est votre plus grande satisfaction sur ce projet ?
M.B. : Je pense, et je suis quasiment convaincu, que notre version du Malade imaginaire est quelque chose que personne n'a jamais vu et n’aurait jamais pu imaginer. On l’a remarqué pendant les filages, avec les danseurs, avec les accessoires, les décors… Tout cela combiné va dépayser le public.
G.F. : Quand le filage a eu lieu récemment dans les conditions actuelles, c'est-à-dire dans un austère gymnase où il était impossible d’installer nos magnifiques décors, et quand on a entendu et vu dans ce gymnase nos comédiens, musiciens, danseurs, acrobates enchaîner les scènes parlées et les intermèdes chantés et dansés, tout est apparu si beau, si gracieux, si bien articulé que l’on a ressenti déjà de grands moments d’émotion esthétique et donc une intense satisfaction. Tout est tangible maintenant, la « machine » tourne déjà merveilleusement, les splendides costumes sont là, les superbes décors nous attendent… Nous sommes prêts !
M.B. : À cause des restrictions sanitaires de début d’année, nous avons dû décaler notre représentation à fin mars mais finalement, on en est très contents car on a pu peaufiner certains éléments de mobiliers ou costumes auxquels on avait initialement renoncé faute de temps. Par exemple, on a pu refaire toute la tapisserie du fauteuil de Molière à l’ancienne.
Quel serait le plus beau compliment que le public puisse faire à la sortie du spectacle ?
G.F. : « Je veux absolument le revoir ! » ou « Quand refaites-vous un aussi beau spectacle ?! »
M.B. : Oui, exactement ! On espère que les spectatrices et spectateurs vont apprécier cette manière de mettre en scène. On a perçu un réel engouement au cours de nos précédents spectacles qui faisaient souvent salle comble avec des fréquentations de 400, 500, parfois 600 places par représentation. C'est énorme ! Le public est content de venir voir nos spectacles, certains même reviennent voir des pièces remontées avec des comédiens différents. Cette forme de spectacle est unique, le public n’a pas l’occasion de voir cela tous les jours et c’est ce qui, je pense, fait notre force.
Avez-vous d’autres projets en cours ?
G.F. : Le Malade imaginaire va bien nous occuper jusqu’au printemps 2023 ! Toutefois, si l’on crée une véritable attente du public, nous serions tentés de faire une autre pièce comme Monsieur de Pourceaugnac, une formidable comédie-ballet de Molière moins connue du grand public, ou une pièce sans musique comme L’illusion comique de Corneille. Nous pourrions aussi reprendre le Tartuffe en trois actes que j’ai reconstitué… Bref, nous avons des projets plein la tête !
M.B. : Nous en avons aussi de plus petits comme notre projet d’accompagnement à la professionnalisation de nos comédiennes et comédiens avec l’ensemble baroque de Valenciennes, Harmonia Sacra. Notre rôle est d'accompagner et de soutenir artistiquement et scientifiquement notre troupe, sur des petits spectacles intégrant la déclamation et la gestuelle anciennes, produits par Harmonia Sacra. De leur côté, ils paient le salaire de nos étudiants, leur expliquent toute la partie administrative et législative du métier, comment devenir intermittent du spectacle, etc. Ils reçoivent un accompagnement personnalisé pour les préparer à passer dans le monde professionnel. L’un de nos très bons comédiens a d’ailleurs obtenu son statut d’intermittent au mois de janvier grâce à ce programme d’insertion professionnelle.
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